Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

La Tunisie musulmane (Ifrîqya) jusqu'au IXe siècle. Les royaumes du xe siècle : les Idrissides de Fès. Les Rostemides de Tiaret. Les Aghlabides de Kairouan. - Eléments de la population. Les résidences princières. Esclaves et clients. Documents, archéologiques relatifs au rôle des clients. Les réquisitions de matériaux.

La Tunisie musulmane (Ifriqya) jusqu'au IXe siècle. Les premières œuvres d'art musulman que la Berbérie ait conservées se trouvent en Tunisie, l'Ifriqya des auteurs arabes 1. Le nom de l'Ifriqya reproduit, sans trop le défigurer, celui de la province romaine d'Afrique, et cette partie du pays berbère est, de beaucoup, celle qui garde le mieux la marque des civilisations antiques, celle que les procédés de culture de Carthage et de Rome avaient le plus heureusement transformée, celle où la vie urbaine était la plus active, celle où les villes les plus nombreuses se paraient des plus nobles monuments. Une telle constatation n'est certes pas indifférente au sujet qui nous occupe. Non seulement le prestige de l'Ifriqya pouvait attirer les regards des conquérants musulmans, mais ils allaient y subir mieux qu'ailleurs l'influence persistante des anciens possesseurs du sol. Cette extrémité orientale de la Berbérie était d'ailleurs le point par où des Orientaux, suivant la voie de terre, devaient aborder les pays d'Occident.

1 Plus précisément, l'Ifriqya comprend, outre la Tunisie, une bonne partie du département de Constantine. Le territoire de Bougie en marque la frontière occidentale.

L'histoire de cette conquête musulmane, que nous établissons à l'aide de chroniques très postérieures aux événements, est fortement mélangée d'éléments légendaires. Nous essaierons de la ramener à ses traits essentiels, qu'il nous paraît utile de connaître pour comprendre ce qui doit suivre.

C'est de 647 (27 de l'hégire) que daterait la première expédition des armées musulmanes contre l'Ifriqya, province byzantine. Cette reconnaissance, que le Khalife 'Othmân avait laissé partir vers « l'Occident perfide », en dépit des répugnances de son prédécesseur 'Omar, aboutit sans peine à un plein succès. La Berbérie était l'un des points les plus vulnérables de l'Empire de Constantinople. Les lignes de forteresses assez hâtivement édifiées et qui, suivant la tactique byzantine, devaient barrer la route aux agresseurs, les arrêtèrent bien peu. Dès le deuxième raid contre la province, cette ceinture était rompue.

Cependant les Musulmans s'étaient retirés sans rien laisser derrière eux. Une telle conquête n'était guère solide; les conversions des indigènes ne pouvaient être qu'éphémères, si l'on ne s'établissait dans le pays. C'est ce que fit 'Oqba ben Nâfi', le vénérable « Sidi 'Oqba » des traditions populaires.

L'expédition conduite par 'Oqba en 670, au temps du premier Khalife omeiyade, apparaît comme plus méthodique que celles qui l'ont précédée.

La conquête s'affirme par la fondation de Kairouan. Le choix du site de cette ville, perdue au milieu de la steppe tunisienne, ne laisse pas de nous surprendre. Les archéologues n'y ont trouvé les vestiges d'aucun centre antique, qui aurait pu faciliter le premier établissement, comme la Babylone d'Egypte, ancêtre de Fostât. Un récit d'authenticité douteuse nous représente l'emplacement choisi par 'Oqba comme encombré de broussailles. Il se peut qu'une convergence relative des eaux y favorisât quelque végétation. Peut-être des routes s'y croisaientelles et les nomades s'y rassemblaient-ils déjà. Il semble bien que la ville se soit construite, comme la Mekke, auprès d'un

1 D'après les auteurs arabes un petit château bâti par les Grecs et nommé Qamounya ou Qoûnya s'élevait sur cet emplacement (En-Nowayri, ap. Ibn Khaldoûn. Hist. des Berbères. tr. I, 330: sur Qamounya, cf. Fournel, Les Berbères. I. p. 153 sur Qoûnya, ef. Ibn 'Abd el-Hakam, éd. Torrey, p. 193, I, 12, p. 200. 1. 5. El-Bekri semble indiquer qu'une basilique chrétienne s'y trouvait à l'endroit nommé Qaïsariya, p. 57, tr. p. 52.

puits, Bir Baroûta, que la religiosité populaire entoure encore de vénération. Quoi qu'il en soit, Kairouan devint le camp permanent, le gîte d'étape des Orientaux venus par la Tripolitaine à la conquête des plaines du Nord et des hautes terres de l'Ouest, base militaire commode au seuil du pays à surveiller et à envahir, centre d'action pour les convertisseurs.

Dans les dernières années du vir° siècle, la résistance des Berbères était brisée, non sans peine ; des missionnaires musulmans pouvaient entreprendre l'œuvre méthodique de leur conversion, et les néophytes étaient enrôlés pour pousser plus avant l'expansion de l'Islâm. En 710, une armée, dont les contingents berbères formaient la majeure partie, débarquait en Espagne et conquérait la péninsule pour le compte du Khalife de Damas. Ces Africains préludaient ainsi à leur rôle futur. A travers tout le moyen âge, l'Ifrîqya, et plus encore les deux Maghrebs', nous apparaîtront comme un réservoir inépuisable de forces combattantes; la guerre sainte est la fonction traditionnelle du peuple qui les habite et l'Espagne est par excellence la terre de ses martyrs.

Cependant, quelque précieux que fût leur concours, les Berbères restaient des vaincus. Ils supportaient le mépris des Arabes et payaient des impôts, dont leur qualité de musulmans aurait dû les exempter. Leur mécontentement se manifeste d'abord par quelques révoltes isolées, puis le mouvement s'aggrave. Il prend un caractère singulièrement menaçant quand les Berbères ont connu les principes du Khârejisme. Cette hérésie, née en Orient, représente un Islam primitif et intransigeant; elle proclame l'égalité absolue entre tous les musulmans, arabes et non-arabes. On comprend son succès chez les Berbères opprimés. Le Khârejisme va leur donner la cohésion morale qui leur manque. Ils remportent des succès éclatants; la puissance arabe est mise en péril. Il faut mener contre eux une nouvelle guerre sainte. C'est au milieu de difficultés toujours renaissantes, des querelles de la milice arabe, exigeante et factieuse, de l'agitation berbère, qui les force un moment à évacuer Kairouan, que se succèdent, pendant le vin siècle, les gouverneurs venus de

1 Le Maghreb central, comprenant à peu près les départements algériens d'Oran et d'Alger, et le Maghreb extrême (Maghreb el-Aqçâ), qui correspond à peu près au Maroc.

Damas, puis de Baghdâd, représentant en Berbérie les Khalifes omeiyades, puis les Khalifes 'abbassides.

Les Idrissides de Fès.

Aux

Les royaumes du IXe siècle. environs de l'an 800, s'ouvre une ère nouvellé pour la Berbérie. Le pays, islâmisé dans son ensemble, commence à vivre d'une vie propre; il ne fait plus figure de province excentrique, mais étroitement dépendante d'un pouvoir oriental. Des royaumes autonomes ou même indépendants y apparaissent tout à coup et vers le même temps sur trois points à la fois à Kairouan, à Tiaret (au Sud-Ouest d'Alger) et à Fès. Trois révolutions parallèles font renaître dans les trois parties du pays berbère, l'Ifrîqya, le Maghreb central et le Maghreb extrême, avec la civilisation urbaine, une activité économique et intellectuelle qui rappelle les beaux jours de l'occupation romaine. La Berbérie connaît alors un véritable renouveau. Le IXe siècle est, à n'en pas douter, un des grands siècles de son histoire. C'est de là que datent les premiers édifices musulmans qui soient parvenus jusqu'à nous. Il importe de préciser quelque peu les conditions historiques dans lesquelles ils ont vu le jour.

C'est un fait étrange que l'apparition presque simultanée des trois petits royaumes, aghlabite, rostemite et idrîssite vers la fin du vin siècle, en trois régions différentes du pays berbère. On a quelque peine à les rattacher l'un à l'autre. Cependant on peut constater entre eux quelques similitudes. La fondation de tous trois résulte en somme d'une circonstance unique l'éloignement de Baghdâd, siège du pouvoir suprême, et le peu d'intérêt que manifestent les Khalifes pour les choses de Berbérie. Tous trois sont l'œuvre d'immigrés orientaux, que leur habileté politique ou leur prestige religieux a portés au trône. Dans tous. trois, l'élément arabe joue un rôle important à côté de l'élément berbère. Cependant ils affectent des régions assez dissemblables. et la personnalité des fondateurs imprime à ces trois nouveaux Etats des caractères bien distincts.

En Maghreb extrême, un descendant de Mahomet, le chérif Idrîs, arrivé en fugitif, fait reconnaître d'un clan berbère la légitimité que lui assure son auguste naissance. Du vieux centre romain de Volubilis, où le réfugié s'est installé en 788, son fils, Idrîs le Jeune, se transporte à quelque distance vers le Nord-Est et fonde en 807 la ville de Fès. La nouvelle capitale grandit

« PrécédentContinuer »