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réparer les brèches et aménager l'intérieur. Tel paraît être du moins le cas des deux « Qaçr » qui jouèrent plus que tout autre un rôle décisif sur les confins orientaux du domaine aghlabite. J'ai nommé les citadelles de Belezma et de Baghâïa. Le jound avait mission d'y surveiller les turbulents montagnards Kotama, qui devaient en effet consommer la ruine de la dynastie. Baghaïa est la Bagai antique, devenue sous Justinien une puissante place forte. Elle apparaît encore aujourd'hui comme une belle citadelle byzantine; mais on y voit les ruines d'une mosquée. Quant à Belezma, El-Bekri nous la présente comme un <<< château de construction ancienne », et l'on s'accorde à la considérer comme une place byzantine de premier ordre ». Plus à l'Est. Tobna, bâtie par un gouverneur arabe, d'après El-Bekrî 3, est l'antique Thubunae, fortifiée, dit-on, par Justinien, mais qui a reçu divers aménagements à l'époque musulmane et a été, comme Bagai, pourvue d'une mosquée. Telles sont du moins les notions qui semblent résulter de l'examen des édifices pour ceux qui les ont étudiés jusqu'ici. Nous indiquerons comment la question pourrait être reprise.

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Les ribâts. Quoi qu'il en soit, c'est le long de leur frontière maritime que les émirs du vi et du Xe siècle concentrèrent surtout leur activité stratégique. De ce côté les nouveaux maîtres de l'Afrique devaient se garantir et poursuivre la lutte contre les anciens. La terreur des agressions chrétiennes, la préparation de la guerre sainte, motivaient la construction de nombreux postes fortifiés. Les villes furent munies de remparts ou les remparts existants furent renforcés ; la côte fut jalonnée de ribâts, de corps de garde et de tours à signaux. A la fin du IXe siècle, le géographe El-Ya'qoûbî dit qu'on trouve de Sfax à Bizerte « des châteaux très rapprochés les uns des autres où séjournent des gens pieux et des marabouts »; et, deux siècles plus tard, El-Bekrî nous donne une liste copieuse de ces couvents de moines guerriers, presque tous datant du vine ou Ie siècle.

L'institution des ribâts 5, qui se rattache étroitement au devoir

1 Diehl, L'Afrique byzantine. pp. 192-194; Gsell, Atlas archéol., f. 28, no 68.

2 Bekri, 50, tr. 107-108; Diehl, 1. c., 251; Gsell, l. c., f. 27, n° 89.

3 Bekrî, 50, tr. 108. Cf. Blanchet, ap. Recueil de Constantine, 1899, p. 291. 4 El-Ya'qoubi, éd. de Goeje, II. tr. 80.

5 Cf. mon étude ap. Mélanges Basset, II. Note sur les ribât, pp. 288, ss.

sacré du jihad (guerre sainte), joue un rôle important dans la vie religieuse et militaire de l'Ifriqya. C'est œuvre pie de les fonder, d'en renforcer les défenses par de nouveaux bastions, de ravitailler ceux qui y servent, d'y faire des retraites temporaires ou perpétuelles pour prier et s'entraîner à la guerre « dans le chemin de Dieu ». Entre tous, les ribâts de Sousse et de Monastir sont les plus célèbres. Monastir apparaît d'ailleurs tout entière comme un vaste ribât. Bâtie en 786 par le gouverneur 'abbâssite Harthama, elle contenait non seulement des cellules, mais une ou plusieurs mosquées, « des moulins à la persane et des réservoirs ». Un couvent de femmes y était adjoint'. Quant à Sousse, dont le ribât avait été commencé par Ibrâhîm Ier et terminé par Ziyâdet Allah, que les émirs aghlabides avaient, « par les mains » de leurs dévoués affranchis, munie de remparts, pourvue d'une citadelle et d'un arsenal maritime, c'était par excellence le port d'armement pour les expéditions en Sicile. Il convient d'examiner ce qui nous est parvenu de ces deux grandes cités religieuses et militaires.

Les fortifications de Sousse. Hadrumète, la Sousse antique, avait été entourée de murs par Salomon, l'infatigable lieutenant de Justinien. Ces murs furent relevés ou rebâtis par Aboû Ibrâhîm Ahmed, en 245/859. En-Nowayri le prétend, et une grande inscription en relief l'atteste 2. Ce mur, que ne précède ni avant-mur, ni fossé, est en pierres de taille; il est flanqué, suivant la formule byzantine, de tours carrées ou barlongues et couronné d'un crénelage. Les merlons sont arrondis ou affectent une silhouette en arc brisé. Ceux de quelques tours, terminés par un pyramidion, datent probablement de retouches postérieures. La forme arrondie des merlons, qu'on trouve aussi à la Grande Mosquée de Kairouan, pourrait révéler une influence mésopotamienne. Un crénelage analogue existe à Monastir. De distance. en distance, les merlons étaient percés d'archères verticales.

Un chemin de ronde, protégé par ce parapet crénelé, règne à l'intérieur de la courtine. Des escaliers en rachètent les différences de niveau. Ce chemin de ronde est établi sur des voù

1 Bekri, tr. p. 79. tr. p. 9.

Sur les mérites de Monastir, cf. Aboû 'l-Arab, Classes,

2 Cf. supra p. 12. Notons qu'El-Bekri l'attribue à Ziyadet Allah, p. 35,

tr. p. 77.

tains. Une telle disposition n'est pas rare dans les places fortesbyzantines; à Haïdra notamment, le chemin de ronde est porté par de hauts contreforts intérieurs reliés par des berceaux. Mais à Sousse, il y a presque partout deux étages de berceaux et l'étage inférieur est en fer à cheval brisé, ce qui suffirait à attester la facture musulmane de cet appareil défensif.

Dans la partie la plus haute de la ville, un castellum s'appuie à l'enceinte. Une tour élevée la domine c'est le Manâr de Khalaf el-Fatâ dont parle El-Bekrî 1.

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Le ribât de Sousse. Outre cette forteresse et plus près de la mer, mais également placé dans l'intérieur de la ville, s'élève le ribât désigné maintenant à Sousse sous le nom de Ksar.

La disposition générale est tout à fait celle d'un fortin byzantin. Elle comporte une enceinte rectangulaire, dont les angles et le milieu des côtés sont flanqués de tours. Muraille et saillants sont ornés vers le sommet d'une suite d'arcatures formant corniche. Six des tours sont arrondies; à l'angle Sud-Est, un saillant carré porte un haut minaret cylindrique. Un autre saillant carré, au milieu de la face méridionale, abrite l'entrée uniquedu couvent fortifié 2.

Un escalier descend de là vers l'intérieur de l'édifice, dont tout le centre est occupé par une cour. Des portiques encadrent cette cour et portent une circulation au premier étage. Quelques portions en sont couvertes par des voûtes d'arête; le reste par des berceaux. Sur ces galeries, s'ouvrent des cellules sans fenêtres voûtées en berceau et des salles d'ablution. Au premier étage, des cellules entourent également la cour sur trois de ses faces. La quatrième face est bordée par une salle de prières elle a onze nefs et deux travées; un petit mihrâb très simple se creuse dans l'épaisseur du mur. Ce mur de la qibla, qui est aussi le mur d'enceinte, est percé de meurtrières à ébrasements. Nul trait ne peut exprimer d'une façon plus saisissante le caractère mixte du ribât, la vie à la fois religieuse et militaire de ses hôtes.

La place du mihrâb se signale au dehors par une coupole sur

1 Cf. supra, p. 12. Bekrî, 34, tr. 74.

2 Comparer la forteresse byzantine de Gastal, au Nord de Tebessa. Elle a des tours rondes aux quatre angles, une tour barlongue au milieu d'un des côtés. Cette tour pouvait avoir été percée par la porte. Cf. GSELL, Monuments antiques, II, p. 369, et Recueil de notices et mémoires de Constantine, 1898, p. 20.

Fig. 20.

Sousse.

le ribat. On voit au fond, au-dessus du couloir d'entrée, la salle de prières au premier étage, avec la coupole marquant la position du mihrab. Au-dessus de la porte de la tour est encastrée l'inscription reproduite supra, fig. 2.

trompes, qui surmonte une sorte de cellule posée sur la terrasse. Ce souvenir des grandes mosquées est fort curieux; il semble assimiler l'oratoire des marabouts aux sanctuaires les plus importants du pays.

Un des angles adjacents à la qibla porte la tour sur plan circulaire, qui s'élève de plus de 15 mètres au-dessus des terrasses et qui est elle-même surmontée d'un édicule carré coiffé d'une coupole. Cette tour servait sans doute de minaret; il est notable que la Grande Mosquée, voisine du ribât, en est dépourvue. Elle

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jouait peut-être aussi le rôle de tour à signaux. Ce rôle était certainement celui du manâr de la citadelle. Les Aghlabides, et plus que tout autre Ibrâhîm ben Ahmed, avaient élevé beaucoup de tours semblables; elles permettaient, nous dit-on avec une exagération évidente, de correspondre en une nuit d'Alexandrie à Ceuta. Nous ignorons les procédés employés pour ces signaux ; nous savons du moins qu'il s'agit de signaux de feu, et nous ne doutons pas qu'ils ne fussent analogues à ceux que l'Anonyme décrit dans son traité de la Tactique; car ils servaient évidemment à transmettre des nouvelles de même ordre : ils annonçaient l'approche des troupes ennemies, les descentes imminentes de chrétiens sur quelque point de la côte. Les tours à signaux

1 Sur celui du Mahres Bottoûfya, près de Sfax, cf. El-Bekri, p. 46.

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