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d'une avant-garde sous les ordres de Djerir-Ibn-Masoud de la tribu berbère de Mediouna. Celui-ci atteignit Omar à Djidjel, dans le pays des Ketama. Un combat eut lieu; Djerîr et ses partisans y périrent, et Omar entra à Tunis, accompagné d'ElMokharec. Abou-Hatem se rendit à Tripoli, où il resta jusqu'à ce qu'on lui annonça l'approche de Yezid-Ibn-Hatem. Pendant ce temps, Djemil-Ibn-Sakhr avait opéré sa jonction avec Yezîd, qu'il trouva à Sort et qui y resta encore quelque temps avant de marcher à la rencontre d'Abou-Hatem.

On rapporte qu'à partir du moment où ils se révoltèrent contre Omar-Ibn-Hafs jusqu'à leur déroute complète, les Berbères livrèrent aux troupes de la milice trois cent soixante-cinq combats.

§ XXIX.

GOUVERNEMENT DE YEZÎD, FILS DE HATEM, FILS DE CABÎCA, FILS D'EL-MOHELLEB, FILS D'ABOU-SOFRA.

L'historien dit : El-Mansour connaissait déjà la triste position d'Omer-Ibn-Hafs, quand il apprit, avec une profonde douleur, la nouvelle de sa mort. Sans perdre un instant, il ordonna à Yezîd-Ibn-Hatem de partir pour l'Ifrikïa à la tête de trente mille hommes des troupes de Khorasan et de soixante mille de celles de Basra, de Koufa et de la Syrie. Arrivé à Sort, Yezid effectua sa jonction avec Djemil-Ibn-Sakhr qui venait de rallier autour de lui une partie des miliciens qui s'étaient éloignés de Cairouan. Pendant qu'il marchait sur Tripoli, Abou-Hatem l'eibadite se dirigea vers les montagnes de Nefousa, mais il rencontra, sur sa route, l'avant-garde de Yezîd, commandée par Salem-IbnSouada de la tribu de Temîm. Par une vigoureuse attaque il obligea ce corps à se replier sur le reste de l'armée; mais, intimidé ensuite par les forces de son adversaire, il alla prendre position dans un lieu presqu'inabordable et s'y fortifia. Yezîd, étant arrivé, força les retranchements, tailla en pièces la plupart des insurgés et mit le reste en pleine déroute. AbouHatem y perdit la vie. Le cavalerie de Yezîd s'élança à la poursuite des fuyards et les extermina presque tous. Trente mille

d'entre eux restèrent sur le champ du combat, et selon quelques auteurs, la milice n'en perdit que trois [hommes]. Cette bataille fut livrée le lundi, 27 du mois de Rebiâ premier de l'an 155 (mars 772). Yezîd se tint environ un mois dans ce lieu, pendant que sa cavalerie courait à la poursuite des kharedjites et les tuait partout où elle les rencontrait. Il partit ensuite pour Cabes où il arriva le 20 du mois, premier Djomada (avril). L'ordre se rétablit alors partout 1.

En l'an 157 (774), il fit rebâtir la grande mosquée de Cairouan et construire dans cette ville des bazars pour chaque métier. Ainsi, on pourrait dire, sans trop s'écarter de la vérité, qu'il en fut la fondateur. L'Ifrikïa continua à jouir de l'ordre et de la tranquillité jusqu'à la mort de ce chef, événement qui eut lieu sous le khalifat d'Er-Rechîd. Yezîd-Ibn-Hatem était généreux, brave, clairvoyant, d'une libéralité extrême, et connu dans tous les pays par sa haute renommée. C'est lui qui disait :

La monnaie qui porte une empreinte ne s'habitue pas à ma bourse; elle n'y séjourne qu'un instant et reprend bien vite sa liberté.

Elle ne fait qu'y passer, et la bourse elle-même la repousse. Je suis un homme dont le coffre-fort et l'argent ne peuvent pas s'accorder 2.

Pendant qu'il était en Ifrîkïa, il fit paraître, en plusieurs occasions, la noblesse de son caractère et l'élévation de son ame. Un de ses intendants vint, un jour, lui dire qu'on avait offert une somme considérable pour des fèves qu'il avait fait semer dans la plaine de Cairouan 3. Yezîd, sans rien répondre, ordonna à son majordome d'emmener ses cuisiniers et valets dans ces champs et d'y dresser un grand nombre de tentes; puis il y alla lui-même avec ses amis, pour y passer la journée et y prendre un repas. Etant sur le point de s'en retourner, il appela l'intendant et lui fit

1 En l'an 156 eurent lieu la révolte et la défaite de Yahya-IbnFounas. Voyez ci-devant, page 276.

Je suis ici la leçon du Baïan, page 72.

3 L'auteur du Baian dit dans un de ses jardins de plaisance. Cette version est plus raisonnable que celle d'En-Noweiri.

infliger une sévère punition: « Fils d'une prostituée ! lui dit-il, tu veux donc que je sois déshonoré à Basra et qu'on dise que Yezîd, fils de Hatem, est devenu un marchand de légumes! Convient-il à un homme comme moi de vendre des fèves ? scélérat que tu es ! » Il donna ensuite l'ordre de laisser le champ ouvert à tout le monde; il s'y rendit lui-même pour manger, boire et faire bonne chère, de sorte que bientôt toute la récolte fut dévastée. Voici une autre anecdote qu'on raconte de lui : Étant allé un jour faire une promenade du côté de Monïa-t-el-Kheil, il rencontra sur son chemin un nombreux troupeau de moutons, et demanda à qui il appartenait. On lui répondit qu'il était la propriété de son fils Ishac. Il le fit aussitôt venir et lui dit : « Ces moutons sont-il à toi ?» « Oui, » répondit-il.

« Qu'en fais-tu ? » << je mange les agneaux, je bois le lait, je tire profit de la laine. » - <«< Si tu fais cela, reprit son père, rien ne te distingue des marchands de moutons et des bergers; qu'on livre ce troupeau au public; qu'il soit enlevé, égorgé et mangé. » Cet ordre fut exécuté, et on jeta les peaux sur une colline qui porte encore aujourd'hui le nom de Colline des peaux (Kodya-t-el-Djoloud). Il serait, du reste, trop long de rapporter ici tous les beaux traits

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Dans sa dernière maladie, dit l'historien, Yezîd avait nommé pour successeur son fils Dawoud; aussi ce prince prit le commandement à la mort de son père. Bientôt après, une révolte

La famille de Yezid habitait Basra (ou Bassora) depuis le khalifat d'Abou-Bekr. Abou-Sofra fut le premier qui s'y établit, et son fils, El-Mohelleb, déploya tant de bravoure en combattant les brigands du voisinage, que cette ville reçut le titre de Basra d'El-Mohelleb.- (IbnCoteiba, cité par Reiske; Abulfedæ annales, tom. I, pag. 105, adnot. hist.)

2 Cet endroit, dont le nom signifie lieu souhaité des chevaux, était dans le voisinage de Cairouan.

éclata parmi les Berbères des montagnes de Bédja; elle fut suivie d'une autre des eibadites commandés par Saleh-Ibn-Nasîr, de la tribu berbère de Nefzaoua. El-Mohelleb, fils de Yezîd, attaqua les insurgés à Bédja; mais il fut défait et perdit une grande partie de ses troupes. Alors Dawoud envoya contre les Berbères Soleiman-Ibn-es-Samma-Ibn-Yazîd-Ibn-Habib-Ibn-el-Mohelleb, à la tête de dix mille cavaliers. Celui-ci mit les rebelles en déroute, et en tua plus de dix mille, sans que la milice sous ses ordres eût éprouvé la moindre perte. L'historien dit ensuite: Un grand nombre des chefs berbères se joignirent à Saleh-Ibn-Nasîr; mais Soleiman marcha contre eux, en tua les principaux meneurs et revint à Cairouan. Dawoud continua à gouverner l'Ifrîkïa jusqu'à ce que son oncle Rouh-Ibn-Hatem y arrivât pour en prendre le commandement. Après avoir administré pendant neuf mois et quinze jours, il se rendit en Orient où le khalife Er-Rechîd le reçut avec distinction et lui conféra le gouvernement de l'Egypte. Plus tard, il passa au gouvernement du Sind, où il mourut.

§ XXXI. GOUVERNEMENT DE ROUH, FILS DE HATEM, FILS DE САВІСА, FILS D'EL-MOHELLEB, FILS D'ABOU-sofra.

L'historien dit qu'Er-Rechîd, ayant appris la mort de YezîdIbn-Hatem, nomma au gouvernement du Maghreb Rouh-IbnHatem, frère aîné de Yezîd. Ce fonctionnaire arriva à Cairouan en Redjeb 171 (déc.-janv. 787-788), à la tête d'un corps de cinq cents cavaliers de milice, et il y fut bientôt rejoint par son fils Cabîça, ayant sous ses ordres quinze cents cavaliers. Pendant tout le temps de son administration, le pays jouit d'une profonde tranquillité, les routes furent toujours sûres et une crainte salutaire retint les Berbères dans le devoir. Il parvint aussi à faire la paix avec Abd-el-Ouehhab-Ibn-Rostem, seigneur de Tèhert, celui dont les ouehbites tirent leur nom 1. Les affaires se main

1 La secte des Ouehbites, branche de celle des sofrites, montra comme toutes les autres sectes kharedjites, une extrême animosité contre la famille d'Ali, gendre de Mahomet. Ce sont les doctrines hérétiques des onehbites, dit-on, qui sont professées par les habitants de Djerba et par les Mozabites. (Voyez ci-devant, page 204, note.)

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tinrent dans un état satisfaisant tant qu'il gouverna la province. Il mourut dans l'exercice de ses fonctions, le 19 Ramadan 174 (janvier 794)1.

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GOUVERNEMENT DE NASR, FILS DE HABÎB, MEMBRE DE
LA FAMILLE D'EL-MOHELLEB.

L'historien rapporte qu'à cause de sa vieillesse et de sa décrépitude, Rouh-Ibn-Hatem avait l'habitude de s'abandonner au sommeil pendant les audiences publiques qu'il présidait. Cette circonstance porta le maître de la poste aux chevaux et le caïd Abou-'l-Anber à écrire au khalife Er-Rechîd pour l'informer de l'état du gouverneur, et lui exprimer la crainte que leur inspirait l'éventualité de sa mort: « Cet événement, disaient-ils, peut arriver d'un jour à l'auti e, et comme la province forme une des frontières de l'empire, elle ne saurait se maintenir sans un chef d'une grande énergie.» Dans la même lettre, ils vantèrent la sagesse de Nasr-Ibn-Habib et sa haute capacité administrative; ils parlèrent aussi de sa popularité, et proposèrent au Chef des croyants de le nommer secrètement à la place de Rouh, afin qu'il pût agir comme gouverneur provisoire, dans le cas où quelque malheur atteindrait celui-ci. Cette recommandation décida Er-Rechîd à choisir Nasr pour gouverneur et à expédier secrètement le diplôme de sa nomination. A la mort de Rouh, la grande mosquée fut tendue de tapisseries pour l'inauguration de son fils Cabîça qui devait y tenir une séance et recevoir du peuple assemblé le serment de fidélité. Pendant que cette cérémonie s'ac

1 Rouh-Ibn-Hatem avait rempli de très-hauts emplois sous les Abbacides d'abord chambellan d'El-Mansour, il passa au gouvernement de Koufa et Basra, et ensuite à ceux du Sind, de Taberistan, de la Palestine, etc. Un jour, il attendait au grand soleil, devant la porte du palais, afin de faire sa cour au khalife. Un passant lui dit : « Voilà longtemps que vous vous tenez au soleil. »> « Oui, répondit-il, mais c'est afin de

pouvoir rester longtemps a l'ombre. » — - (Baian .)

2 Les maîtres de postes comptaient parmi leurs attributions le droit de correspondre directement avec le khalife, pour le tenir au courant de tout ce qui se passait dans leurs provinces respectives.

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