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éléphants y passent, des éléphants asiatiques, à petites oreilles et porteurs de palanquins. Il est très vraisemblable que la renommée des belles demeures édifiées par les 'Abbâssides à Baghdâd, à Samarra et à Raqqa soit parvenue en Espagne. J'ai signalé cette influence comme possible dans l'utilisation de la brique, notamment à l'église del Cristo de la Luz, et dans la marqueterie de terre émaillée.

Les artistes qui travaillaient pour les Omeiyades n'étaient pas non plus sans connaître les œuvres créées récemment par les Fâtimides en Ifrîqya et en Egypte, et celles que les Aghlabides avaient élevées au siècle précédent. Entre Kairouan et Cordoue, centres renommés l'un et l'autre pour les études de droit musulman et l'un et l'autre ardemment mâlekites, des étudiants en quête de science cheminaient sans trêve. Le seul édifice qui représente à Kairouan, avec la Grande Mosquée, l'architecture aghlabite, cette petite Mosquée des Trois portes, dont on a vu l'analogie curieuse avec l'oratoire de Tolède, fut fondé par un Andalou. R. Velazquez Bosco a signalé des ressemblances entre le cadre du mihrâb de Cordoue et la porte de la bibliothèque de la Grande Mosquée de Kairouan. La forme des arcs, l'emploi des sommiers et des claveaux alternés, certains éléments du décor, peuvent fournir matière à d'autres rapprochements.

De toute évidence, ces deux écoles ne sont pas totalement étrangères l'une à l'autre. Il n'est pas certain d'ailleurs qu'il y ait entre elles emprunt volontaire de modèles, mais plutôt communauté de sources, renforcée sur quelques points par des imitations plus ou moins conscientes. Bien qu'on les ait nettement distinguées ici pour essayer de les caractériser mieux, ces deux écoles appartiennent en somme bien à la même période, celle que Girault de Prangey nommait assez improprement « période byzantine », et pour laquelle Paul Blanchet, envisageant les monuments de Sedrâta, proposait l'appellation de « romane ».

L'art roman, qui allait naître en France, plus d'une fois l'art du Khalifat nous y fait penser. Un trait entre autres nous semble commun à tous deux. C'est cette opulence, cette pléthore de formes et d'ornements, qui témoigne d'un goût un peu barbare encore, mais que le temps se chargera de discipliner ou d'appauvrir. Parmi ces éléments surabondants, la période qui va s'ouvrir fera son choix; elle décantera ce mélange un peu trouble. Jusqu'au xiv° siècle et même au delà, nous rencontre

rons dans l'art hispano-maghrebin des motifs qui, à l'analyse, se révèleront dérivés de thèmes déjà clairement exprimés à la Grande Mosquée de Cordoue. Bien après l'écroulement de sa grandeur politique, Cordoue apparaîtra comme un pôle de l'art musulman.

CHAPITRE IV

LES ROYAUMES ESPAGNOLS ET LES EMPIRES
HISPANO-BERBÈRES DU XI AU XIII® SIÈCLE

I. LES CONDITIONS HISTORIQues.

Les reyes de taïfas. Les 'Abbâdides de Séville. Les Almoravides. Les Almohades. Caractère de cette période. La culture andalouse. L'évolution et le rôle des Almoravides. L'attitude et le rôle des Almohades.

Les Reyes de taïfus. Les 'Abbâdides de Séville. Un mal surtout avait causé la ruine du Khalifat : c'était l'impuissance du pouvoir central devant les éléments ethniques importés en Espagne et sur lesquels la dynastie omeiyade s'était naguère appuyée, Arabes, Berbères et affranchis d'origine slave. El-Mançoûr, le ministre tout puissant, que soutenaient les Berbères, avait pu tenir en bride les uns et les autres ; mais ses successeurs manquaient de l'énergie nécessaire pour faire respecter une autorité usurpée. L'Espagne musulmane fut bientôt aux mains de vingt petits princes, indépendants du pouvoir khalifien, qui se survivait avec peine. Cordoue elle-même se mit en république ; mais presque partout, les villes fortes devinrent les capitales de gouverneurs en révolte ou d'aventuriers. Ces Reyes de taïfas, comme les appellent les auteurs espagnols, se groupaient d'après leur origine. Il y eut une Espagne berbère, dont les rois de Malaga se prétendaient les maîtres, une Espagne slave, qui comptait notamment le prince de Valence et celui d'Almeria ; tandis que Saragosse et, d'autre part, Séville obéissaient à des Arabes.

L'histoire de ces dynasties, qui est surtout l'histoire de leurs rivalités, est naturellement très confuse. Ce qui peut, dans une certaine mesure, y introduire quelque unité, en constituer le motif central, c'est l'élévation progressive des rois arabes de Séville, les 'Abbâdides, vainqueurs des princes berbères de Malaga, puis de Grenade. Les 'Abbâdides de Séville, plus précisément les deux sultans qui, de 1042 à 1091, représentent la petite dynastie, et qui portent les surnoms d'El-Mo'tadid et d'ElMo'tamid, rassemblent une cour brillante dans leur Alcazar. Cependant si El-Mo'tamid peut passer pour le plus puissant des Reyes de taïfas, sa royauté n'en est pas moins précaire et menacée. Depuis 1055 un danger a subitement grandi: c'est, avec Ferdinand Ier devenu roi de Castille et de Léon, la reconquête espagnole. Alphonse VI poursuit sans relâche l'œuvre de son père. Les petits monarques musulmans vivent dans la terreur des razzias et voient tomber leurs villes les unes après les autres. Celui de Séville n'échappe pas au sort commun. El-Mo'tadid, s'étant rendu au camp chrétien avec des présents, a promis un tribut annuel et la restitution du corps de sainte Juste, que deux évêques viennent chercher à Séville. Mais l'humiliation périodique du tribut ne désarme pas les Castillans. Les Musulmans sont d'ailleurs incapables de faire bloc devant le danger commun, et les Castillans profitent de leurs querelles. Ils ont annexé Tolède; des aventuriers chrétiens mettent le pays de Valence en coupe réglée; le territoire d'Almeria est entamé ; un raid s'est avancé à une lieue de Grenade. Quelques années encore et c'en sera fait de l'héritage des Khalifes d'Occident. Car, d'où pourrait venir le salut ?

Les Almoravides. Le salut viendra du Maghreb ; il est aux mains de ces Berbères grossiers que l'on méprise, mais dont le roi-poète El-Mo'tamid lui-même souhaite la venue, aimant mieux, comme il dit, « être chamelier en Afrique que porcher en Castille ». Rien d'ailleurs n'est plus différent des princes musulmans d'Espagne que les Almoravides, qui viennent à leur secours. Ceux-ci sont des Sahariens, grands nomades et porteurs du voile, comme leurs frères, les Touareg. Une rencontre fortuite a tourné leur activité vers la propagation de l'Islâm et la défense de la pure doctrine mâlekite. De leur ribât du bas Sénégal, ils ont d'abord poussé vers les royaumes nègres, puis

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