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rencontre en Espagne comme en Egypte. On le trouve également vers le même temps à la Qal'a des Beni Hammâd. Des fragments conservés au Musée de Bougie nous le montrent entrant dans des combinaisons très compliquées.

IV. LA SICILE MUSULMANE ET NORMANDE.

La domination musulmane et la domination normande en Sicile. La Favara. La Cuba. La Zîza. - La Cubola. - Autres édifices de Les grandes formes de l'architecture sicilienne.

même époque.

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en

La domination musulmane el la domination normande Sicile. De très bonne heure, les gouverneurs musulmans d'Ifriqya avaient dirigé contre les côtes de Sicile des expéditions de pillage. Mais ce fut l'Aghlabide Ziyâdet Allah qui en 212/827 entreprit d'enlever la grande île à ses maîtres byzantins. Les Fàtimides, s'étant substitués aux Aghlabides, achevèrent d'en faire une province de la Berbérie musulmane. Cette province devait au reste manifester souvent à l'égard de la métropole une certaine indépendance. Etablis dans les vieilles cités siciliennes, les musulmans immigrés, issus de cette fameuse milice arabe dont nous avons vu la turbulence à l'époque aghlabite, y avaient constitué une aristocratie municipale, jalouse de ses droits. prompte à la révolte contre les gouverneurs envoyés d'Afrique. Leurs villes étaient d'ailleurs florissantes. Le géographe Ibn Hawqal nous représente alors Palerme comme une agglomération d'environ 300.000 habitants, et qui, pour le nombre des mosquées, ne le cédait qu'à Cordoue.

Lors du départ des Fâtimides pour l'Egypte, la Sicile fut exclue de la part des émirs Canhâjiens et laissée à une famille d'origine arabe, qui y représentait déjà le gouvernement des Khalifes de Kairouan.

Sans doute, au XIe siècle, la Sicile n'eut pas à souffrir, comme la Berbérie voisine, de la ruineuse invasion des Arabes et elle profita même du sauve-qui-peut qui dépeuplait les campagnes d'Ifriqya; mais une autre circonstance devait, outre les guerres civiles persistantes, entraver son développement économique : l'apparition des Normands enleva aux Musulmans, négociants et pirates, la maîtrise de la Méditerranée occidentale. Les coups de main audacieux de ces aventuriers se terminèrent en 1061

par leur débarquement en Sicile et, vingt-huit ans après, par la conquête intégrale du pays.

On connaît l'extraordinaire roman des fils du seigneur normand Tancrède de Hauteville, devenus Grands Comtes de Sicile de Roger er et de ses successeurs, Roger II, Guillaume Ire et Guillaume II. Tout est surprenant dans cette aventure le théâtre et les acteurs. Cette Sicile, si profondément hellénisée, où survit une nombreuse population byzantine, où des Arabes ont implanté l'Islâm et où s'est développée la civilisation musulmane, tombe aux mains de condottieri normands qui vont se laisser gagner à la douceur méditerranéenne et témoigner une sympathic inattendue au monde étrange dans lequel les hasards de la conquête les ont brutalement introduits. « Vers cette même fin du x1° siècle, d'autres Normands, ceux d'Angleterre, n'avaient su qu'écraser les Saxons vaincus. Les Normands de Sicile agirent d'autre sorte. Entre les catholiques, les Grecs, les Musulmans, ils voulurent ne mettre aucune différence; comme leurs frères, les Normands de Syrie, devaient le faire un peu plus tard, ils surent s'accommoder aux mœurs, aux habitudes de leurs nouveaux sujets, traitant chacun avec ménagement, partageant également entre tous leurs faveurs et leurs libéralités. Tout en restant Normands, ils surent se faire Byzantins et Arabes et donner, en plein x1° siècle, un bel et rare exemple de tolérance politique et d'impartialité religieuse 1». Il faut lire dans Ibn Jobaïr, le voyageur espagnol du x siècle, le récit du séjour qu'il fit dans l'île à son retour de la Mekke 2. Ce pèlerin soupçonneux et prompt à se scandaliser marche d'étonnement en étonnement. Sans doute, il déplore que les Chrétiens soient venus « se placer entre les Musulmans et la richesse, sur le sol dont ces derniers tiraient jadis une subsistance aisée»; mais il se réjouit d'entendre tomber des minarets l'appel à la prière sur cette terre chrétienne et de voir ses coreligionnaires des deux sexes si nombreux dans l'entourage immédiat de Guillaume II. Il nous peint celui-ci, pendant un tremblement de terre, parcourant son palais où ses pages et ses femmes invoquent Allah et le Prophète, et qui, les trouvant un peu effrayés à son approche, leur dit : « Que chacun de vous

1 Diehl, Palerme el Syracuse, pp. 62-63.

1

2 Amari, Extrait du royage... de Mohammed ebn-Djobair, ap. Journal Asiatique, 1845, II, 1816, I.

prie le Dieu qu'il adore; quiconque aura foi dans son Dieu sentira la paix dans son cœur ». Il nous montre enfin l'organisation musulmane du gouvernement, les mœurs musulmanes installées à la cour; il nous cite les titres arabes des dignitaires et les noms arabes des palais. Il nous laisse entrevoir les ouvriers musulmans travaillant encore, suivant leurs traditions propres, pour complaire à leur maître chrétien.

Même si les monuments encore debout ne révélaient assez clairement l'influence persistante de l'Islâm, un tel témoignage autoriserait à faire entrer en partie l'art de la Sicile normande dans le cadre de la présente étude.

Il n'y a pas lieu, semble-t-il, de distinguer ici les différents genres d'architecture, religieuse, civile, militaire, selon le plan adopté pour les époques successives de l'art en pays musulman. La Sicile qui doit nous occuper n'appartient plus à l'Islâm. On ne saurait y étudier d'édifices consacrés au culte d'Allah. Quelques restes hypothétiques d'une mosquée, près de l'église Saint-Jean-des-Ermites, sont insuffisants pour nous faire connaître l'architecture religieuse. L'architecture civile des maîtres musulmans de l'île n'est guère mieux représentée. La Sicile monumentale qui nous intéresse est presque exclusivement une terre chrétienne. Les fondations des rois normands portent d'ailleurs la marque assez reconnaissable du style que nous venons d'étudier en Berbérie. J'essaierai du moins de le démontrer, par l'examen des édifices les plus significatifs du xn siècle.

La Favara. Il n'est presque rien resté de la Favara de Palerme, que l'historien Amari croit pouvoir dater de l'époque arabe et attribuer à l'émir Ja'far (998-1019) 1. Les auteurs arabes nous la représentent comme un ensemble de bâtiments se développant autour d'une cour à portiques et entouré, sur trois de ses faces, par un vaste bassin. De là le palais aurait reçu le nom de Castello di mare dolce. On pense au Dâr el-Bahr de la Qal'a et aux lacs artificiels des demeures de Raqqâda et de Çabra. Le nom de Favara (fawwâra: jet d'eau) évoque aussi l'idée du rôle que les eaux descendant de la montagne voisine tenaient dans le décor de cette résidence princière. Une façade en ruine con

1 Amari, Storia dei Musulmani, III, 848-819. d'Ebn Djobaïr, tir. à p. du Journ, Asiatique, p. 76.

Cf. Extrait du voyage...

serve encore quelques-unes de ses arcades aveugles, motif caractéristique des édifices siciliens que nous avons à étudier.

1

A part la Favara, dont la date n'est pas certaine, ces édifices sont l'œuvre des rois normands. Dans Palerme même, ils avaient un palais. Roger II l'avait fait construire dans le quartier de la haute ville, dont le nom de Cassaro rappelle le Qaçr musulman. Nous ne le connaissons guère que par les descriptions des contemporains. « Avec ses robustes murailles faites de blocs soigneusement taillés, les hautes tours qui couronnaient son enceinte, les passages étroits et les couloirs souterrains par lesquels on y pénétrait, ce palais offrait, à l'extérieur, l'aspect d'une forteresse 1». Aujourd'hui encore, la Torre di santa Ninfa (ancienne Tour pisane) et la construction voisine que l'on nommait Joharia (en arabe, le joyau) où, d'après Hugues Falcand, était enfermé le trésor royal, conservent bien ce caractère. Les trois étages du bâtiment s'accusent par trois étages d'arcades aveugles. De l'intérieur, dont les voyageurs nous ont vanté la richesse, où l'on trouvait notamment une fontaine aux lions comme à l'Alhambra de Grenade, il ne reste qu'une petite pièce datant, dit-on, de Roger II. Elle est couverte d'une voûte d'arête et décorée de marbres et de mosaïques.

Mieux conservés sont les pavillons élevés dans la plaine de Palerme et qui, enveloppés de jardins et de parterres d'eau, « étaient, dit Ibn Jobaïr, disposés autour de la ville comme un collier qui orne la belle gorge d'une jeune fille ».

La Cuba. La Cuba fut bâtie par Guillaume II. Elle est construite, comme tous ces édifices siciliens, en pierre calcaire de moyen appareil bien taillée. En plan, elle couvre un rectangle de 30 m. sur 18. Au milieu des quatre côtés font saillie des avant-corps harlongs, qui évoquent le souvenir des palais hammidites, du Fanal et du Dâr el-Bahr. Ce souvenir est précisé par des défoncements montant du sol jusqu'au sommet, qui divisent les façades en grands registres verticaux et portent des voussures brisées ou plein cintre. Une moulure en gorge les entoure comme au porche fâtimite de Mahdîya. Le fond de ces arcades aveugles est lui-même meublé de quatre étages de défoncements. Le rapprochement s'impose avec le minaret de la Qal'a des Benî

1 Diehl, Palerme et Syracuse, p. 99.

2 Kiddân, mot couramment employé en Tunisie. Cf. Amari, J. As 1846, II.

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Hammad. Dans les parties hautes, se creusent de longues niches. couronnées d'une conque à cannelures rayonnantes. Plusieurs présentent une coquille posée en porte-à-faux sur une partie à fond plat (fig. 103 A); ce qui rappelle la coupole de Kairouan, plus vieille de deux siècles (fig. 38). Au-dessus règne une frise à inscription cursive qui donne le nom de Guillaume II et la date de 1180 1.

CUBA

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salles latérales comportaient aussi de ces renfoncements que précédaient des arcs reposant sur des colonnettes d'angle. Nous avons vu le rôle des renfoncements de même nature au Dar el-Bahr de la Qal'a. On trouverait, dans le grand palais hammadite, des plans de salles très analogues à ceux des pièces de la Cuba (Fig. 63).

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La Ziza. Le pavillon de la Ziza (El-'Aziza la glorieuse), commencé par Guillaume Ier, fut achevé par Guillaume II, et a subi de graves réparations en 1636. Il se présentait, ainsi que la Cuba, comme un bâtiment rectangulaire, mais de dimensions plus grandes que la Cuba (environ 32 m. x 23 m.), et orné d'avant-corps sur ses deux petits côtés seulement.

A l'extérieur, les quatre faces et les avant-corps étaient décorés de trois étages d'arcades aveugles brisées ou déformées au sommet, encadrées de une ou deux voussures. Une frise à ins

1 Amari, Iscrizioni arabiche di Sicilia, I, 11.

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