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étant formée de coupolettes côtelées inscrites dans des étoiles à huit pointes. Ici l'inspiration musulmane n'est pas niable. Toutefois un doute subsiste quant à la province qui en a fourni le modèle aux architectes siciliens. Je l'ai déjà indiqué; j'ai mentionné les stalactites de la Cuba et les décors qui les accompagnent, si voisins de ceux de la Grande Mosquée de Tlemcen que, pour en comprendre la genèse, l'étude de cet édifice maghrebin est indispensable (Fig. 107).

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Ce décor au reste constitue une exception dans les édifices normands. Les décors où l'inspiration musulmane se révèle se rattachent à l'Egypte ou à la Berbérie orientale. De l'Egypte peut venir le décor sculpté sur des portes de la Martorana, qui présentent une remarquable analogie avec les portes de la mosquée fâtimite d'El-Hakim. On noterait également, dans certains panneaux, des figures très apparentées avec le décor peint des plafonds de Kairouan 1. Il en est de même pour les peintures de la Chapelle Palatine. La Perse, soit directement, soit par l'inter

1 Cf. nos Coupoles et plafonds de la Grande Mosquée de Kairouan.

médiaire de l'Egypte, voire de la Berbérie voisine, a fourni les scènes à personnages et animaux dont les artistes de la cour de Roger II ont revêtu toutes les surfaces du plafond

les joueurs

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d'échecs, les buveurs, les musiciens, les danseurs, les lutteurs et les chasseurs alternent avec « lions et griffons, faucons et chameaux, paons et perroquets, oiseaux à têtes d'hommes... Mais ce qu'on trouve de plus curieux peut-être dans cette décoration, c'est tout un cycle de sujets légendaires tirés des vieilles tradi

tions orientales, et qui nous montrent l'oiseau géant promenant un homme à travers les espaces

1.)

Accompagnant cette décoration peinte d'inspiration musulinane, la décoration mosaïque est d'un tout autre caractère. Elle trahit l'intervention de la main-d'oeuvre grecque. La mosaïque

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est, comme on sait, une technique essentiellement byzantine. L'ordonnance des compositions à personnages religieux, le style des figures et la langue même des inscriptions montrent qu'ici les princes normands ont eu recours aux Chrétiens de Constantinople ou à leurs descendants établis en Sicile. Et cependant, ici encore, les bordures et les panneaux à entrelacs géométriques

1 Diehl, Palerme et Syracuse, p. 99.

sont comme des rappels de l'art musulman contemporain. Encadrant les effigies de prophètes ou de saints, voisinant avec les scènes de l'Evangile et les thèmes des contes orientaux, ils achèvent d'exprimer, dans un ensemble infiniment complexe mais non disparate, le monde extraordinaire qui les a vus naître.

CONCLUSION

Le 1x siècle a vu se développer un art que l'on a cru pouvoir désigner sous le nom d'« art roman d'Afrique », art assez profondément imprégné des traditions chrétiennes encore vivantes dans le pays. L'époque que nous venons d'étudier marque le triomphe d'un élément dont, la part était restée jusqu'alors limitée l'influence de l'Orient. C'est surtout au x1° siècle que cette influence se révèle. Elle s'impose sous les émirs Çanhâja, famille berbère qui gouverne la Berbérie orientale au nom des Khalifes fàtimides d'Egypte. En sorte que l'on peut formuler cette constatation paradoxale : l'art musulman, africain dans une large mesure tant que les maîtres de l'Afrique sont Arabes, devient asiatique avec l'apparition de la première dynastie autochtone. Le paradoxe n'est qu'apparent.

Il semble qu'au 1x siècle l'art musulman d'Asie n'ait pas une force d'expansion suffisante pour s'imposer à la Berbérie ; tandis qu'il triomphe en Egypte dans les monuments toûloûnites. L'Ifriqya d'autre part est encore en possession de traditions assez vivantes, les œuvres et les artisans, chrétiens ou convertis de fraîche date, sont assez nombreux pour fournir dans une large mesure aux besoins des nouveaux maîtres du pays.

Au x siècle, ces traditions sont oblitérées. Cependant les événements amènent au pouvoir une tribu berbère encore très près de la barbarie primitive; ces bédouins doivent se donner une culture. Représentant des princes orientaux, c'est à l'Orient qu'ils demandent les formes de leur art, comme ils en attendent l'investiture de leur dignité. C'est d'abord vers l'Egypte, siège du Khalifat, qu'ils tournent les yeux, vers Baghdâd ensuite; car Baghdad, dont ils reconnaîtront aussi la suzeraineté, jouit d'un prestige incomparable. Ainsi les conditions historiques expli

quent en partie l'influence orientale si frappante dans les œuvres du XIe siècle.

Toutefois plusieurs points demeurent obscurs dans ce chapitre d'histoire de l'art. Faute de documents, la transition reste peu perceptible entre l'art du 1x et l'art du XIe siècle. Des œuvres comme le porche de la Mosquée de Mahdîya, comme la Grande Mosquée de Monastir et la petite mosquée funéraire de la Saïyda, nous laissent supposer que cette transition existe, que les formes nées en Orient ne se substituent pas d'un bloc aux formes de l'art roman d'Afrique. Il semble que ces dernières ne se soient éliminées que peu à peu et peut-être jamais complètement.

Une question moins facile à résoudre est celle que je formulais au début de ce chapitre. Jusqu'à quel point l'art des Fâtimides résidant en Ifrîqya annonce-t-il l'art des Fâtimides du Caire ? Il ne nous est pas encore possible de répondre. Il semble qu'on doive considérer le style fâtimite d'Egypte comme issu du style toûloûnite, nourri d'influence persane et d'éléments syriens. L'apport de la Berbérie, s'il existe, apparaît comme assez mince. On notera cependant, à titre d'indication, l'emploi du décor inscrit dans un carré posé sur la pointe. Ce thème courant des décors fâtimites égyptiens peut être né en Ifrîqya, où son emploi est attesté au Xe siècle (Grandes Mosquées de Kairouan et de Sousse ').

La transmission au x° siècle de quelques formules d'Occident en Orient n'est pas impossible; la transmission au xr de formules d'Orient en Occident est incontestable. Il resterait à déterminer quel pays oriental j'entends oriental pour la Berbérie a le plus fourni à l'Ifriqya çanhâjienne l'Egypte ou la Mésopotamie? Il est raisonnable de supposer que l'Egypte, avec laquelle les rapports étaient plus faciles et plus réguliers, eut une influence plus directe. Certains décors de la Qal'a nous ont paru procéder d'œuvres créées au Caire. Cependant nous avons pensé que parfois la transmission s'était faite directement de Mésopotamie en Ifriqya. Nous avons cru reconnaître dans certains motifs (nids d'abeille, conques de niches à nervures

1 H. Saladin (Manuel, p. 192) considère que la mosquée à large nef cen trale fut portée de Tunisie en Egypte par les Fàtimides (El-Azhar). Cela n'est pas impossible. Mais il convient de rappeler que les deux mosquées de Samarra présentent aussi ce trait. (Cf. Sarre-Herzfeld, Archäologische Reise, III, pl. XIV et XX),

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