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l'émir 'Abd er-Rahmân. L'installation de sa capitale dans Cordoue et l'afflux de population qui en résulta lui firent décider la construction d'une Mosquée nouvelle. Là encore le précédent de la Grande Mosquée de Damas fut vraisemblablement suivi. De même qu'avait fait le Khalife El-Walid pour l'église SaintJean de Damas, 'Abd er-Rahmân aurait proposé aux chefs de la communauté chrétienne de Cordoue de leur acheter la partie de l'église Saint-Vincent qui leur restait, pour la joindre à la Mosquée. Malgré la générosité de son offre, les Chrétiens auraient refusé, s'en tenant aux termes de la capitulation. Enfin, par un arrangement analogue à celui qui avait été conclu à Damas, après de longs pourparlers, les Chrétiens consentirent à céder leur moitié d'église, à condition qu'on leur permettrait de rebâtir ou de réparer une autre église qui avait été détruite. De plus, une somme très considérable leur fut payée, et 'Abd erRahman fit démolir le vieil édifice pour en construire un nou

veau.

La Mosquée de 'Abd er-Rahmân 1er et son agrandissement par 'Abd er-Rahmân II. Ce fut en 169 ou 170 (785-786 J.-C.) que 'Abd er-Rahmân commença les travaux. En un an ils étaient achevés; ce qui ne nous permet d'imaginer qu'un édifice de proportions assez réduites. Il n'est pas douteux cependant que l'émir fugitif ait voulu donner quelque magnificence à sa fondation; et ici nous voyons reparaître ce qu'on pourrait appeler la tradition omeiyade, j'entends le désir de faire revivre en Andalousie la splendeur du Khalifat de Damas. L'historien oriental El-'Aïni 1 nous dit que 'Abd er-Rahmân Ier érigea sa Grande Mosquée à l'instar de celle qui faisait la gloire de ses pères. Conde, dans sa médiocre Historia de la dominacion de los Arabes 2, assure de même que le prince « traça le plan de l'œuvre, qu'il voulait semblable à celle de Damas ». L'indication mérite d'être enregistrée. Nous emprunterons également à El-Aïnî ce renseignement qu'une partie des matériaux venait des édifices démolis à Tolède et cet autre à Ibn el-Qoutîya que la somme dépensée fut prélevée sur le quint du butin fait dans l'expédition de Nar

1 Cité par Ahmed Zeki, ap. Mélanges Codera, p. 465.

2 T. I, p. 211. Je crois avoir été trop affirmatif sur ce point dans mon article La Mosquée d'El-Walid à Damas et son influence sur l'architecture musulmane d'Occident, ap. Revue africaine, 1906, pp. 37, ss.

bonne. Cette destination de la part du butin enlevé aux Chrétiens et réservé au prince de même que ce remploi de pierres taillées sont l'un et l'autre vraisemblables.

Hichâm, fils de 'Abd er-Rahmân, fit à l'œuvre de son père d'importantes additions: des galeries où les femmes pouvaient prier et qui étaient placées à une extrémité de la mosquée et un minaret mesurant 40 coudées jusqu'à la plate-forme du mueddin. Ailleurs le même auteur précise qu'il s'agit de l'ancien minaret, qui semble bien avoir été remplacé par le minaret 2 dont le clocher actuel occupe la place.

Cette mosquée des deux premiers Omeiyades, quoique modeste, parut suffisante jusqu'à 'Abd er-Rahmân II, qui, en 218/833, y apporta des changements notables. Ibn 'Adharî nous dit qu'il agrandit la mosquée en partant des pilastres, ou mieux des « pieds-droits (el-arjoul) qui sont entre les colonnes (es-sawârî), dans la direction de la qibla ». Ailleurs l'auteur raconte qu'il ajouta une portion pourvue de pieds-droits, qui mesure 50 coudées de long sur 150 de large et où l'on compte 80 colonnes *. Ces textes méritent qu'on s'y arrête.

Il importe tout d'abord de faire abstraction, dans la Mosquée actuelle, des huit nefs orientales qui datent d'El-Mançoûr. La Mosquée primitive est à chercher dans la partie à l'Ouest de cette addition, ensemble de 11 nefs, dont la nef médiane aboutit au mihrâb. Dans la portion ainsi circonscrite, la Mosquée de 'Abd er-Rahmân Ier et de son fils comprenait la cour et une partie de salle de prières contiguë à la cour, que l'on peut estimer à 12 travées bordées par les 12 premières rangées de colonnes. Les proportions de cette Mosquée initiale apparaissent comme assez conformes au plan habituel des premiers édifices religieux musulmans. Une anomalie frappante de la Grande Mosquée de Cordoue dans son état actuel est, en effet, la faible profondeur, dans le sens Nord-Sud, de la cour par rapport à la salle de prières.

1 Ibn el-Qoutiya, Conquête de l'Andalousie, texte et trad. Houdas, (Recueil de textes et trad. publié par l'Ecole des Langues orientales), 1889, t. I, pp. 257, 279. D'ap. Merrâkechi, Hist. des Almohades, tr. Fagnan, 316, tous les travaux exécutés à la Mosquée furent payés sur le quint.

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2 Maqqâri, I, 219. « Le minaret est construit au-dessus de l'une des portes de la Mosquée qui fait face à l'emplacement de la anza. » Voyage en Espagne

d'un ambassadeur marocain, 1690-1691, tr. Sauvaire, p. 143. Paris 1884.

3 Sur le rôle de ce prince et la tournure qu'il donne au Khalifat, Bayan, II,

93, tr. II, 148.

4 Bayân, II, 86, 245, tr. II, 135, 380.

Les proportions de la cour à la salle seraient respectivement, pour la Mosquée de 'Amr à Fostât de plus de 2 à 1, pour la

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Cordoue.

Plan de la Grande Mosquée, dressé par Nizet, en 1904.

Grande Mosquée de Kairouan, qui s'inspire visiblement de la mosquée de 'Amr, d'environ 2 à 1, pour la Grande Mosquée de Damas de 4 à 3. Cette dernière proportion se rapproche sensible

ment de celle que nous trouvons dans la Mosquée primitive de

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Fig. 118.

Cordoue.

Plan de la Grande Mosquée, montrant les agrandis sements successifs. I. Mosquée de 'Abd er-Rahmân Ier; II. Addition de 'Abd er-Rahman II; III. Addition d'El-Hakam II; IV. Addition d'El-Mançoûr.

Cordoue. Comme à Damas, un minaret flanqué d'une porte occupait le milieu du mur opposé à la qibla '.

1 D'après Ibn el-Athir, éd. Tornberg, VII, 46, tr. Fagnan, 230, 'Abd erRahman ajouta deux portiques (?) à la Mosquée. Il s'agit peut-être des portiques latéraux du çahn, dont la Mosquée de 'Abd er-Rahmân I pouvait être dépourvue.

L'addition de 'Abd er-Rahmân II se fit dans la direction de la qibla » c'est-à-dire vers le Sud. Elle comprenait 8o colonnes. Le nombre de 10 rangées de colonnes dans la largeur ne changeant pas, l'addition comportait donc 8 nouvelles rangées limitant 9 travées. Cette addition mesurait 150 coudées de large sur 50 de long. La dimension fixe et connue la largeur de la Mosquée étant de 75 mètres, nous sommes conduits à attribuer ici à la coudée une valeur de 50 centimètres, qui se vérifie dans la mesure des 9 nouvelles travées : 25 mètres, soit 50 coudées. Reste à expliquer la phrase d'Ibn 'Adhari indiquant que l'agrandissement allait «des pieds-droits entre les colonnes vers la qibla ». L'expression « pieds-droits entre les colonnes » décrit avec précision des pieds-droits flanqués de colonnes engagées comme ceux qui bordent la cour. Faut-il comprendre que primitivement, il existait, comme le marque un plan ancien1, une rangée de ces pieds-droits déterminant l'emplacement qu'avait occupé le mur du mihrab de 'Abd er-Rahmân Ier ? Faut-il penser qu'il s'agit des pieds-droits bordant la cour et interpréter ce texte comme délimitant le périmètre entier de la mosquée agrandie? Il ne m'est pas possible d'en décider.

2

Après 'Abd er-Rahmân II, il n'est guère de prince omeiyade qui n'ajoute à la mosquée. En 855 Mohammed Ier fait travailler. aux faces latérales et les orne de sculptures. Il fait construire une maqçoûra3, s'adaptant sans doute au nouveau mihrâb. ElMoundhir, successeur de Mohammed Ier (885-889) adjoint à la mosquée la salle du trésor, remet à neuf le réservoir et répare les galeries sans doute endommagées par le violent tremblement de terre de 380. Après lui, l'émir 'Abd Allah, dont la piété était exemplaire, fit construire un passage couvert, qui, venant du palais voisin, lui permettait de se rendre à la mosquée sans être vu. Une porte percée dans le mur du fond, près du mihrâb,

1 Donné par Murphy, The Arabian Antiquities of Spain, Londres, 1813, reproduit par Calvert, Moorish remains, p. 15.

2 Dozy, Bayán, texte II, 98, 1. 8 donne tourouz broderies, qui n'offre pas de sens satisfaisant je lis tourar faces latérales, comme plus loin, p. 245.

3 Sur la maqçoúra, enceinte réservée au souverain, cf. infra, p. 226. Rap pelons qu'on a considéré, avec raison, semble-t-il, la maqçoûra comme une transposition de la loge impériale des églises byzantines. Cf. Becker, Islamstudien, p 494.

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