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de 1135, autoriseraient à penser que, sur ce point, la Berbérie a précédé l'Egypte d'au moins un demi-siècle.

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Fig. 94. Décor floral. - A, B, D, F, G, H, J, K, M, Kairouan. Stèles et bagues de colonnes; I, Mahdiya, zaouïa des Aïssaoua; C, E, L, N, Qal'a des Beni Hammad. (E, fragment du panneau surmontant la porte du minaret).

L'élément floral.

La préoccupation d'enrichir les panneaux, de garnir les parties normalement vides, de restreindre les champs en les divisant, n'apparaît pas moins dans l'ornementation florale que dans les inscriptions.

Le rapport entre les vides et les pleins pourrait d'ailleurs servir de base à une classification générale des décors musulmans. Dans le style que nous étudions, elle s'impose. Le décor floral est généralement très fourni; il est des panneaux de pierre sculptée où le fond occupe un espace appréciable, il en est d'autres où il disparaît complètement. Le décorateur doit s'ingénier à trouver des formes qui s'emboîtent les unes dans les autres et qui laissent entre elles un minimum de vides. Ce genre, qui triomphe à Samarra et de là est passé dans l'Egypte toûloûnite, semble ici surtout réservé à la sculpture sur bois. Comme dans toutes ces arabesques florales, il convient d'ailleurs de distinguer d'une part l'élément propre de l'entrelacs, le filet de largeur constante qui représente la tige, et d'autre part, la palme, élément végétal proprement dit.

La tige. La tige est souvent refendue par une ou deux rainures. La palme est de même meublée par un défoncement longitudinal, une fente en boutonnière. Nous avons déjà rencontré ce genre de modelé dans le décor sculpté du 1x siècle.

Quant aux figures engendrées par la tige, elles diffèrent assez sensiblement de celles des ornements végétaux aghlabites. Nous ne trouvons plus ici de feuilles isolées implantées parallèlement sur le cadre. D'une manière générale l'épure constructive est beaucoup plus savante. Dans les bordures figurent sans doute le rinceau à ligne ondulée ou brisée, mais aussi le double ou triple rinceau tressé. Plus fréquents que ces décors d'ordonnance longitudinale et continue, sont les décors symétriques à axes transversaux, le plus simple étant formé d'S couchés ou d's redressés se juxtaposant par leurs enroulements. Il en est de très compliqués, mais, dans la plupart, on note que les axes, de part et d'autre desquels l'entrelacs se répète symétriquement, sont très rapprochés et que le motif est en somme fort réduit. Semblable remarque peut se faire dans les décors fâtimites égyptiens dont la largeur est déterminée par la largeur égale des pierres et où les axes coïncident avec les joints de l'appareil 1.

1 Cf. notamment Flury, Die Ornamente der Hakim-und Azhar-Moschée, Pl. XX.

L'ornement aghlabite nous avait présenté une flore singulièrement déformée et ne copiant que de loin la nature. Elle pourrait presque sembler naturaliste à côté de celle-ci. Rien ne rappelle ici la logique des formes végétales fréquemment la tige porte une palme qui s'amincit pour engendrer une nouvelle tige; une tige principale porte des feuilles à ses deux extrémités; les rameaux adaptés à la tige en suivent le mouvement ou le contrarient indifféremment; la palme se fend pour laisser passer un rameau qui pousse au travers; deux rameaux s'accolent ou s'anastomosent en sorte que souvent le motif entier a pour support un filet principal dont il est impossible de déterminer le point de départ.

Cette méconnaissance systématique de la nature est un caractère nouveau de l'entrelacs végétal, qui différencie le décor fâtimite et çanhâjien du décor aghlabite issu de la sculpture chrétienne. Il en est naturellement de même des formes larges qui s'adaptent au filet de l'entrelacs, je veux dire des feuilles portées par la tige.

Le fleuron et la palme. Pour la commodité de l'étude, il conviendrait de distinguer les fleurons ou palmettes occupant le plus souvent les axes et qui sont généralement symétriques, des feuilles ou palmes, qui trouvent place entre les fleurons et pour lesquelles la symétrie ne s'impose pas. On notera, pour les éléments symétriques, la fréquence de la forme bulbeuse ou lancéolée, terminée, au sommet, par une pointe, à la base, par deux enroulements. A la fois aboutissement et point de départ, cette forme couronne fréquemment deux tiges qui s'accouplent et elle engendre deux nouvelles tiges. Elle détermine le mouvement initial de l'arabesque. Parfois encore elle circonscrit des surfaces en relief, que meublent de petits ornements faiblement défoncés (fig. 94, E).

Le doute est permis quant à l'origine de la forme bulbeuse. Il semble inutile d'aller la chercher dans les frises peintes de l'art égyptien ou dans les antefixes à palmette de l'art grec; mais on ne peut se dispenser de signaler l'analogie que présentent ces palmes musulmanes du xr siècle et les feuilles de

Exceptionnellement on trouverait des arabesques asymétriques et sans rythme où ne se marque qu'un certain équilibre des masses et dont les involutions se développent librement dans les limites du cadre à remplir.

vigne du 1x siècle avec leur sommet pointu et leurs deux enrou

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Fig. 95. Etude des palmes et fleurons. - 1, 4, 6, 7, 10, 12, Kairouan, décor sculpté sur marbre; 11, décor peint sur bois; 2, 3, 8, Qal'a des Beni Hammâd, décor sculpté sur plâtre; 5, décor sculpté sur pierre; 9, décor peint sur plâtre.

lements inférieurs. Le souvenir plus ou moins conscient de la vigne, qui tient une si grande place dans l'ornement de l'âge

précédent, a pu inspirer la découpure fréquente de ces fleurons en cinq lobes. Toutefois on notera que la forme lancéolée est un des thèmes favoris de l'art sassanite et que ses deux courbes symétriques ses deux S se terminant en haut et en bas par des enroulements contrariés, figurent dans la céramique protomusulmane de Mésopotamie comme dans les plâtres de Samarra.

Les feuilles qui remplissent les intervalles entre les fleurons d'axes sont de formes assez variées : la palme à deux lobes inégaux est d'un emploi courant, notamment à la Qal'a des Benî Hammad; la palme à trois lobes n'est guère moins employée. Nous l'avons déjà vue figurer au haut des hampes des lettres coufiques. Enfin on rencontre également le fleuron à cinq lobes dont la pointe est tordue, ce qui en détruit la symétrie (Fig. 95, 10-14).

Bien des documents nous manquent pour établir les origines de ce décor végétal et expliquer la genèse de ses formes. Il ne nous appartient pas d'ailleurs de l'entreprendre à propos de cet art fâtimite et çanhâjien. Presque tous les éléments, en effet, figurent déjà dans des édifices étrangers à la Berbérie; la flore de Kairouan et de la Qal'a est déjà celle des mosquées fâtimites du Caire, la Mosquée El-Azhar (978) et la Mosquée d'El-Hâkim (1013). Il semble bien que la Berbérie ait emprunté la plupart de ses formules décoratives à l'Egypte qui elle-même les devait à la Mésopotamie.

Pour compléter cette étude de l'élément végétal, je dirai quelques mots des beaux décors des plafonds çanhâjiens que garde la Mosquée de Kairouan (fig. 96). Cette flore peinte est assez différente de la flore sculptée. Les rinceaux existent; il en est même d'une très fière tournure. Ils sont cependant moins fréquents que les tresses, si l'on peut désigner ainsi l'entrelacement de lignes ondulées symétriques se croisant suivant l'axe. Là encore, aucun souci de la nature la palme engendre la tige, qui porte une autre palme. Cette palme se compose le plus souvent d'une sorte de lanière très longue qui va en se rétrécissant et dont un ou deux lobes arrondis marquent la naissance. Parfois elle s'appuie sur un large crochet et rappelle l'aile des couronnes sassanites. L'axe est souvent occupé par un fleuron, sorte de bouquet ovoïde formé de pétales pointus imbriqués ou superposés. Il est facile d'en reconnaître les prototypes mésopotamiens. Mais on peut se demander, ici encore, si cette influence

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