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§ XXVI.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-IBN-EL-ACHATH-
EL-KHOZAÏ.

L'historien dit Après la destruction des Ourfeddjouma par les sofrites, plusieurs [notables arabes partirent pour l'Orient et se] rendirent auprès d'Abou-Djâfer-el-Mansour dont ils espéraient obtenir des secours contre les Berbères. Dans cette députation se trouvaient Abd-er-Rahman-Ibn-Zîad-Ibn-Anâm, [grand cadi de l'Ifrîkïa,] Nafê-Ibn-Abd-er-Rahman-es-Sélémi, Abou-'l-Behloul-Ibn-Obeida et Abou-'l-Eirbad. Touché du récit des malheurs qu'ils avaient éprouvés, le khalife nomma Mohammed-Ibn-el-Achâth gouverneur de l'Egypte, et celui-ci envoya en Ifrîkïa Abou-'l-Ahouès-Amr-Ibn-el-Ahouès de la tribu d'Idjl. Ce général fut battu par Abou-'l-Khattab, en l'an 142, et Ibn-el-Achâth reçut alors d'El-Mansour un corps de troupes et l'ordre écrit de les conduire en Ifrîkïa. Il se mit donc en marche avec quarante mille cavaliers, dont trente mille Khoracanites et dix mille Syriens. El-Mansour le fit accompagner par ElAghleb-Ibn-Salem de la tribu de Temim, El-Mohareb-IbnHilal-el-Farsi [de la province de Fars] et El-Mokharec-IbnGhifar de la tribu de Taï. Il enjoignit aux troupes d'obeir en toutes choses à Ibn-el-Achâth; puis, si quelque malheur arrivait à ce chef, elles devaient reconnaître El-Aghleb pour général; si elles perdaient celui-ci, elles auraient à se mettre sous le commandement d'El-Mokharec, et, à son défaut, elles prendraient les ordres d'El-Mohareb. Ce dernier mourut avant leur arrivée en Ifrîkïa. A la nouvelle de l'approche d'Ibn-el-Achâth, Abou-'lKhattab rassembla ses partisans et sortit contre lui à la tête d'une grande multitude de combattants. Arrivé à Sort, il envoya chercher à Cairouan le corps de troupes qu'Abd-er-Rahman-Ibn

1 Par Khoracanites et Syriens l'historien entend les Arabes tirés des colonies militaires établies en Khoraçan et en Syrie.

Voici le premier Aghlebide qui arrive en Afrique. La généalogie de cette famille se trouve dans Ibn-Khallikan, vol u, page 265 de ma traduction de cet ouvrage biographique.

Rostem avait sous ses ordres. Se trouvant ainsi maître d'une force immense, il mit Ibn-el-Achâth dans l'impossibilité de rien entreprendre. Bientôt, cependant, la désunion se mit parmi les troupes berbères de Zenata et de Hoouara; quelques membres de cette dernière tribu ayant tué un homme d'entre les Zenata, un nombre considérable de ceux-ci abandonnèrent Abou-'l-Khattab qu'ils soupçonnaient de partialité à l'égard des Hoouara. Ibnel-Achâth apprit cet événement avec une satisfaction extrême et fit garder les alentours du camp afin d'empêcher Abou-'l-Khattab de prendre connaissance de ses opérations. Celui-ci revint alors à Tripoli, et, de là, il se dirigea vers Ourdaça afin de combattre Ibn-el-Achâth qui venait d'occuper la ville de Sort. Quand les deux armées furent en présence, Ibn-el-Achâth dit à ses officiers d'un air très-joyeux, qu'il venait de recevoir d'ElMansour l'ordre de rentrer en Egypte. Cette nouvelle ne tarda pas à se répandre dans l'armée qui, effectivement, rétrograda d'un mille. Abou-'l-Khattab en fut bientôt informé, et un grand nombre de ses soldats s'en allèrent [pensant que leur présence ne serait plus nécessaire]. Le lendemain, Ibn-el-Achâth rétrograda encore de quelques milles, feignant d'être retardé dans sa marche par ses bagages. Il en fit autant le troisième jour; mais, alors, il choisit parmi ses troupes les hommes les plus robustes, et ayant marché toute la nuit avec eux, il tomba au lever de l'aurore sur Abou-'l-Khattab dont l'armée était déja désorganisée. Au commencement de l'action une partie des cavaliers d'Ibn-elAchâth mit pied à terre pour mieux combattre. Les Berbères furent mis en déroute, et Abou-'l-Khattab périt avec presque tous les siens. Cette rencontre eut lieu dans le mois de Rebiâ premier de l'an 144 (juin-juillet 761). Quarante mille Berbères restèrent sur le champ de bataille.

Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem se réfugia alors à Tèhert où il jeta les fondements d'une [nouvelle] ville. Quand les habitants de Cairouan eurent appris la chute d'Abou-'l-Khattab, ils jetè

1 On a déjà vu, pag. 332, que Tèhert existait du temps d'Ocba. L'auteur du Baïan dit : « En l'an 464, Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem re bâtit et repeupla Tèhert, ville très-ancienne, qui était restée abandonnée. »>

rent dans les fers le lieutenant qu'Ibn-Rostem avait laissé chez eux, et, en attendant l'arrivée d'Ibn-el-Achâth, ils mirent à leur tête Amr-Ibn-Othman, de la tribu de Coreich. Entré à Tripoli, Ibn-el-Achâth confia le commandement de cette ville à ElMokharec-Ibn-Ghifar de la tribu de Taï, et il envoya IsmailIbn-Ikrima-el-Khozaï prendre possession de la ville et du territoire de Zouîla. Ikrima se rendit maître de ce pays et en extermina tous les kharidjites. Ibn-el-Achâth fit son entrée à Cairouan le samedi 1er du mois de Dou'l-Câda, et donna l'ordre de relever les murailles de cette ville. Ce travail, commencé le samedi, 10 du mois de Djomada premier, fut terminé dans le mois de Redjeb 146 (septembre-octobre 763). Ibn-el-Achâth réduisit alors toute l'Ifrîkïa sous sa domination et s'attacha à exterminer les Berbères qui osaient encore lui résister. Cette sévérité frappa les autres d'une telle épouvante qu'ils s'empressèrent de faire leur soumission. Quelque temps après, le bruit se répandit dans la milice que son chef, Ibn-el-Achâth, avait reçu une lettre de rappel du khalife El-Mansour, et qu'il refusait d'y obéir; aussi, ce corps prit la résolution de le renvoyer et de lui substituer un nommé Eïça-Ibn-Mouça, natif de Khoraçan. Convaincu que toute résistance serait inutile, Ibn-el-Achâth quitta le pays dans le mois de Rebiâ premier de l'an 148 (mai 765). Eïça-Ibn-Mouça prit alors le commandement, sans l'antorisation du khalife et contrairement au vœu du peuple, car il n'avait reçu son pouvoir que des seuls chefs moderites 1.

§ XXVII.

GOUVERNEMENT D'EL-AGHLEB, FILS DE SALEM, FILS D'EICAL, FILS DE KHAFADJA, DE LA TRIBU DE TEMÎM 2.

L'hisitorien rapporte qu'El-Mansour, ayant appris la conduite des Moderites, fit porter à El-Aghleb, qui se tenait alors dans la

1 C'est-à-dire des chefs arabes qui tiraient leur origine de Moder, l'ancêtre des tribus de Coreich, Temîm, Kinana, etc.

2 Ibn-el-Abbar donne à El-Aghleb le surnom d'Abou-Djâfer. Le même historien rapporte, comme un on-dit, que ce fut lui qui tua Abou-Moslem, le célèbre général des Abbacides.

ville de Tobna, un acte par lequel il le constituait gouverneur de l'Ifrîkïa. Dans le mois de Djomada second de l'an 148, ElAghleb se rendit à Cairouan d'où il expulsa Eïça-Ibn-Mouça ainsi que plusieurs chefs moderites, et fit tout rentrer dans l'ordre. Plus tard Abou-Corra se révolta, à la tête d'une multitude de Berbères, mais il prit la fuite en apprennant qu'El-Aghleb s'était mis en marche avec tous ses généraux pour l'aller combattre. El-Aghleb pénétra alors dans le Zab et voulut même pousser jusqu'à Tlemcen et à Tanger; mais ses troupes, ne s'accommodant pas d'une telle entreprise, le quittèrent pendant la nuit, et prirent la route de Cairouan; de sorte qu'il ne lui resta plus qu'un petit nombre d'officiers. Sur ces entrefaites, El-Hacen-Ibn-Harb-elKindi, qui se trouvait à Tunis lors de l'expédition contre AbouCorra, écrivit à plusieurs chefs sous les ordres d'El-Aghleb [dans l'espoir de les séduire]. Un certain nombre de ceux qui avaient abandonné leur chef dans le Zab vinrent se joindre à El-Hacen qui, se voyant soutenu par Bistam-Ibn-el-Hodeil, El-Fadl-IbnMohammed et d'antres chefs, marcha sur Cairouan et l'occupa sans éprouver la moindre résistance. Il fit aussitôt emprisonner SalemIbn-Souada de la tribu du Temîm, qui commandait la ville en l'absence d'El-Aghleb. Celui-ci se porta aussitôt sur Cairouan avec le petit nombre de troupes qui lui était resté fidèle, et il écrivit, en même temps, à El-Hacen pour lui exposer les avantages de l'obéissance et les dangers de l'insoumission. A cette lettre il reçut une réponse qui se terminait par ces vers :

Porte à El-Aghleb, de la part de Hacen, une parole qui retentira au loin.

Dis-lui que le champ de la tyrannie offre un pâturage malsain, et malheur à lui s'il ose s'en approcher !

S'il refuse de me demander la paix, qu'il vienne affronter ma lance et mon épée !

↑ Ibn-el-Achàth avait confié à El-Aghleb le gouvernement du Zab et de la ville de Tobna. - (Ibn-Khaldoun.)

2 Le surnom d'El-Kindi montre que cet officier appartenait à la grande famille des Arabes yéménites, ennemis héréditaires des Arabes sortis de la souche de Moder.

El-Aghleb se porta contre lui à marches forcées, mais ensuite il se dirigea vers Cabes, d'après le conseil de ses officiers, et tâcha d'amener une défection parmi les troupes de son adversaire. Sur ces entrefaites, il vit arriver un agent d'El-Mansour, chargé de se rendre auprès d'El-Hacen-Ibn-Harb, pour l'exhorter à rentrer dans le devoir, et comme cette tentative n'eut aucun succès, il se décida à marcher contre le rebelle. Un combat acharné en résulta qui amena la défaite d'El-Hacen et la mort d'un grand nombre de ses partisans. Pendant qu'El-Aghleb s'empressait de prendre possession de Cairouan, El-Hacen rentra à Tunis, où il fit des levées considérables, et bientôt, après, il vint, à la tête d'une nombreuse armée, attaquer son adversaire. El-Aghleb réunit alors ses amis et les gens de sa maison pour leur annoncer qu'il allait se mesurer avec El-Hacen en combat singulier. Effectivement, quand l'ennemi se montra, El-Aghleb fondit sur El-Hacen pendant que ses partisans chargèrent l'aile droite des insurgés. Tout ploya devant eux, et El-Aghleb chargea de nouveau, en prononçant ces mots :

Il ne me reste qu'à enfoncer le centre, ou à mourir.

Que la guerre s'échauffe autour de moi, elle ne fait qa'exciter mon ardeur !

Je veux mourir plutôt que fuir !

Il dit et se porta sur le centre de l'ennemi avec une impétuosité que rien n'arrêta; mais il succomba à la fin, frappé à mort par une flêche. Cet événement eut lieu dans le mois de Châban, 150 (septembre 767). L'historien rapporte qu'à la chute d'ElAghleb on s'écria: «<l'émir est mort!» et que mille voix répéterent ces paroles. Il dit ailleurs : Salem-Ibn-Souada, qui commandait l'aile droite, dit à Abou-'l-Anbès: « Je ne veux pas survivre à ce jour ! » et qu'aussitôt il se précipita sur l'ennemi dont il fit un carnage affreux : El-Hacen lui-même perdit la vie dans cette bataille acharné 1.

Après la mort d'El-Aghleb, ses troupes prirent pour chef MokharecIbn-Ghifar, gouverneur de Tripoli, et forcèrent El-Hacen de s'enfuir à Tunis. De là, le chef insurgé passa dans le territoire des Ketama où son adversaire n'osa pas le poursuivre. Deux mois plus tard, il revint à

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