Images de page
PDF
ePub

furent défaits, et Tarec s'arrêta à quatre milles d'Ecija, près d'une source qui a été appelée depuis Aïn-Tarec (la source de Tarec).

Plus loin l'historien dit : La nouvelle de cette double défaite jeta la terreur parmi les Goths, et ils abandonnèrent leurs villes pour se réfugier dans Tolède. Yulian conseilla alors à Tarec de partager son armée en plusieurs corps, vu qu'il n'y avait plus rien à craindre de la part du peuple espagnol, et de marcher en personne sur Tolède. Tarec accueillit cet avis, et d'Ecija [où il était], il fit partir un corps de troupes pour Cordoue, un autre pour Grenade, un troisième pour Malaga, un quatrième pour Todmîr 1, et il marcha lui-même sur Tolède avec le corps le plus considérable. En y arrivant, il trouva la ville déserte; les habitants s'en étant retirés pour se réfugier dans une autre ville nommée Maïa, qui était située derrière la montagne 2. L'historien ajoute que les autres détachements prirent les villes contre lesquelles on les avait envoyées, et que Tarèc établit dans Tolède les juifs avec quelques-uns de ses compagnons, et se dirigea vers Ouadi'l-Hidjara (Guadalaxara). Traversant alors la montagne, en suivant un défilé qui porte depuis le nom de défilé de Tarec (FedjTarec), il arriva à une ville appelée Medina-t-el-Maïda (ville de la table) 3,où se trouvait la table de Salomon, fils de David. Cette table était en émeraude verte, ayant les bords garnis de perles, de corail, de rubis et d'autres pierres précieuses, ainsi que les pieds, qui étaient trois cent soixante en nombre. De là Tarec

1 Par le nom de pays de Todmir, ou Theodomir, les historiens arabes veulent désigner la province de Murcie.

2 Cette montagne se nomme Somosierra, mais l'emplacement et la synonymie de Maïa sont encore inconnus. (Gayangos.)

[ocr errors]

3 La position de cette ville est inconnue; mais le défilé de Tarec est dominé par une bourgade qui porte encore le nom de Buitrago, une altération de Bèb Tarec (porte de Tarec). — (Gayangos.)

$ D'après une tradition rapportée par Ibn-Abd-el-Hakem, cette table nerveilleuse aurait éte trouvée à Narbonne. Dans l'ouvrage d'ElMaccari, vol. 1, p. 286, se trouve un extrait de l'histoire de l'Espagne d'Ibn-Haiyan; cet auteur nous apprend que la table dite de Salomon avait été faite par les chrétiens et qu'elle servait à porter les évangiles. On la trouva sur le grand autel de l'église principale de Tolède.

passa par Maïa d'ou il enleva quelque butin, puis il revint à Tolède en l'an 93 (714-2 de J.-C). On dit aussi qu'il fit une incursion en Galice et pénétra jusqu'à Astorga, et qu'ensuite il rentra à Tolède, où les détachements qu'il avait fait partir d'Ecija vinrent le rejoindre, après s'être rendus maîtres de toutes les villes contre lesquelles il les avait envoyées.

Dans le mois de Ramadan de l'an 93 (juin-juillet,742 de J.-C.), Mouça-Ibn-Noceir conduisit en Espagne une armée nombreuse, et il apprit avec dépit les hauts faits de Tarec. En débarquant à Algésiras, il rejeta le conseil qu'on lui donna de suivre la route que Tarec avait prise. Ses guides lui dirent alors : « Nous vous mènerons par un chemin où il y aura plus d'honneur à acquérir que dans celui que votre devancier a choisi, et vous y trouverez des villes qui n'ont pas encore été subjuguées. » Yulian lui prédisait aussi une grande victoire, ce qui le remplit de joie, et ils partirent tous pour la ville [nommée depuis] Ibn-es-Selîm qu'ils emportèrent d'assaut. De là il se rendit à Carmona, la ville la plus forte d'Espagne, et Yulian s'y fit admettre avec ses officiers, en se donnant pour des vaincus qui fuyaient les musulmans. Mouça envoya alors de la cavalerie contre Carmona, et les affidés de Yulian leur ouvrirent les portes pendant la nuit.

Mouça se dirigea alors vers Séville, l'une des villes les plus considérables et les plus célèbres de l'Espagne, et s'en empara après un siége de quelques mois. Comme les habitants s'étaient enfuis, Mouça y établit des juifs, et il partit pour aller assiéger Mérida. La garnison de cette place ayant fait plusieurs sorties vigoureuses, Mouça plaça des troupes en embuscade dans des carrières où les infidèles ne pouvaient les apercevoir, et, aussitôt que le jour commençait à poindre, il marcha à l'assaut. Les assiégés étant sortis, comme de coutume, pour combattre les musulmans, furent enveloppés par les soldats embusqués quí se jetèrent entre eux et la ville; le combat fut long et sanglant, et ceux qui parvinrent à se soustraire à la mort rentrèrent dans la ville, qui était très

1 Cette ville était située dans la territoire de Medina-Sidonia. (Ibn-Haiyan apud Gayangos.)

forte. Après un siége de plusieurs mois, Mouça s'avança pour faire pratiquer une brêche aux murailles, mais la garnison opéra une nouvelle sortie et tailla en pièces un nombre considérable de musulmans au pied de la tour nommée depuis la Tour des Martyrs (Bordi-es-Choḥedá). Mérida se rendit, enfin, le dernier jour du mois de Ramadan de l'an 94 (30 juin 713 de J.-C.). La capitulation porta que les musulmans se mettraient en possession des biens de ceux qui périrent lors de l'embuscade, de ceux qui avaient abandonné la ville pour fuir en Galice, et des propriétés des églises, ainsi que de l'église principale.

Plus tard, le peuple de Séville s'êtant assemblé, courut sur les musulmans et extermina tous ceux qui se trouvaient dans la ville. Mouça y envoya son fils, Abd-el-Azîz,à la tête d'une armée, pour en faire le siége, et celui-ci fit périr tous les habitants. Puis, il alla s'emparer de Lebla (Niebla) et Béja, après quoi il retourna à Séville.

Le même auteur dit plus loin:

Mouça partit de Merida dans le mois de Choual, pour se rendre à Tolède. Tarec alla au-devant de lui et descendit de cheval sitôt qu'il le vit, mais Mouça lui porta à la tête un coup de fouet, parce qu'il avait outrepassé ses ordres. Arrivé à Tolède, Mouça exigea de Tarec la remise du butin et de la table. Un des pieds de cette table avait été enlevé par Tarec, et Mouça l'ayant interrogé sur ce sujet, reçut pour réponse qu'on l'avait trouvée ainsi. Il y fit mettre un nouveau pied en or, et marcha ensuite contre Saragosse, dont il s'empara ainsi que des villes voisines. Alors il envahit le pays des Francs, et arrivé dans un vaste désert et une plaine où étaient des puits, il trouva une statue [ou piédestal] debout et portant cette inscription: « Enfants d'Ismail! c'est » ici le terme de votre marche; ainsi, rebroussez chemin! » Désirez-vous savoir le sort qui vous attend? Je vous le » dirai: Il y aura des dissentions dans lesquelles vous vous » couperez les tétes les uns aux autres.»

Mouça revint alors sur ses pas, et, chemin faisant, il rencontra un messager qui lui porta l'ordre de quitter l'Espagne et de l'accompagner auprès d'El-Ouélîd. Ce contre-temps le facha beau

coup, et il remit l'envoyé de jour en jour, tout en faisant des expéditions dans le pays ennemi. Il évita toutefois l'endroit où se trouvait la statue, et s'occupa à tuer, à faire des captifs, à détruire les églises et à en briser les cloches. Toujours puissant et victorieux, il était parvenu au rocher de Belaï1, situé sur la Mer-Verte (l'Atlantique), quand un second messager arriva de la part d'El-Ouélid, pour lui enjoindre de presser son retour. Cet envoyé saisit la mule de Mouça par la bride et emmena ainsi le chef musulman. Ce fut dans la ville de Lok (Lugo), en Galice, que cette rencontre eut lieu. En revenant de là, Mouça traversa un défilé appelé depuis le défilé de Mouça (Fedj Mouça), et il fut rejoint par Tarec qui arrivait de la Frontière-Supérieure (l'Aragon). Il obligea cet officier à partir avec lui, et laissa en Espagne son propre fils, Abd-el-Azîz-Ibn-Mouça, en qualité de lieutenant. Débarqué à Ceuta, il confia à son autre fils, Abd-el-Mélek, le commandement de cette ville, de Tanger et des lieux voisins, et nomma Abd-Allah, son fils aîné, gouverneur de l'Ifrîkïa et des pays qui en dépendaient. Il prit alors la route de la Syrie, emmenant avec lui trente mille jeunes vierges, filles des princes des Goths et de leurs chefs, et emportant les dépouilles de l'Espagne, la table de Salomon, ainsi qu'une quantité immense de pierreries et d'autres objets précieux.

A son arrivée en Syrie, il apprit la mort d'El-Ouélid et l'avènement de Soleiman, fils d'Abd-el-Mélek. Le nouveau khalife n'aimait pas Mouça-Ibn-Noceir; aussi il lui ôta toutes ses charges, le bannit de sa présence et lui imposa une amende si considérable que Mouça fut obligé de s'adresser aux Arabes du Désert, pour avoir de quoi vivre. Selon une autre relation, El-Ouélîd vivait encore lors du retour de Mouça qui lui avait écrit pour annoncer la prise de la table. Quand il parut devant le khalife, il lui présenta ce qu'il avait apporté, sans oublier ce meuble précieux, mais Tarec, qui l'accompagnait, revendiqua l'honneur de l'avoir pris. Cette assertion lui attira de la part de Mouça un démenti

L'auteur aurait dû écrire : au rocher appelé depuis rocher de Belaï, ou Pelayo. C'est probablement la Sierra de Covadonga. — (Gayangos.)

formel. Sur cela, il pria El-Ouélîd de demander à Mouça ce qu'était devenu le pied qui manquait, et, comme celui-ci n'en avait aucune connaissance, il fit voir ce pied au khalife en lui disant que c'était pour cette raison qu'il l'avait caché. ElQuélid reconnut alors la véracité de Tarec. En agissant ainsi, Tarec voulait se venger de Mouça qui l'avait fait battre et garder aux arrêts jusqu'à ce qu'El-Quélîd lui rendît la liberté. Quelquesuns disent, cependant, que Mouça ne l'emprisonna pas.

On rapporte qu'il y avait en Espagne, sous la domination romaine, une maison à laquelle chaque nouveau gouverneur ajouta une serrure; leurs successeurs les Goths, en firent de même. Roderic, lors de son avènement au trône, ouvrit les serrures et trouva dans la maison des images représentant des Arabes portant des turbans rouges, et montés sur des chevaux gris; on y voyait aussit l'inscription suivante: « Lors de l'ouverture de cette maison, le peuple que voici pénétrera dans ce pays. » Et l'invasion de l'Espagne eut lieu dans cette même

année 1. § XIII.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-IBN-YEZÎD, ET MORT D'ABD-EL-AZÎZ, FILS DE MOUÇA-IBN-NOCEIR.

L'historien dit: Soliman, fils d'Abd-el-Mélek confia le gouvernement de l'Ifrîkïa à Mohammed, fils de Yezîd, client de la tribu de Coreich, et au moment de sa nomination, il lui adressa ces paroles : « O Mohammed! crains le Dieu unique, et fais fleurir la vérité et la justice dans le pays que je te confie. O mon Dieu! sois témoin [entre nous]. » Alors Mohammed se retira, en disant qu'il serait sans excuse s'il ne gouvernait pas avec équité. Sa nomination eut lieu l'an 97 (745-746 J.-C.). Pendant son

2

4 Je supprime ici un autre chapitre dans lequel Ea-Noweiri parle d'une expédition en Sardaigne, que les Arabes auraient entreprise en l'an 92. Les détails que cet historien donne à ce sujet s'accordent parfaitement avec ceux qu'Ibn-Abd-el-Hakem nous fournit au sujet d'une expédition des Arabes en Espagne. Le chapitre supprimé se trouve dans le Journal asialique de mai 1841, p. 575.

2 Ibn-Abd-el-Hakem dit en 96 ou 97; Ibn-el-Abbar place la nomination d'Ibn-Yezid en 96.

« PrécédentContinuer »