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et de toutes les parties du Maghreb '. » Et certes, ses jours sont comptés, mais ses maîtres disposent de grosses ressources et les palais s'y élèvent comme par enchantement. D'après une information médiocrement admissible d'Ibn Khaldoûn 2, il faudrait attribuer au seul El-Mançoûr, fils d'En-Nâcir, la construction du palais du Gouvernement, du palais du Fanal, du palais de l'Etoile et du palais du Salut, et localiser ces travaux entre 1088, date de l'avènement d'El-Mançoûr, et 1090, date de son exode vers Bougie. Comme il nous dit plus loin que Bâdîs, fils d'El-Mançoûr, se transporta à son tour à Bougie, et que nous voyons El-Mançoûr lui-même, revenant de Tlemcen en 1102, rentrer à la Qal'a « sa capitale », nous sommes conduits à penser que sous El-Mançoûr comme sous En-Nâcir, son prédécesseur, et peut-être même durant le court règne de Bâdîs, son successeur, soit environ pendant 37 ans, les Hammâdides eurent deux capitales: la Qal'a et Bougie. Une route royale les unissait, dont le géographe Edrîsî3 énumère les multiples étapes.

Cependant les Arabes pillards avaient rendu la Qal'a de moins en moins habitable. Bougie devint la résidence permanente des princes et, comme dit Edrîsi, « l'œil des Etats hammâdites ».

On l'appelait aussi En-Nâciriya, du nom du prince qui l'avait sinon fondée, du moins élevée de son modeste état de village de pêcheurs à la dignité de capitale d'empire. Il y avait construit une demeure admirable, le palais de la Perle. Il pourvut également la ville d'une Grande Mosquée. « Doué d'un esprit créateur et ordonnateur, dit de lui Ibn Khaldoûn, il se plaisait à fonder des édifices d'utilité publique, à bâtir des palais, à distribuer les eaux dans des parcs et des jardins ^».

Grâce à lui, grâce à ses successeurs, Bougie, héritière de la Qal'a qu'on avait, à son profit, méthodiquement vidée de tout ce qui était transportable, demeura, jusqu'au milieu du x1° siècle, la représentante de la civilisation çanhâjo-fâtimite.

Quelques fragments conservés au musée de la ville l'attestent. D'autre part nous ne connaissons presque rien de la Mahdîya des derniers Zîrîdes. Un petit nombre de stèles funéraires con

1 Bekrî, 49, tr. 104.

2 Ibn Khaldoûn, Hist. des Berbères, I, 227, tr. II, 52. Voir aussi Tijani, Voyage, tr. Rousseau, ap. Journal asiatique, 1852, II, p. 164.

Edrisi, éd. Dozy et de Goeje, pp. 90, 92-93, tr. pp. 104-105, 107-108. 4 I. Khaldoûn, Hist. des Berbères, I, 227, tr. II, 52.

servées à Monastir, la ville des saints Marabouts, où les gens de Mahdîya se faisaient enterrer, une collection de même nature recueillie dans les cimetières de Tunis datant des Benî Khorassân, nous révèlent, faute de mieux, le décor de cette fin de période. J'essaierai d'en tirer parti.

C'est bien une période de l'art musulman qui se clôt vers 1150, la période où la Berbérie a subi l'autorité politique et, on le présume, l'influence artistique des Fâtimides. J'ai dit que les différentes phases nous en étaient très inégalement connues. La dernière nous a laissé peu de documents; la première est également pauvre. Celle-ci l'époque du séjour des Fâtimides en Ifrîqya présenterait cependant pour nous un intérêt tout particulier. Un problème se pose ici, qui déborde même le domaine de l'art musulman occidental. On peut le formuler de la manière suivante :

On connaît assez bien les œuvres créées en Egypte par les Fâtimides au temps de leur splendeur. Dans quelle mesure leurs fondations de Berbérie faisaient-elles prévoir ces œuvres égyptiennes ? Et d'autre part, quand ils vivaient à Mahdîya, les yeux tournés vers l'Orient, leur art était-il déjà oriental ? Tels sont, entre bien d'autres, les problèmes pour lesquels l'examen des monuments doit nous suggérer une réponse au moins provisoire.

II. L'ART FATIMite en BerbÉRIE

ET L'ART DES ÇANHAJA ZIRIDES ET HAMMADIDES

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La Grande Mosquée de Mahdîya. La Grande Mosquée de Monastir. La Mosquée de la Saïyda à Monastir. La Mosquée d'Achîr. - La Grande Mosquée de Sfax. La Mosquée de la Qal'a des Benî Hammâd. La Grande Mosquée de Bougie.

La Grande Mosquée de Mahdîya. Kairouan, dont la Grande Mosquée nous a permis de connaître l'architecture religieuse. des Aghlabides, ne nous apprend rien sur leurs successeurs immédiats. Les Fâtimides n'y sont nulle part; leur époque est un hiatus dans les traditions de la vieille ville; alors que les tombes du 1x et du x1° siècle y peuplent encore les cimetières,

on en trouve fort peu qui soient contemporaines de la grandeur des Chi'ites. C'est à Mahdîya, dans cette étroite presqu'île du cap Africa, qu'il faut aller chercher les traces de leur activité architecturale. Nous n'y trouverons pas d'édifice aussi important, aussi bien conservé et aussi accessible que la Mosquée de Sidi 'Oqba.

La Mosquée de Mahdîya fut sans doute construite par le Mahdî 'Obaïd Allah. Elle s'éleva, ainsi que la Cour des Comptes et plusieurs autres monuments publics, sur un terrain remblayé par le Mahdi et gagné sur la mer au Sud de la presqu'île. La salle de prières, dont le mur d'enceinte est battu par les vagues, compte neuf nefs. D'après H. Saladin, la nef médiane est plus large que les autres et de même la nef transversale longeant le mur de la qibla. Une coupole s'élève à chaque extrémité de la nef médiane, dispositions conformes au type aghlabite 2. Les arcs reposent sur des colonnes et des chapiteaux antiques ou chrétiens par l'intermédiaire de sommiers et d'impostes. En avant de la salle de prières s'étend la cour plus large que profonde; deux cours plus petites règnent le long des faces latérales de la salle de prières. La cour principale est entourée de portiques dont les arcs outrepassés et brisés reposent sur des piles de maçonnerie cantonnées de colonnettes. On reconnaît là une influence mésopotamienne directe ou venue par l'intermédiaire de l'Egypte (Mosquée d'Ibn Toûloûn). Ces galeries sont couvertes en voûtes d'arête. Le minaret, qui, dans son état actuel, ne dépasse guère le haut des murs, est situé à l'angle Sud-Ouest de l'enceinte. Une cour extérieure longe cette enceinte sur sa face opposée à la qibla. Une entrée s'ouvre au milieu de cette face et donne accès dans la cour à portiques. Elle est couverte par un porche qui fait saillie à l'extérieur. C'est là un motif dont nous ne connaissons pas l'analogue dans les mosquées d'Occident, et qui mérite qu'on s'y arrête (fig. 55).

Malgré ses proportions réduites, ce porche a grande allure. Deux piles massives soutiennent une voûte en berceau. L'arc de tête est un fer à cheval plein cintre. Les trois faces sont couronnées d'une sorte d'entablement. Celui-ci se compose d'une

1 Bekri, texte 30, tr. 67. Il faut corriger sab'a par tis'a, sept par neuf. 2 Saladin, Manuel, p. 215.

frise nue régnant entre deux corniches très simples et surmontée d'une plate-bande formant attique.

Le grand arc est flanqué de deux étages de défoncements, deux

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niches creuses, au-dessus de la retombée du grand arc, deux niches à fond plat au-dessous. Ces niches ont des arcs en fer à cheval. Une superposition semblable meuble les faces latérales du porche. A l'intérieur, sous la voûte, se creuse aussi, de chaque

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côté, une niche à fond plat. Au fond du porche s'ouvre une porte à linteau surmonté d'un arc de décharge outrepassé. A part les moulures, très simples, filets, gorges ou quarts de ronds, presque aucun décor ne devait enrichir cette sobre ordonnance. Seul un disque, au centre d'un écoinçon, pouvait être orné d'une rosace. Une gorge fait relief alentour des niches creuses, que l'on suppose avoir été cannelées en coquilles.

On ne sait trop à quel style s'apparente ce beau motif, dont l'âge ne fait d'ailleurs aucun doute. Le grand berceau encadré de défoncements fait penser aux lîwân persans, issus des monuments sassanites tels que le palais de Ktésiphon. On sait que plusieurs étages de défoncements y flanquent la voûte centrale et que des niches creuses s'y superposent à des niches à fond plat; ce porche de Mahdîya évoque, d'autre part, le souvenir des arcs de triomphe romains comme l'arc de Timgad ou mieux encore comme l'arc de Djemila, où des niches flanquent la baie centrale. L'attique peut sembler une réminiscence de ces monuments africains, mais il convient de ne pas oublier non plus que les niches creuses et les niches à fond plat jouent un rôle important à la coupole de la Grande Mosquée de Kairouan et que l'arc de tête de plusieurs de ces niches affecte, comme ici, la forme en fer à cheval.

La Grande Mosquée de Monastir. La conservation à l'époque fâtimite d'éléments architectoniques du 1x° siècle est possible à la Grande Mosquée de Mahdîya; elle est certaine, dans deux mosquées de Monastir la Grande Mosquée et la mosquée funéraire de la Saïyda, qui peuvent être considérées comme des œuvres de transition. La liaison avec les œuvres antérieures se marque surtout dans leur décor. J'étudierai donc ce décor en même temps que le plan, par dérogation à la méthode adoptée dans le cours de cette étude.

D'importants remaniements paraissent avoir affecté la Grande Mosquée de Monastir, qui, comme celle de Sousse, est toute voisine du ribât. Il semble que la salle de prières primitive, dont les nefs sont portées par des colonnes, ait compté seulement trois travées. A ces trois travées on en ajouta sept autres, vers le Nord, et la cour fut repoussée d'autant. La présence de piliers remplaçant les colonnes dans les sept travées antérieures suggère

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