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Travaux des Almohades. Les travaux d'utilité publique attribués aux Almohades sont fort nombreux. Ce trait suffirait à leur donner une place éminente parmi les dynasties berbères. Toutefois, sauf le canal d'adduction grâce auquel 'Abd el-Moùmin fit venir les eaux de 'Aïn Ghaboûla au camp qui précéda la ville de Rabat ', aucun de ces travaux n'a été étudié.

Ce canal a été mis au jour à deux endroits différents à l'extérieur et à l'intérieur de la ville indigène actuelle. Il passe près de la Grande Mosquée, sans y envoyer de rameau, et se dirige vers la Qaçba des Oudâïa. Il présente, en coupe, un conduit voûté haut de 1 m. 3o, large de 59 cm. entouré d'une chappe de pisé très résistant fait de terre rouge fine et d'une notable proportion de chaux, « tout semblable, dit H. Basset, à celui qui constitue les remparts almohades de Rabat. » On note la hauteur du pisé au-dessus de la voûte; elle n'a pas moins de go cm. Malgré cette couverture puissante le canal a été crevé en plusieurs endroits.

Merrâkech, que les Almohades prirent à leur tour comme capitale, fut l'objet de leur sollicitude. En 1170, Aboû Ya'qoûb fit construire (ou reconstruire) un pont sur le Tensîft. Son fils amena l'eau dans la ville par un aqueduc. Un canal à ciel ouvert alimentait le palais du prince.

Sans pouvoir prétendre au rôle politique de Merrâkech, Fès dut aux Almohades, outre des améliorations apportées à son système défensif, un aqueduc construit en 1207, qui conduisit l'eau de Bâb el-Hadîd au quartier des Andalous.

Quant à Séville, qui fut un peu comme la capitale péninsulaire des Moûminides, elle fut surtout dotée par Aboû Ya'qoûb: il fit établir un pont de bateaux sur le Guadalquivir et construire les quais de pierre qui en bordaient les rives; il édifia l'aqueduc qui allait chercher l'eau à Qal'a Jâbir. On connaît encore l'aquedue dit Canos de Carmona destiné à alimenter Séville et qui part des environs d'Alcala de Guadayra. Il semble bien que ce soit celui d'Aboù Ya'qoûb et que les deux forteresses n'en fassent qu'une.

Au reste, si nous en croyons le Qirtâs 2, il n'est guère de région

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de l'immense empire soumis par 'Abd el-Moùmin qui n'ait été pourvue de travaux utiles par lui et ses successeurs, en particulier par Ya'qoùb el-Mançoûr; partout, avons-nous dit, il fit construire des tours, creuser des citernes, installer des gîtes d'étapes. Ces ouvrages devaient jalonner la grande voie suivie. par les courriers du Khalife, depuis la région d'Agadir jusqu'aux confins de la Tripolitaine. La Berbérie tout entière, comme l'Espagne musulmane, porta au XIe siècle la marque de ses maîtres maghrebins.

III. LA DÉCORATION DES MONUMENTS.

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La pierre.

La céramique.

Les

Les matières et les techniques du décor. La brique. Le plâtre. Evolution du décor sculpté. Le bois. La peinture. - Les grandes formes décoratives. Les arcs. Les consoles et les corbeaux. Les chapiteaux. La stalactite. ensembles décoratifs. Composition des portes et des mihrabs. Mihrab de la Grande Mosquée de Tlemcen. Mihrab de Tinmål. Mihrab de Tozeur. Les portes almohades. Le décor des minarets. Le décor de la Kotoubiya. Le décor de la tour de Hassân. - Le décor de la Giralda. Le décor du minaret de la Qaçba de Merrâkech. Les éléments linéaires du décor. L'élément épigraphique. L'élément floral. L'élément architectural.

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L'élément géométrique.

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Les matières et les techniques du décor. A l'époque du Khalifat de Cordoue, le décor architectural disposait d'une assez grande variété de techniques. Les xr et x1° siècles ne pouvaient en ajouter beaucoup. Pierre, plâtre, bois et terre cuite nue ou émaillée sont et resteront les matières mises en œuvre. Cependant l'art andalou et maghribin semble avoir perdu l'usage de cette polychromie franche que créaient les combinaisons de la pierre blanche et de la brique. Plus de claveaux alternés; nous n'en trouverons qu'une survivance dans ces claveaux alternativement nus et décorés déjà connus des décorateurs de Cordoue et qui enveloppent notamment l'are des mihrabs de Saragosse et de Tlemcen. De même l'art du XIe siècle n'emploie plus ces incrustations de terre cuite ou de marbre qui enrichissaient les tympans latéraux de la Grande Mosquée de Cordoue ou les pavages de Medinat ez-Zahra. La mosaïque byzantine a également disparu. Mais un élément déjà connu à l'époque des Khalifes prend plus d'importance dans le décor des édifices: c'est la céramique,

qui apporte à l'ornemaniste ses ressources infinies. La peinture concourt avec la terre revêtue d'émail à enrichir non seulement l'intérieur, mais l'extérieur des édifices.

Cet enrichissement de l'élément polychrome s'ajoute au renouvellement de l'élément plastique, à l'évolution du bas-relief, dont j'essaierai d'indiquer le sens.

La brique. Le x siècle connaissait déjà les reliefs engendrés par la brique. La façade de l'église del Cristo de la Luz présente des arcs entrelacés et des réseaux d'un joli effet. La brique, dont on bâtit des monuments entiers (Giralda, Tour de l'Or), doit à ses qualités constructives, à sa légèreté, à sa cohésion avec le mortier, d'être employée dans les arcs des portes, en Espagne comme en Maghreb. Appliquée au décor, elle compose des motifs à grande échelle inspirés de thèmes architecturaux remarquablement appropriés aux édifices élevés, car la brique exclut toute mièvrerie. A la Giralda, elle forme de grands panneaux allongés, qu'enrichissent, ça et là, des motifs découpés dans la terre cuite.

La pierre. Ces réseaux méplats se détachant sur un champ défoncé trouvent à la tour de Hassân leur traduction en pierre. Visiblement le décor de brique a précédé et inspiré ce décor sculpté. Il en est de même pour les belles portes qui sont une des gloires de l'architecture almohade. On est tenté d'expliquer par l'emploi de motifs empruntés à l'architecture et aux reliefs de brique la largeur de facture qui caractérise cette sculpture sur pierre. Mais cette explication ne suffit pas. La facture large, la sobriété dans la composition des panneaux ne se remarquent pas seulement sur les façades des minarets et des portes, mais plus encore peut-être dans l'ornementation intérieure, taillée dans la pierre ou dans le plâtre, où l'imitation du décor de brique n'a rien à voir.

Le décor de plâtre

Le plâtre. Evolution du décor sculpté. de la Mosquée de Tinmâl (celui de la Kotoubîya paraît bien être de même nature), nous étonne par la simplicité relative des moyens qu'il met en œuvre. Ici apparaît un style nouveau, sobre sans être indigent, robuste et clair, d'allure un peu exceptionnelle dans l'ensemble de cet art musulman occidental, qui va de la Grande Mosquée de Cordoue à l'Alhambra, un style

qui consent à laisser reposer notre œil sur de grands espaces vides et qui associe logiquement le décor sculpté aux lignes d'architecture. On a supposé que l'affectation d'austérité des premiers Almohades n'était pas étrangère à cette évolution, qui a la valeur d'une réaction profonde. J'essaierai de montrer la part qui revient également, dans cet art maghribin, à l'influence de l'art d'Ifrîqya. Quoi qu'il en soit, on est frappé de la différence qui sépare l'Aljaferia de Saragosse, où l'exubérance de l'art de la Grande Mosquée de Cordoue semble comme exaspérée, où les formes s'enchevêtrent, où les éléments végétaux, encombrant tout l'espace, sont refouillés de détails intérieurs, de cette mosquée de Tinmâl, avec ses larges panneaux nus encadrés de galons méplats. L'évolution que marque la mosquée de Tinmâl apparaît peut-être plus frappante encore, quand on compare à ce sanctuaire almohade la Grande Mosquée almoravide de Tlemcen, plus rapprochée dans l'espace et le temps. A Tlemcen, cependant, des signes apparaissent, qui font prévoir l'art almohade. Je les indiquerai.

Le bois. Cette évolution, que nous révèle la sculpture sur pierre et sur plâtre, dut affecter aussi la sculpture sur bois : mais les documents nous font encore défaut pour nous en assurer. Le minbar de la Grande Mosquée d'Alger (1096), les charpentes et la porte de la maqçoûra de Tlemcen (1138) sont, à ma connaissance, les seules œuvres qui nous renseignent sur le décor taillé dans le bois aux x1o et xn° siècles. Nous n'avons pas de bois sculpté d'époque almohade.

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La céramique. Le décor en relief des minarets du XII° siècle se complète d'un décor coloré de céramique et de peinture. La céramique y est fort belle. La tour de la Kotoubîya et celle de la Qaçba de Merrakech ont des frises de terre cuite, émaillée d'un blanc et d'un vert bleuatre aussi puissant, aussi profond que celui dont se parent les poteries persanes de bonne époque. La Cordoue des Khalifes a déjà connu ces revêtements où le blanc alterne avec le vert, et l'idée de la conservation de cette technique en Andalousie et en Maghreb du x au XIIe siècle s'impose naturellement à l'esprit. Peut-être toutefois n'est-il pas hors de propos de rappeler la place que tenaient les marqueteries céramiques dans l'art de la Qal'a et de Bougie. Le décor du minaret de la

Qaçba à Merrakech fait intervenir des formes que l'on dirait empruntées à l'art çanhâjien'. Il y a là encore un domaine où la contagion de la Berbérie orientale a pu se faire sentir.

La peinture. J'ai dit que la peinture s'ajoutait à la céramique pour enrichir les édifices. On en a relevé au minaret de la Kotoubîya 2. Un ton y figurait presque exclusivement le brun rouge, se détachant en larges motifs sur le blanc ocreux de l'enduit ou formant un fond autour des motifs réservés en clair. Le brun rouge est aussi d'un usage courant dans les revêtements çanhâjiens de la Qal'a et de Cabra près Kairouan 3. Nous retrouverons le même ton décorant les édifices maghrebins du XIVe siècle.

Les grandes formes décoratives. Les arcs. L'étude des monuments nous a permis de signaler un certain nombre d'arcs, qu'il convient de récapituler avec les grandes formes décoratives.

L'arc en plein cintre outrepassé, qui s'affirme dès la première période, à Cordoue comme à Tolède, n'a pas cessé d'être d'un emploi constant, dans les portes, comme la Puerta de Visagra, la porte d'Amargou, celle de Tinmâl ou Bâb Aguenâou de Merrâkech, sous les coupoles des vieux bains, dans les nefs des mosquées et les mihråbs comme à Saragosse, à Tlemcen ou à Tozeur, aux fenêtres des grands minarets almohades. A l'Alcazar de Séville, il révèle l'ordonnance ancienne conservée dans certaines salles. Il disparaîtra des portes. L'époque almohade voit son abandon. Mais il restera, sauf exception, l'arc des mihrâbs. L'art du Khalifat a également connu l'arc découpé en lobes circulaires qui subsiste à l'Aljaferia, à la Grande Mosquée de Tlemcen, à la Mosquée de Tinmål; toutefois, par l'entrelacement avec des arcs semblables, par le groupement des lobes, par l'introduction d'angles droits dans la suite des formes circulaires, il engendre des variétés que la mosquée de Cordoue n'a

1 Cf. infra, fig. 218.

2 D'après Edrisi, éd. Dozy et de Goege, p. 211, tr. p. 261, 1 minaret de Cordoue était déjà orné de peintures. Voir deux spécimens des décors peints de

la Kotoubiya, fig. 225 et 226. Tout l'ensemble sera publié par H. Basset et H. Terrasse.

3 Cf. supra, p. 147.

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