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dans le pays le plus barbare; le chérif Idrîs y vit comme en exil. Cependant sa présence attire en Maghreb des Arabes comme lui. Les uns viennent d'un faubourg de Cordoue, d'où leur humeur factieuse les a fait expulser. D'autres viennent de Kairouan: ce sont, semble-t-il, des membres de cette milice que ses agitations perpétuelles ont rendue odieuse aux gouverneurs d'Ifriqya. Ces immigrés remuants se juxtaposent dans Fès et forment le premier noyau des deux quartiers de la ville; jusqu'au milieu du moyen âge, on distinguera le quartier des Kairouanais et le quartier des Andalous. Nous voudrions connaître les éléments de civilisation qu'ils y apportent. Presque tout a disparu des édifices créés à cette époque. J'indiquerai par la suite le peu que nous savons sur le plan des premières mosquées de Fès. Leurs minarets ont les formes massives que devaient affecter les premiers minarets kairouanais. Ils sont couronnés par une coupole, comme on en voit en haut des tours d'Ifrîqya. Certes nous ne pouvons rien conclure d'absolu de tels documents; toutefois, il paraît bien que, malgré l'arrivée de nombreux Espagnols à Fès, malgré les rapports fréquents et souvent courtois des Idrîssides avec les khalifes de Cordoue, l'influence de Kairouan fut ici prépondérante. Ce n'est, semble-t-il, que plus tard que l'action de l'Andalousie s'affirmera dans les deux Maghrebs.

Les Rostemides de Tiaret.

Nous ne sommes guère mieux renseignés sur la Tiaret des Rostemides. Le fondateur de ce second royaume, Ibn Rostem, noble d'origine persane, avait gouverné dans Kairouan, quand le Khârejisme y triomphait. Lors de la débâcle des hérétiques, il avait fui vers le Maghreb central, où les Kharejites étaient nombreux, et y avait fondé Tiaret ou mieux Tâhert, à dix kilomètres à l'ouest de la Tiaret moderne. Tâhert sera, de 761 à 908, la résidence des Rostemides et la métropole du Khârejisme berbère.

C'est une destinée surprenante que celle de cette ville et de la petite royauté théocratique dont elle est la capitale. Placée en plein pays berbère, aux confins des steppes et du Tell algériens, Tâhert est un marché pour les nomades et le centre d'une région agricole jadis florissante; mais elle est en même temps le siège

Dans le même sens on notera l'analogie existant entre les types monétaires des Idrissides et ceux des Aghlabides.

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d'une vie religieuse intense. Sa population hétérogène réunit aux Berbères les plus grossiers les Orientaux les plus instruits; on y fait à la fois de bonnes affaires et beaucoup de théologie. « On eût pris, dit un historiographe de la secte, la porte de l'Imâm pour la porte d'une mosquée. On veillait aux environs, les uns priant. les autres lisant le Coran, les autres s'instruisant dans les sciences divines et profanes. » L'astronomie et l'astrologie passionnent hommes et femmes. Les maîtres de Tâhert forment d'imposantes bibliothèques et font acheter en Orient des manuscrits précieux. Ce goût de l'étude, cette culture scientifique semblent se concilier avec une austérité de mœurs toute puritaine. Rien ne nous est parvenu des édifices de la Tâhert rostemite, mais on peut présumer qu'ils étaient d'une remarquable simplicité. Un trait suffira pour en donner l'idée. Les Khârejites de Baçra envoyèrent à Ibn Rostem, fondateur de la dynastie, une ambassade qui devait lui porter trois charges de présents. Arrivés à Tâhert, les messagers de Mésopotamie demandèrent où était la maison du commandement; on la leur indiqua. L'Imâm était au sommet de sa demeure et il construisait un plafond, tandis que son esclave lui passait du mortier. Ibn Rostem descendit du haut du mur pour recevoir les étrangers, puis, s'étant lavé les mains, il les fit asseoir 2. Pour construire la mosquée de Tâhert les compagnons d'Ibn Rostem étaient allés couper des poutres dans la forêt voisine. Cet édifice subsistait encore au xr° siècle : c'était une salle hypostyle composée de quatre nefs. Ce renseignement, fourni par le géographe El-Bekrî 3, ne saurait nous suffire pour caractériser l'architecture rostemite. Elle nous apparaît comme rudimentaire. A défaut de documents contemporains de la grandeur des imams, nous avons les ruines des édifices que les Khârejites chassés de Tähert construisirent au cours du xe siècle dans une oasis du Sahara algérien, à Sedrâta, près d'Ouargla. Nous les examinerons par la suite.

Les Aghlabides de Kairouan. Nous sommes infiniment mieux renseignés sur l'art des émirs aghlabides de Kairouan, maîtres de l'Ifriqya. Leur dynastie apparaît en 800, douze ans après celle

1 Aboù Zakariya, Chronique, tr. Masqueray, p. 187. 2 Ibn Çaghir, Chronique, tr. de Motylinski, p. 66.

3 Bekri, 68, tr. 140-141.

des chérifs idrîssides et trente-neuf ans après celle des Imâms de Tâhert.

Le fondateur de la dynastie, Ibrâhîm ben El-Aghlab, est un gouverneur d'Ifrîqya qui s'est affranchi de l'obédience étroite du Khalife 'abbasside Haroûn er-Rachîd. Théoriquement, lui et ses successeurs continueront à reconnaître la suzeraineté des maîtres de Baghdâd, chefs spirituels et temporels du monde musulman. En fait, leurs rapports s'acheminent par étapes vers l'indépendance presque complète, et les émirs de Kairouan se transmettent le pouvoir entre parents pendant une centaine d'années sans qu'aucune intervention du suzerain s'y oppose.

Les onze souverains que compte la dynastie aghlabide nous sont suffisamment connus. Ils sont assez différents les uns des autres, mais certains caractères se retrouvent chez la plupart d'entre eux. Ces hauts fonctionnaires de la cour 'abbâssite, que les circonstances ont faits tout puissants, ont les qualités et les défauts de leurs anciens maîtres. Ce sont des Orientaux énergiques et soucieux de la grandeur de leur province, jouissant du faste, cultivés et de goûts artistes, aimant à s'entourer de belles esclaves habiles, suivant l'humeur de leur maître, à psalmodier le Coran ou à chanter des vers en s'accompagnant avec le luth. Plusieurs composent eux-mêmes des vers. Presque tous s'adonnent au vin et même quelques-uns des meilleurs. Aboù Ibrâhîm Ahmed fit de multiples constructions d'utilité publique et de mosquées « à cause d'un mot qui lui était échappé dans l'ivresse ». Leurs actes les plus despotiques et les plus sanguinaires s'accompagnent de beuveries, qui en expliquent le sadisme ou l'incohérence.

Eléments de la population. La tâche qui s'impose à ces dynastes est au reste assez ardue. Ils doivent achever de dompter le peuple berbère; mais ils ont déjà fort à faire pour tenir en bride l'humeur indisciplinée des Arabes, leurs soutiens naturels. Ceux-ci, membres de la milice (jound), forment la caste militaire. Ils sont tels que nous les avons déjà vus sous les gouverneurs 'abbassites. Les services qu'ils ont rendus, leur qualité de purs Arabes, qui équivaut à un titre de noblesse, ont exaspéré leur morgue et leur arrogance. Toute l'Ifrîqya est, à plusieurs reprises, secouée par leurs révoltes, et certains émirs aghlabides passent une partie de leur règne à les mâter.

Entre indigènes et immigrés, l'amalgame est loin d'être achevé; les mouvements khârejites paraissent même avoir renforcé l'animosité des Arabes contre les vaincus. Parmi ces derniers eux-mêmes, on peut affirmer que subsistent des éléments chrétiens, autochtones ou descendants des Byzantins. Ce sont, semble-t-il, ceux que l'on désigne sous le nom d'Africains (Afâriqa). Mieux que tous autres ils font survivre dans le pays le souvenir des siècles antérieurs; ils représentent la tradition. africaine. Nous aurons à reparler de cette partie de la population. Un groupe social très important, d'ailleurs fort mélangé, est constitué par les gens des villes, en particulier ceux de Kairouan. A Kairouan existe une véritable opinion publique, et qui n'est pas toujours favorable aux émirs. Elle est constamment dirigée par les hommes de religion, jurisconsultes et traditionnistes, dont l'austérité ne cesse de protester contre le faste des maîtres temporels du pays, contre leurs abus de pouvoir et leur fiscalité. Les émirs les craignent, les ménagent et cherchent à les associer au gouvernement, mais ils se heurtent le plus souvent à leur intransigeance ombrageuse.

C'est en partie pour complaire à cet élément religieux, c'est aussi pour donner un emploi aux forces turbulentes de la milice que les Aghlabides entreprennent, en 827, la conquête de la Sicile. La Sicile, alors aux mains des Grecs, devient pour l'Ifriqya ce que l'Espagne sera pour le Maghreb la terre traditionnelle du jihad (guerre sainte), où l'on peut s'acquérir des mérites. spirituels et tout au moins mener contre l'infidèle de profitables razzias.

Esclaves et clients.

Les résidences princières. Les gouverneurs omeiyades et 'abbâssites avaient, semble-t-il, constamment habité Kairouan. A l'Est de la Grande Mosquée s'élevait le Palais du Gouvernement, qui remontait à 'Oqba 2. Les émirs aghlabides l'abandonnèrent et le détruisirent, et ils s'installèrent à quelque distance au Sud de la ville, dans deux résidences successives. L'attitude des Kairouanais et la crainte des mouvements populaires motivaient cet exode. C'était aussi une tradition chez les souverains orientaux d'avoir leur château en dehors de la capi

1 Cf. notamment l'anecdote rapportée ap. Abu 'l-'Arab, Classes des Savan:s, tr. Ben Cheneb, pp. 118-119.

2 Nowayri, ap. Ibn Khaldoùn, 'r. I, 328-329.

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