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Yahya lui fit dire que s'il reconnaissait l'autorité du khalife, il devait congédier ses troupes. En conséquence de cette observation, El-Alâ renvoya ses soldats et partit pour Tripoli à la tête de trois cents de ses partisans les plus dévoués. Ibn-el-Djaroud, qui venait d'arriver en cette ville, se mit en route pour l'Orient, accompagné de Yactin-Ibn-Mouça et alla se présenter devant Haroun-er-Rechîd.

L'historien ajoute qu'El-Alâ écrivit à Mansour [-Ibn-Ziad] et à Herthema pour s'attribuer l'honneur d'avoir expulsé de l'Ifrîkïa Ibn-el-Djaroud. Herthema, dans sa réponse, l'invita à se rendre auprès de lui, et il lui donna alors une forte gratification. Haroun, ayant entendu parler de ses services, lui envoya une lettre de crédit de cent mille dirhems, et cela independamment des robes d'honneur dont on lui avait fait cadeau. Il mourut en Egypte, peu de temps après.

§ XXXV.

GOUVERNEMENT DE HERTHEMA, FILS D'AÏEN. Au commencement du mois de Rebiâ second 179 (juin-795), dit l'historien, Herthema arriva à Cairouan où il proclama une amnistie générale, et il traita le peuple avec une extrême douceur. Il bâtit, en l'année 180, le Grand Château (El-Casr-el-Kebir) à Monestîr; il éleva aussi la muraille de Tripoli du côté de la mer. Comme la province continuait toujours à être travaillée par l'esprit de faction et d'insubordination, il écrivit à Er-Rechîd pour lui demander un successeur, et ayant reçu son rappel, il partit pour l'Orient dans le mois de Ramadan 181 (novembre 797).

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§ XXXVI. GOUVERNEMENT DE MOHAMMED, FILS DE MOCATEL, FILS DE HAKIM, DE LA TRIBU D'AKK 2.

Lorsque Herthema eut sollicité son rappel, dit l'historien, le khalife Haroun choisit pour gouverner le Moghreb son frère de lait, Mohammed-Ibn-Mocatel. Ce fonctionnaire arriva à Cairouan

1 Cent mille dirbems valajent soixante mille francs.

La tribu d'Akk appartenait à la grande famille des arabes yeménites.

dans le mois de Ramadan 184. Par sa mauvaise administration, il jeta la perturbation dans les affaires, et indisposa contre lui la milice en faisant des retenues sur la solde et en la tyrannisant ainsi que le peuple. Il en résulta que le général Felah se mit en révolte avec les troupes syriennes et khoraçanites, lesquelles voulurent se donner pour chef Morra-Ibn-Makhled, de la tribu d'Azd1. En même temps, Temmam fils de Temîm, de la tribu de Temîm et lieutenant d'Ibn-Mocatel à Tunis, se révolta contre lui, et obtint des chefs et soldats, tant syriens que khoraçanites, le serment d'obeissance. Vers le milieu du mois de Ramadan de l'an 183 (octobre 799), Temmam marcha sur Cairouan, et IbnMocatel sortit afin de lui livrer bataille aux environs de Monïa-tel-Kheil. Après un combat acharné, Ibn-Mocatel fut défait, et étant rentré à Cairouan, le mercredi 25 Ramadan, il obtint de Temmam la promesse que sa vie et ses biens seraient respectés, à la condition, toutefois, de quitter le pays. Il partit la même nuit pour Tripoli, d'où il se rendit à Sort; puis il revint à Tripoli sur l'invitation écrite de quelques khoraçanites. En même temps Ibn-el-Aghleb, mécontent de la conduite de Temmam envers IbnMocatel, partit du Zab pour le combattre. A la nouvelle de son approche, Temmam évacua Cairouan et lui permit à d'y faire son entrée. Ibn-el-Aghleb monta alors en chaire, dans la grande mosquée, et déclara au peuple qu'Ibn-Mocatel était encore leur maître. Il écrivit ensuite à cet officier et le ramena dans la ville.

Temmam se mit alors en correspondance avec les gens [de guerre], afin de les indisposer contre Ibn-Mocatel, et étant parvenu à réunir une troupe nombreuse, il se flatta de pouvoir renverser de nouveau ce gouverneur. Sous l'influence de cette idée, il lui adressa la lettre suivante : « Ibrahim-Ibn-el-Aghleb ne t'a pas rétabli au pouvoir par reconnaissance pour les bienfaits dont tu l'as comblé, ni par cet esprit de fidélité dont il fait parade; mais bien dans la crainte qu'en apprennant qu'il est maître du pays,

1 Ibn-Mocatel dirigea un corps de troupes contre ce rebelle qui, voyant ses partisans prendre la fuite, se réfugia dans un mesdjid, ou oratoire, d'où il fut arraché et mis à mort. (Ibn-Khaldoun; Ibn-elAthir.)

tu ne viennes lui réclamer le commandement et le mettre ainsi dans la nécessité, soit de te le réfuser, ce qui serait un acte de rébellion, soit de te le céder, ce qu'il ferait alors contre son gré. Il t'a donc invité à venir, dans l'intention de t'exposer à des périls où tu dois trouver la mort; car demain tu recevras de nouveau une leçon semblable à celle que tu as déjà eue hier en te mesurant avec moi. >> Sa lettre était terminée par ces deux vers: ·

En te remettant la forteresse, Ibrahim n'agissait pas par esprit de fidélité, mais bien dans le but de te faire périr. Fils d'Akk ! s'il te reste assez d'intelligence pour comprendre ses desseins perfides, tu n'accepteras pas.

Après avoir lu cette missive, Ibn-Mocatel la communiqua à Ibnel-Aghleb, qui dit en riant: « Que Dieu le maudisse! il faut être imbécille pour écrire de telles choses! » Ibn-Mocatel répondit en ces termes à la lettre : « De la part d'Ibn-Mocatel au traître Temmam: j'ai reçu ta lettre, et son contenu m'a prouvé ton peu de jugement. J'ai compris ce que tu as voulu dire d'Ibn-el-Aghleb. Dans le cas même ou ton avertissement serait sincère [je ne pourrais en tirer profit], car celui qui a trahi Dieu et son Prophète, et qui est du nombre des reprouvés n'est pas de ceux que l'on prend pour conseillers; si, au contraire, ce que tu me dis est une ruse, sache que c'est une bien mauvaise ruse que celle dont on s'aperçoit. Quant à tes insinuations au sujet des motifs qui auraient porté Ibrahîm à reconnaitre mon autorité lorsque nous nous sommes rencontrés, vive Dieu ! tu les connaîtras bientôt, ces motifs, car c'est à Ibrahîm lui-même que tu auras affaire! Tu me dis que j'éprouverai, demain, en te rencontrant, ce que j'ai éprouvé hier; sache que la guerre n'est qu'une suite de vicissitudes, et qu'avec l'aide de Dieu, ce sera, demain, mon tour de remporter la victoire. » Cette lettre finissait par les deux vers suivants :

Si tu oses affronter Ibn-el-Aghleb au jour du carnage, je m'attendrai à ta défaite et à ta mort.

Car tu auras rencontré un héros qui s'élance dans la mêlée, escorté par la mort, et qui soutient avec sa lance une gloire héréditaire..

Sur la nouvelle que Temmam avait quitté Tunis à la tête d'une armée nombreuse, Ibn-Mocatel invita tous ceux qui étaient dévoués au gouvernement à se mettre sous ses ordres et à marcher contre le rebelle. Ibn-el-Aghleb l'avait déjà devancé, et, dans le combat qui s'ensuivit, Temman perdit beaucoup de monde et se trouva forcé de rentrer à Tunis. Ibn-Mocatel fit alors marcher ses troupes contre cette ville et rentra lui-même à Cairouan. Ceci se passa dans le mois de Moharrem de l'an 184. (février 800). En apprenant qu'[Ibn-el-Aghleb] approchait, Temman lui écrivit pour demander grâce, et il l'obtint. Ibn-elAghleb arriva à Cairouan avec Temman, le vendredi 8 du même mois, et lorsqu'il eut le pouvoir en main, il envoya son prisonnier à Baghdad avec d'autres chefs de la milice qui s'étaient fait un métier de la révolte. Arrivés là, ils furent tous jetés dans la prison d'Etat.

L'historien nous apprend ensuite qu'Ibn-Mocatel conserva l'autorité à Cairouan jusqu'à ce qu'il fût rappelé par le khalife Er-Rechid et remplacé par Ibrahim-Ibn-el-Aghleb, comme on le verra dans l'histoire des Aghlebides.

§ XXXVII.

COMMENCEMENT DE LA DYNASTIE AGHlebIde.

Cette dynastie fut la première qui s'établit en Ifrîkïa ; la première aussi qui, dans ce pays, porta le nom de dynastie. Jusqu'alors cette province avait été gouvernée par des lieutenants, et lorqu'un d'eux venait à mourir ou qu'il fallait le déposer à cause de sa mauvaise conduite, sa destitution émanait de celui qui commandait aux musulmans, c'est-à-dire du khalife oméïade et ensuite du khalife abbacide. Mais bientôt la famille d'Aghleb s'éleva au faîte du pouvoir et forma une dynastie presqu'indépendante; respectant toutefois la suzeraineté des Abbacides, en leur reconnaissant le droit de commandement, et en manifestant à leur égard une soumission qui n'était pourtant pas toujours entière. Ainsi, si le khalife avait voulu déposer un de ces princes, pour le remplacer par un individu d'une autre famille, il aurait rencontré chez eux une résistance ouverte. Le souverain aghle

bide léguait l'empire à celui de ses fils ou de ses frères qu'il voulait avoir pour successeur, sans même régler son choix d'après le mérite de l'individu ; et les chefs de l'armée n'apportaient aucun obstacle à ces nominations. Nous en fournirons la preuve dans le récit qui va suivre.

Cette dynastie comprit onze princes et régna cent douze ans et quelques jours. Le premier de ces souverains était IbrahimIbn-el-Aghleb.

§ XXXVIII.

REGNE D'IBRAHÎM-IBN-EL-AGHleb.

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L'historien dit Lorsqu'Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb eut rétabli Ibn-Mocatel-el-Akki dans le commandement et éloigné du pays Temmam-Ibn-Temîm, le maître des postes, Yahya-Ibn-Zîad, écrivit à Haroun-er-Rechîd pour lui faire part de ces événements. Le khalife donna lecture de cette dépêche à ses amis, et s'adressant ensuite à Herthema-Ibn-Aïen, il lui dit « [Quelle est ton opinion?] il n'y a pas longtemps que tu en viens.» «< Commandant des croyants! répondit Herthema, à l'époque de mon retour de l'Ifrîkïa, tu m'avais questionné au sujet des disposi tions du peuple, et je t'avais dit que parmi eux il ne se trouvait personne de plus dévoué, de plus illustre par sa réputation et de plus généralement aimé qu'Ibrahîm, fils d'El-Aghleb; la conduite qu'il a tenue depuis, en soutenant ton autorité, a confirmé mes paroles.>> Ces mots décidérent Er-Rechîd à faire expédier la nomination d'Ibrahîm au gouvernement de l'Ifrîkïa.

A l'arrivé de ce document, Ibrahîm fit dire à Ibn-Mocatel-elAkki qu'il pouvait retarder, tant qu'il voudrait, son départ. A l'expiration de quelques jours Ibn-Mocatel se rendit à Tripoli où il rencontra Hammad-es-Saoudi qui arrivait en Ifrikïa, porteur de

1 Ibn-el-Aghleb avait déjà écrit au khalife pour deinander le gouver. nement de l'lfrîkïa. Daus cette lettre, il prit l'engagement de renoncer à la subvention de cent mille dinars que le gouverneur de l'Egypte y envoyait tous les ans ; il offrit encore de payer au khalife une somme annuelle de quarante mille dinars.

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