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emboîtées, incrustations céramiques) des apports directs des grands centres 'abbâssites, en particulier de Raqqa. L'étude des inscriptions a conduit Flury à affirmer que le coufique tressé de Kairouan était de même une création purement asiatique et que rien ne permettait de supposer ici l'intervention de l'Egypte fâtimite.

nous

Toute cette question, comme bien d'autres, devra être reprise quand on connaîtra mieux l'art d'Egypte et l'art de Perse contemporains. De même il nous est encore difficile de suivre une évolution durant cette période de deux siècles et demi que venons d'étudier. Trop de lacunes nous empêchent de marquer avec netteté les étapes que devaient représenter Mahdîya, Çabra-Mançoûriya, la Qal'a des Benî Hammâd, Bougie et Tunis. Il semble cependant qu'on pourrait caractériser de la manière suivante l'art décoratif des différents centres étudiés ici l'art de Monastir nous apparaît robuste, avec des gaucheries qui rappellent l'âge antérieur; l'art de Çabra et Kairouan, très élégant, nerveux, est d'une technique remarquable, soit qu'il s'exprime dans le marbre des chapiteaux et des stèles, dans le bois de la maqçoûra, ou dans la peinture des plafonds; celui de la Qal'a est plus lourd, de facture plus molle et, au regard de l'art kairouanais, d'allure assez provinciale; l'art de Bougie, enfin, manifeste une tendance à la complication des formes; le décor y revêt un caractère moins pur et, si l'on peut ainsi s'exprimer, plus flamboyant.

Nous voudrions de même déterminer les limites géographiques exactes de cet art de la Berbérie orientale. Il serait logique de considérer que son extension vers l'Ouest coïncidait avec celle du domaine fâtimite et des états çanhâjiens. Un monument que l'on peut dater du x siècle, la mosquée du Vieux Ténès, nous montre, en plein Maghreb central, l'emploi de procédés constructifs évidemment importés d'Ifriqya1. Les plafonds des nefs, couvertes en terrasses, y reposent sur des colonnes par l'intermédiaire d'arcs en fer à cheval déformé et d'impostes à tirants de bois. En revanche, quelques morceaux de sculpture deux chapiteaux recueillis à Achir2, au Sud d'Alger, un chapiteau trouvé à

1 Cf. A. Dessus-Lamare et G. Marçais, La Mosquée du Vieux Tenès, ap. Revue africaine, 1925, pp. 538, ss.

2 Cf. mon article: Achir, ap. Revue africaine, 1922, pp. 218, ss.

Bougie', semblent révéler, sur ces confins du royaume hammâcite, la pénétration de l'influence maghrebine ou andalouse.

Il est regrettable que l'art de Bougie nous soit si mal connu. La seconde capitale des Benî Hammâd fut en son temps, c'est-àdre après l'écroulement de tous les centres politiques de l'ancien domaine fâtimite, le refuge de la culture et de la vie artistique. Er elle survivait la splendeur de la Qal'a, que l'on avait dépouilléeà son profit. Il ne paraît pas absurde de supposer que par elle l'ar de Berbérie orientale put se transmettre à la Sicile normarde. L'auteur qui a le mieux exprimé l'importance économique de Bougie est Edrîsî, le géographe du roi Roger. Bougie est pur lui la grande ville de Berbérie.

Nous avons indiqué les points multiples composition des façade, ordonnance des plans, détails du décor par où les palais iciliens rappelaient les palais de la Qal'a. Paul Blanchet avait djà indiqué plusieurs de ces analogies. Saladin, tout en reconnassant la légitimité de tels rapprochements, exprimait l'opinion que «<le style des monuments de la Qal'a ne peut en aucune fron être dérivé de celui des monuments siculo-arabes, puisque eux-ci sont postérieurs 2. » Et cela est de toute évidence; mis il considérait l'architecture sicilienne et l'architecture hammdite comme sans rapports directs entre elles et isolément inspites l'une et l'autre de l'art asiatique. Sans doute faut-il tenir compte de l'influence possible de l'Egypte fâtimite sur la Sicile normande ; cependant les conditions historiques rendent on n peut plus vraisemblables les relations directes entre la Berbée çanhâjienne et la Sicile, et la transmission de formules de la remière à la seconde. A l'époque où s'élevaient la Ziza et la Cua, les palais de la Qal'a étaient abandonnés et la ville en partiedépeuplée, mais les palais de Bougie, l'Etoile, Amîmoûn, la Per, étaient encore dans tout l'éclat de leur jeunesse, et « l'œil es Etats hammâdites », comme dit Edrîsî, pouvait projeter su la grande île voisine le reflet de l'art çanhâjien sur le point disparaître.

Au reste, les maîs éclectiques de Palerme n'empruntaient pas à la Berbérie orntale seule les modèles de leurs décors.

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Archéologie.

1 Dessiné par Delamare, Eoration scientifique de l'Algérie.
2 H. Saladin, Deuxième notur les monuments arabes de la Kalaa des Beni

Hammad, ap. Bulletin archéolque, 1905, p. 186.

J'ai signalé que quelques arabesques portent la marque de l'influence maghrebine ou andalouse. Et ce n'est pas une des moindres originalités de la Sicile normande d'avoir réalisé outre bien d'autres accords, celui de deux provinces très diffé rentes de l'art musulman.

CHAPITRE III

LE KHALIFAT DE CORDOUE

I. LES CONDITIONS HISTORIQUES.

Les Omeiyades en Syrie et en Espagne.

L'apogée du Khalifat. Les 'Amirides. La tradition syrienne. Le rôle des indigènes. Les rapports avec Constantinople. La culture andalouse. Cordoue.

Les Omeiyades en Syrie et en Espagne. -Lorsqu'en 139 de l'hégire (756 de notre ère) le fondateur de l'empire de Cordoue l'Omeiyade 'Abd er-Rahmân débarqua sur la côte d'Espagne, il y avait quarante cinq ans que la première armée musulmane, composée d'Arabes et surtout de Berbères, avait fait son apparition dans la péninsule et l'avait conquise sur les Wisigoths. La dynastic fondée par 'Abd er-Rahmân « l'Immigré » subsistera jusqu'au début du x1° siècle; son histoire occupe une période de deux cent cinquante ans, qui compte pour une des grandes époques de l'Islam et, en particulier, une des époques les plus fécondes de l'art musulman.

Avant de régner sur l'Espagne, la famille à laquelle devaient appartenir les Khalifes de Cordoue avait déjà fourni une brillante carrière de quatre-vingt-dix ans à l'autre extrémité de la Méditerranée; les ancêtres des Khalifes omeiyades de Cordoue sont les Khalifes omeiyades de Damas, et l'on trouverait déjà, chez ces princes syriens, plus d'un trait qui devait se marquer chez leurs descendants. Succédant aux Khalifes « de la bonne voie », compagnons de Mahomet, les Omeiyades avaient donné au pouvoir suprême du Commandeur des Croyants un caractère nouveau ;

ils l'avaient rendu très comparable à celui des monarques nonmusulmans. C'est à la Perse, et plus encore à l'empire byzantin, que furent empruntées les pratiques du gouvernement et les formes de la civilisation. Au bout de quatre-vingt-dix ans la dynastie omeiyade s'écroulait sous les attaques de la famille des 'Abbassides, qui devait transporter le centre politique de l'Islâm de Syrie en Mésopotamie et fonder le Khalifat de Baghdad. C'est une épave de ce grand naufrage, un prince échappé aux massacres des Omeiyades que nous retrouvons en Espagne.

On peut se demander pourquoi il était venu chercher fortune si loin de la Syrie, théâtre de la grandeur de sa famille.

De tous les groupes assez disparates qui peuplaient alors le nouveau domaine musulman, indigènes chrétiens ou juifs, convertis ou non convertis, Berbères ou Arabes des diverses parties de l'Arabie, ceux de ces derniers qui venaient des garnisons syriennes ou des confins de la Syrie, et qui se disaient originaires du Yemen, constituaient un des éléments les plus nombreux et les plus agissants. Ce furent ces Yemenites ou ces Syriens, comme on les appelait encore, qui préparèrent la voie aux Omeiyades et qui permirent au fugitif, Syrien comme eux, de s'installer dans Cordoue.

Même sur ces ouvriers de son élévation, le prince 'Abd erRahmân ne pouvait compter d'une manière complète. La tâche qui s'imposait aux premiers Omeiyades d'Espagne n'était pas moins ardue que celle où s'étaient usées les forces des gouverneurs qu'ils avaient remplacés. Depuis le règne de 'Abd erRahmân Ier jusqu'à l'avènement de 'Abd er-Rahmân III (912), des révoltes menacent presque chaque année l'existence de l'empire. Arabes Modharites et Arabes Yemenites, Berbères et Espagnols, Chrétiens et Musulmans trop zélés, créent, dans les diverses provinces, de graves mouvements insurrectionnels, politiques ou religieux. L'un d'eux, en 777, avait motivé l'appel adressé par trois chefs arabes à Charlemagne, qui s'était avancé jusqu'à Saragosse; un autre, en 814, amena la dispersion des gens d'un faubourg de Cordoue, qui allèrent peupler un quartier de Fès.

Le long règne de

L'apogée du Khalifat. Les 'Amirides. 'Abd er-Rahman III (912-961), celui de son fils El-Hakam II (961

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