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proportions d'une niche et souvent empatée dans un carré, comme le sont certaines absides africaines. Le rapprochement est d'autant plus permis qu'il est venu à l'esprit des musulmans eux-mêmes et au moment où le mihrâb fut introduit dans le plan de la mosquée. Il semble bien en effet que les premiers temples musulmans n'aient pas comporté de mihrab. Le mot figure dans le Coran, mais on ne peut lui attribuer dans les versets révélés le sens que nous lui donnons. Le mihrâb, niche de mosquée, aurait été une innovation de l'Omeiyade 'Omar ben 'Abdel-'Aziz (717-720) 2. Comme toutes les innovations, elle aurait choqué les rigoristes, et, suivant l'usage, on aurait, à cette occasion, exhumé un soi-disant hadith, propos tenu par le Prophète. Celui-ci aurait dit que l'apparition de ces mihrabs, qui faisaient ressembler les mosquées aux églises, serait un signe de l'imminence du Jugement dernier.

Quelle que soit l'origine de ce motif architectural et pour en revenir à notre Grande Mosquée kairouanaise, il résulte de ce qui précède que l'existence du mihrab édifié, suivant la tradition, par 'Oqba ben Nafi' vers 670 n'est rien moins que sûre, et que la mosquée même reconstruite par Hassan ben En-No'mân vers 695 - soit quelque vingt ans avant l'apparition des premiers mihrâbs en Orient n'en comportait probablement pas. Comment dès lors expliquer le récit d'El-Bekri, auquel j'ai fait allusion plus haut et que je crois utile de reproduire ici ?

«Ziyadet Allah... fit démolir toute la mosquée et ordonna même de renverser le mihrâb. On eut beau lui représenter que ses prédécesseurs s'étaient tous abstenus de toucher à cette partie de l'édifice parce que 'Oqba ben Nafi' l'avait construite; il persista dans sa résolution, ne voulant pas que le nouveau bâtiment offrit la moindre trace d'une construction qui ne serait pas de lui. Pour le détourner de son projet, un des architectes lui proposa d'enfermer l'ancien mihrab entre deux murs, de manière à ne rien en laisser paraître dans l'intérieur de la mosquée. Ce

1 Basilique d'Upenna, signalée par DIEнI, Man, d'Art byzantin, 2° éd., p. 126. 2 D'après certains auteurs, le premier mihrab aurait été celui de la Mosquée de Medine, bâtie entre 709 et 711. - Cf. G. Lowthian Bell, Ukhaidir, p. 168; Lammens, Ziad ben Abihi, ap. Rivista degli Studi Orientali, IV, 1911, p. 246, n. 1; Becker, ap. der Islam, III, 1912, p. 392; Rhodokanakis, ap. Wiener Zeitschrift f. Kunde des Morgenlandes. XIX, p. 36, XXV, p. 71; Wörter und Sachen, III, p. 118, ss. Voir aussi Ibn 'Asakir, ap. Maqrizi, Hist. des Sultans mamlouks, t. II, 3 part., p. 283.

plan fut adopté et, jusqu'à nos jours, la mosquée de Kairouan est restée telle que Ziyadet Allah l'avait laissée. Le mihrab actuel, ainsi que tout ce qui l'entoure, depuis le haut jusqu'en bas, est construit en marbre blanc percé à jour et couvert de

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Fig. 7.

A l'intérieur

Kairouan. La Grande Mosquée. Le mihrab. de la niche, au-dessus des nattes, on voit les panneaux de marbre ajourés.

sculpture. » Ainsi parle El-Bekri; et l'exactitude de sa description peut encore être contrôlée aujourd'hui. Nous étudierons par la suite la composition de ce mihrab, fait de plaques de marbre ajouré comme un cancel de basilique. A travers cette grille de pierre, on aperçoit deux murs de construction assez grossière,

1 BERRI, texte, pp. 59 60, tr. pp. 54-55.

dont l'un, à l'arrière-plan, semble s'enfoncer en demi-cercle; et l'on est naturellement tenté d'y reconnaître un mihrab plus ancien, dont le mihrab actuel dissimulerait sans le masquer complètement l'appareil fruste et sans doute vénérable. Les contemporains d'El-Bekri eurent évidemment la même impression. La présence d'un décor ajouré, dont l'emploi semble tout naturel dans un intérieur du Ix siècle, ne s'expliquait au x1° que comme un subterfuge de l'architecte désireux de satisfaire à la fois l'orgueil de son maître et la pieuse curiosité des fidèles. Le vieux mur anonyme, qu'on entrevoyait dans l'ombre sans pouvoir l'atteindre, devint un mur sacré, et la légende du mihrab de 'Oqba prit corps par un processus presque banal.

Plan de la Mosquée de Kairouan. La salle de prières.

cour.

La

Les midha. -La précieuse description d'El-Bekri pourrait encore servir pour les parties essentielles de la Mosquée et sa configuration générale. L'édifice entier couvre un rectangle légèrement déformé de 135 mètres sur 8o. La salle de prières compte 17 nefs allant du Nord-Ouest au Sud-Est, parallèlement au grand axe. Les nefs sont couvertes de plafonds remaniés à plusieurs époques. Des cloisons portant sur des arcades transversales interrompent les plafonds. Elles délimitent peut-être les agrandissements qui reculèrent par deux fois la façade de la salle de prières vers le Nord-Ouest. Les cloisons n'enjambent pas la nef principale. Celle-ci, plus large et plus haute que les autres. est surmontée à ses deux extrémités par des coupoles. En dehors de ces coupoles et de ceiles probablement plus récentes qui surmontent les porches, toutes les constructions sont couvertes par des terrasses.

Des galeries bordent la cour sur les quatre faces. Ces galeries sont dans le prolongement des nefs de la salle de prières. Deux nefs se prolongent pour border les murs latéraux; deux travées forment la galerie en avant de la salle de prières. Entre cette galerie et la salle se dressent des portes massives. Du côté de la cour opposé à la salle, les galeries sont interrompues par le minaret. L'angle Ouest des galeries était occupé par deux cou

1 Il pourrait à la rigueur daler de Yazid 157 771. Mais rien ne prouve que

ce soit un mihrab.

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Fig. 8.

Kairouan. La Grande Mosquée.

Coupe de la salle de prières, suivant la nef médiane. el-Bahoù; à droite, le mihrab et la coupole qui le précède. Le décor des parties hautes de la nef turque. Au fond, on voit la porte dite Bab Lalla Rayhana.

A gauche, Qoubbat Bab médiane date de l'époque

rettes dont la construction paraît d'époque aghlabite. Là se trouvait une mîdhâ salle pour les ablutions.

L'aire énorme de la cour est en grande partie dallée de pierre 1. El-Bekrî nous apprend que l'on étendait des tapis du côté des

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nefs, sur une largeur de quinze coudées. Sous ce dallage sont creusés deux puits, des conduits et des citernes. Des regards permettent d'y puiser l'eau, mais on n'y fait pas les ablutions. Deux mîdhâ situées à proximité de la mosquée servent encore à cet usage. Ces annexes rituelles des mosquées mériteraient au moins une courte description. Celles-ci sont composées de deux courettes l'une, au fond, donnant accès à des latrines, l'autre,

1 On l'a partiellement repavée en marbre à une époque très récente.

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