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seconde ordonnance. Le principe pouvait prêter à des amplifications infinies. Le second étage composé d'arcs entrecroisés pouvait être surmonté d'un troisième étage d'arcs posés sur leur extrados, et ce troisième étage surmonté d'un quatrième. Il se peut que l'époque du Khalifat ait connu ce développement du thème initial et son application au décor. On peut imaginer le revêtement du minaret de Cordoue comme construit d'après ce

Fig. 250.

Merrakech.

Minaret de la Qaçba. Entrelacs architectural. (Dessin de J. Hainaut).

principe. Les artistes de l'Aljaferia l'ont appliqué avec cette fantaisie intempérante qui leur est propre. Mais c'est aux minarets almohades, à la Giralda, où il est traduit en brique, à la Kotoubîya et à la Tour de Hassân, où il est sculpté dans la pierre, qu'il trouve son usage le mieux équilibré et le plus judicieux.

A l'arc découpé en lobes circulaires se substitue souvent l'arc recti-curviligne ou l'are à lambrequins; pour mieux dire, les deux segments du cintre prennent l'allure de galons continus montant obliquement. Ils déterminent un treillis à mailles en losanges tout semblables, ces losanges admettant d'ailleurs une assez grande diversité de proportions et de découpures.

Ces réseaux losangés des minarets, avec leur base formée d'arcatures sur colonnes, et les colonnettes souvenir des colonnettes en encorbellement qui marquent le départ des étages supérieurs représentent une première adaptation du thème emprunté aux nefs de Cordoue. Mais le même principe trouve bien d'autres applications. A la façade extérieure de la porte des Oudâïa, la grande voussure lobée s'enrichit d'entrelacs en losanges qui rayonnent alentour. A la face intérieure de la même entrée, les losanges recti-curvilignes constituent un bandeau d'encadrement. Ce n'est pas tout le diagramme losangé, introduit dans le style, va engendrer, il a déjà produit à l'époque d'El-Mançour, tout un cycle de décor, dont on ne saurait exagérer l'importance; car il enrichit singulièrement le domaine de l'arabesque.

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Si, par définition, l'arabesque n'admet pas le semis, formé de motifs isolés régulièrement répétés sur un fond, si elle exige une liaison entre ses éléments, quelque chose comme un trait continu que l'oeil peut suivre d'un bord à l'autre du panneau, le thème losangé, en délimitant des surfaces semblables, en amenant la répétition à l'infini des mêmes motifs disposés en quinconce, donne à l'art musulman l'équivalent du semis, tout en satisfaisant les exigences du décor continu.

L'origine architecturale de cette ordonnance n'est pas douteuse, mais elle perd son caractère primitif par la substitution. de palmes doubles aux branches montantes des arcs. Telle, elle nous apparaît déjà à Tinmål (fig. 251). Ainsi le principe du décor losangé se renouvelle par l'introduction d'éléments végétaux ; l'élément épigraphique viendra l'enrichir à son tour. L'art mo-. resque nous fournira les exemples de ces variations multiples,

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Fig. 251. Mosquée de Tinmål. Intrados à décor losangé.

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ou, si l'on peut dire, de cette orchestration, qui associe au thème initial toute la fantaisie des thèmes étrangers.

CONCLUSION

La période de deux siècles que je viens d'étudier est demeurée longtemps une des plus mal connues de l'art musulman occidental. Est-il besoin de remarquer que, pour en dégager les caractères, Girault de Prangey ne faisait appel qu'à des œuvres très remaniées, comme la Giralda ou l'Alcazar de Séville, ou presque exclusivement chrétiennes, comme la Puerta del Sol de Tolède ou la chapelle de San Fernando de Cordoue, qu'il ignorait la Grande Mosquée de Tlemcen, la Mosquée de Tinmål, la tour- de

Hassân et la Kotoubiya? Ne convient-il pas de rappeler que la révélation de documents essentiels relatifs à cette période date de quelques années à peine, que nous devons au service marocain des Monuments historiques la démolition des murs qui transformaient en prison l'entrée de la Qaçba des Oudâïa et la réapparition triomphante de ce joyau de l'art almohade? Est-il enfin nécessaire de dire combien de surprises nous réservent des découvertes comme celles de la première Kotoubîya ou des peintures décorant le noble minaret de Merrâkech ?

Bien qu'il ne le connût que très imparfaitement, Girault de Prangey ne laissait pas d'avoir, sur l'art de cette période, une idée assez recevable. « Véritable style de transition », disait-il ; et il proposait, pour le désigner l'appellation d'arabe-moresque. Transition, étape entre le style du Khalifat de Cordoue, dit byzantin, et le style, dit moresque, de l'Alhambra il en est en somme bien ainsi. Je me suis efforcé de signaler chemin faisant les éléments de l'époque antérieure que cette nouvelle époque conservait, tandis que d'autres étaient graduellement éliminés. Je marquerai de même les traits qui doivent persister à l'époque suivante. Un art s'élabore, grâce à ce choix et à ces acquisitions, art proprement musulman, qui s'épanouira aux XIII et XIV° siècles. Mais cette période de recherche est aussi une période de trouvailles et de réalisation. Il est permis de préférer à l'art de l'Alhambra et des médersas de Fès celui des portes de Rabat, et d'estimer que l'école musulmane d'occident donne à ce moment ses œuvres les plus belles, les plus vraiment monumentales.

Style arabe-moresque

les archéologues espagnols disent à

peu près dans le même sens style mauritain ces désignations mettent l'une et l'autre en lumière le rôle accordé aux conquérants venus du Maghreb, et il semble naturel d'en attri buer un à ces acteurs nouveaux que les succès militaires amenaient en Espagne. Cependant on ne voit pas nettement dès l'abord quelles formules d'art les Africains pouvaient apporter à l'Andalousie. Que fallait-il attendre des Almoravides, demi-barbares sahariens, ou des Almohades, montagnards aux mœurs rudes et ascétiques? C'est à peine si nous avons cru pouvoir leur attribuer un mode de construction fort primitif l'appareil de moellons non taillés. Mais, s'il n'est pas à propos de leur faire honneur d'un renouvellement du style, il ne convient pas non plus de les rendre responsables d'une faillite de la culture

L'ÉVOLUTION DE L'ART DU XI AU XIII SIÈCLE

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andalouse. J'ai montré que ni les lettres, ni les arts, n'avaient eu beaucoup à souffrir de leur venue. Les Almoravides ne furent pas des Vandales; ils se laissèrent rapidement gagner à la civilisation qu'ils affectaient d'abord de mépriser. Plusieurs des Almohades nous apparaissent comme des Andalous autant que comme des Maghrebins. S'ils construisirent moins de palais que leurs devanciers, les petits princes d'Espagne, ils édifièrent plus de mosquées, ils entreprirent, semble-t-il, plus de travaux d'utilité publique, et on leur doit peut-être les premières médersas. Sous eux, l'art continua de vivre d'autant mieux que certains furent des bâtisseurs d'une remarquable activité.

Par le fait même qu'il vit, l'art se transforme. Sans doute l'avè nement d'une société nouvelle dut hater son évolution. Nous sommes malheureusement trop mal renseignés sur l'époque des reyes de taïfas pour connaître les modifications qui durent, dans la première moitié du x1° siècle, affecter l'ordonnance et le décor des édifices civils; mais l'époque des conquérants berbères nous a révélé des modèles de construction militaire qui paraissent nouveaux et surtout de nouveaux plans de mosquées. Dans notre esprit s'ébauche un type de mosquée almoravide, à cour peu profonde, bordée de multiples nefs latérales; et plus nettement encore, un type de mosquée almohade, dont la Kotoubîya semble bien être le spécimen le plus complet. Développement du plan basilical en T, enrichissement de la nef transversale bordant la qibla par la multiplication des coupoles tels sont les caractères que nous croyons pouvoir lui attribuer.

L'évolution, encore malaisément perceptible dans l'ordonnance des édifices, s'affirme avec plus de clarté dans le décor. Les x1° et xu° siècles voient se constituer, par transformations successives, un modèle de chapiteau hispano-maghrebin, issu des chapiteaux corinthien et composite. Le répertoire des arcs s'enrichit de quelques variations; la stalactite, formule vraisemblablement orientale, se naturalise maghrebine.

Parmi ces acquisitions et ces métamorphoses, celles qui affectent la flore décorative sont révélatrices. Le x1° siècle est à la fois témoin de l'appauvrissement des formes proprement végétales, palmes et palmettes, dérivés lointains de l'acanthe et de la vigne, et de l'enrichissement des thèmes d'épure que dessinent leurs supports. A cette flore on ne peut plus conventionnelle, création savante que rien ne rattache plus à la nature, le

XIIe siècle apporte sa marque. Il stylise à son tour, simplifie, élargit. Il renouvelle les diagrammes constructifs en introduisant dans le décor des formes architecturales dérivées de l'entrecroisement des arcs.

L'art almohade, puissant dans ses conceptions d'ensemble et de détail, semble exprimer par l'ampleur de ses mosquées et la majesté de ses minarets comme par la robustesse de ses ornements, la grandeur des Moûminides et leurs vastes desseins. Ces maîtres du Maghreb tiennent en effet dans leur main le Sud de l'Espagne et la Berbérie tout entière. En réalisant l'unité politique de ce pays disparate, ils facilitent, ai-je dit, une sorte de syncrétisme de l'art musulman occidental.

En effet, bien des formes introduites dans l'art du Maghreb et de l'Espagne nous ont semblé révéler l'influence de l'Ifrîqya. Toutefois, dans la plupart des cas, nous n'avons pas cru devoir admettre cette influence sans quelque réserve. Fréquemment une double solution s'offrait à nous. Nous hésitions à reconnaître, dans tel élément nouveau, soit une production spontanée du style hispano-maghrebin évoluant suivant sa pente naturelle, soit l'imitation consciente de modèles réalisés ailleurs. La découverte de nouvelles œuvres bien datées, l'examen plus complet des œuvres connues permettront peut-être de trancher ces questions délicates. En attendant on croit devoir rappeler ici quelques observations présentées dans le cours de cette étude et en préciser le sens.

Il n'y a jamais eu de cloisons étanches entre les deux parties de la Berbérie, ni même entre l'Andalousie et l'Ifrîqya. J'ai relevé les traces d'une influence probable de l'art de Kairouan sur l'art de Cordoue. Par les transports d'objet d'art industriel, par les voyages d'ouvriers et d'étudiants, le contact se maintient entre ces provinces politiquement ennemies. Le pèlerinage seul suffirait à justifier bien des ressemblances. Au reste, est-il surprenant que deux écoles de l'art musulman, pourvues dès le principe de quelques formules communes, travaillant sur les mêmes programmes et animées du même idéal, se soient parfois rencontrées dans les étapes de leur évolution, que leurs recherches poursuivies séparément les aient préparées à des emprunts et à des contaminations ? Je veux trouver ici la démonstration la plus nette d'une remarque générale que je formulais aux premières pages de ce livre en art, on n'assimile bien que ce

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