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bénédiction de Dieu soit sur toi! » Ibn-el-Athîr dit, dans son ouvrage historique intitulé le Kamel, qu'Abd-el-Mélek nomma Hassan gouverneur en l'an 74 (693-694 de J.-C.), quelque temps après la mort d'Ibn-ez-Zobeir; mais selon Ibn-er-Rakîk, le khalife envoya Hassan en Afrique avec des troupes en l'an 691. L'historien dit que cet émir entra en Ifrîkïa avec la plus forte armée qui y eut jamais mis le pied.

§ X.

PRISE ET DESTRUCTION DE CARTHAGE.

Aussitôt entré à Cairouan, dit l'historien, Hassan demanda s'il restait encore des princes en Ifrîkïa. On lui désigna le commandant de Carthage, grande ville qui n'avait pas encore été prise, et contre laquelle Ocba avait échoué. Hassan se mit en marche et livra un assaut si furieux à la ville qu'il força les Grecs qui s'y trouvaient à prendre la fuite et à s'embarquer. Les uns passèrent en Sicile, les autres en Espagne. Hassan, ayant pénétré de vive force dans la place, ne fit que piller, tuer et faire des captifs. Il expédia alors des détachements dans les environs et donna l'ordre de mettre la ville en ruines. Les musulmans en détruisaient tout ce qu'il leur était possible de faire, quand leur général apprit que les Grecs et les Berbères s'étaient rassemblés à Satfoura et Benzert. Il alla aussitôt les y atttaquer, et il en tua un grand nombre. Les musulmans s'emparèrent de ce territoire et réduisirent toutes les places fortes auxquelles ils mirent le siége. Les habitants de l'Ifrîkïa en furent consternés ; les Roum, mis en déroute, se refugièrent dans la ville de Bédja, et les Berbères dans celle de Bône. Hassan retourna ensuite à Cairouan pour prendre du repos et en donner à ses troupes.

1 En l'an 78, selon l'auteur du Baïan qui avoue qu'on ignore les véritables dates de l'expédition de Hassan-Ibn-en-Noman, de la prise de Carthage et de la mort de la Kahena. Il aurait pu ajouter, de presque tous les faits qui se sont passés en Afrique sous les premiers émirs arabes; même, dans le récit de ces faits, les historiens et traditionistes se contredisent.

2 Selon Ibn-Abd-el-Hakem, il ne se trouva dans la ville qu'un petit nombre de Roum, tous de la classe pauvre. Le reste s'était embarqué avec leur gouverneur.

§ XI.

GUERRE DE HASSAN AVEC LA KAHENA; DÉVASTATION DE
L'IFRIKIA, ET MORT DE LA KAHENA.

L'historien dit: Hassan demanda alors quel était le prince le plus puissant qui restait encore en Ifrîkïa, et on lui désigna une femme qui gouvernait les Berbères, et qui était généralement connue sous le nom d'El-Kahena 1. « Elle demeure, dirent-ils, au Mont-Auras; elle est d'origine berbère, et depuis la mort de Koceila, les Berbères se sont ralliés à elle. » Cette femme prédisait l'avenir, et tout ce qu'elle annonça ne manqua pas d'arriver. On lui parla encore de la puissance qu'elle exerçait, en l'assurant que la mort d'une personne aussi redoutable pourrait seule mettre un terme aux révoltes des Berbères. La Kahena, avertie que Hassan s'était mis en marche pour l'attaquer, fit démolir la forteresse de Baghaïa, dans la pensée que c'était à la possession des places fortes que visait le général musulman. Hassan s'avança pourtant contre elle sans se soucier de ce qu'elle venait de faire, et il lui livra bataille sur le bord de la rivière Nîni. Après un combat acharné, les musulmans furent mis en déroute; un grand nombre d'entre eux perdit la vie, et plusieurs des compagnons de de Hassan furent faits prisonniers. La Kahena les traita avec bonté, et les renvoya tous, à l'exception de Khaled-Ibn-Yezîd de la tribu de Caïs, homme distingué par son rang et par sa bravoure, qu'elle adopta pour fils. Hassan évacua alors l'Ifrîkïa, et écrivit à Abd-el-Mélek pour l'informer de sa position. Le khalife répondit à sa lettre en lui enjoignant de rester où il était jusqu'à nouvel ordre; aussi Hassan demeura dans la province de Barca pendant cinq ans. L'endroit où il s'était établi reçut le nom de Cosour Hassan (les chateaux de Hassan). La Kahena, devenue maîtresse de toute l'Ifrîkïa, tyrannisa les habitants de ce pays. A la fin, Abd-el-Mélek envoya à Hassan des trou

1 En arabe le mot Kahena signifie devineresse; en hebreu Kohen veut dire prêtre. Ibn- Khaldoun nous apprend que cette femme professait le judaïsme.

2 Khaled témoigna sa reconnaissance de cette faveur en ouvrant une correspondance secrète avec Hassan, pour le tenir au courant de toutes les démarches de la Kahena.

pes et de l'argent, avec ordre de rentrer en Ifrikïa. A son approche, la Kahena dit à son peuple : « Les Arabes veulent s'emparer des villes, de l'or et de l'argent, tansdis que nous, nous ne désirons posséder que des champs pour la culture et le pâturage. Je pense donc qu'il n'y a qu'un plan à suivre : c'est de ruiner le pays afin de les décourager. » Elle envoya donc ses partisans partout, afin de renverser les villes, démolir les châteaux, couper les arbres et enlever les biens des habitants. Abd-er-Rahman-Ibn-Ziad-Ibn-Anam rapporte que tout le pays, depuis Tripoli jusqu'à Tanger n'était qu'un seul bocage et une succession continuelle de villages, et que tout fut détruit par cette femme. Quand Hassan s'approcha de l'Ifrîkïa, il eut le plaisir de voir les Roum venir à sa rencontre et implorer son secours contre la Kahena. Il se dirigea alors sur Cabes, dont les habitants vinrent au-devant de lui pour lui offrir une somme d'argent et faire leur soumission. Autrefois ils n'avaient jamais voulu admettre d'émir arabe dans leur ville aussi, Hassan leur donna pour gouverneur un jeune esclave. De là il se rendit à Cafsa qui se soumit à son autorité, ainsi que Castîlia et Nefzaoua.

Quand la Kahena vit approcher l'avant-garde arabe, elle fit venir ses deux fils, ainsi que Khaled-Ibn-Yezîd, et leur annonça qu'elle-même serait tuée, et que pour eux, ils devraient se rendre auprès de Hassan et solliciter leur grâce. Le général musulman accueillit les deux transfuges et les mit sous la sauve-garde d'un de ses officiers, puis, il ordonna à Khaled de se porter en avant au galop. Les troupes arabes engagèrent avec celles de la Kahena un combat acharné, et le carnage fut si grand que tous s'attendaient à être exterminés; mais Dieu étant venu au secours des Musulmans, les Berbères furent mis en déroute, après avoir éprouvé des pertes énormes. La Kahena fut atteinte et tuée pendant qu'elle s'enfuyait. Les Berbères demandèrent grâce à Hassan, et obtinrent leur pardon, à la condition de fournir aux Musulmans un corps auxiliaire de douze mille hommes. Cette troupe fut aussitôt mise, par Hassan, sous les ordres des deux fils de la

1 Ou page. Le mot arabe rolam signifie garçon, domestique, jeune esclave blanc.

Kahena. Dès cette époque, l'islamisme se propagea parmi les Berbères. La guerre étant terminée de cette manière, Hassan revint à Cairouan, et réorganisa l'administration du pays.

Il fut déposé de son commandement par Abd-el-Aziz-IbnMerouan, gouverneur de l'Égypte et de l'Ifrîkïa, qui le rappela, lors de la mort d'Abd-el-Mélek et de l'avénement d'El-Ouélid, fils de ce khalife. Abd-el-Azîz envoya en même temps quarante de ses principaux officiers pour avoir soin de tout ce qui se trouvait en la possession de Hassan; mais celui-ci, ayant deviné leur commission, cacha, dans des outres à eau, les pierreries, les perles et l'or qu'il avait entre les mains, et laissa ces outres exposés dans le camp; quant au reste du butin, il le mit sous leurs yeux. Étant arrivé en Égypte, il alla voir Abd-el-Azîz et le pria de choisir deux cents des plus beaux esclaves, tant filles que garçons, qu'il aurait amenés avec lui. On dit que le nombre de ces captifs montait à trente-cinq mille. Abd-el-Azîz en prit tout ce qui lui convenait, ainsi que plusieurs chevaux appartenant au général. Hassan partit avec ce qui lui restait, et alla se plaindre à El-Ouélîd-Ibn-Abd-el-Mélek. Ce khalife fut indigné de la conduite de son oncle, Abd-el-Azîz, et déclara qu'il avait agi sans autorisation. Hassan ordonna alors à ses gens de lui apporter les outres, et il les vida en présence d'El-Ouélîd qui resta muet d'étonnement à l'aspect de tant de pierreries, de perles et d'or. <«< Commandant des croyants, lui dit-il, je suis parti avec l'unique intention de combattre dans la voie de Dieu, et je n'ai trahi mon devoir ni envers lui, ni envers le khalife ». — « Retourne dans

1 Rentré à Cairouan, Hassan y bâtit la grande mosquée, organisa des bureaux pour l'administration civile et militaire, et soumit au kharadj les étrangers qui se trouvaient encore en Ifrîkïa ainsi que cette portion des Berbères qui, à l'instar de ceux-là, avaient continué à professer la religion chrétienne. La plupart de ces Berbères appartenaient à la branche de Bernès.-(Ibn-Abd-el-Hakem).- D'après En-Noweiri, la grande mosquée fut bâtie par Ocba.

2 Abd-el-Azîz mourut en l'an 85, et El-Ouélîd monta sur le trône en 86; En-Noweiri a probablement confondu Abd-el-Azîz avec son neveu et successeur, Abd-Allah-Ibn-Abd-el-Mélek. Selon Ibn-Abd-el-Hakem, Hassan fut rappelé par le khalife Abd-el-Mélek, en l'an 76.

ton gouvernement, lui répondit El-Ouélîd, et sois assuré de ma bienveillance.»Hassan reprit : « Je jure que jamais je n'accepterai plus un commandement sous la dynastie oméïade ! ». Par sa fidélité et sa probité, Hassan s'était acquis le titre d'EsCheikh-el-Emîn (le vieillard intègre). Il eut pour successeur Mouça-Ibn-Noceir.

§ XII.

GOUVERNEMENt de mouça-IBN-NOCEIR.

Sur le refus de Hassan, El-Ouélîd écrivit à son oncle Abd-elAzîz, d'envoyer en Ifrikïa Mouça-Ihn-Noceir1, et il lui signifia que cette province serait indépendante de celle de l'Égypte, et qu'elle relèverait immédiatement du khalife 2.

Aussitôt que Mouça fut arrivé à sa destination, il déposa Saleh 3, lieutenant de Hassan, et ayant appris qu'il se trouvait sur les frontières une foule de gens qui s'étaient soustraits à l'obéissance, il envoya contre eux son fils Abd-Allah, qui les défit dans une bataille et ramena à son père cent mille prisonniers. Son second fils, Merouan, qu'il avait envoyé d'un autre côté, rentra également avec cent mille prisonniers. Mouça, lui-même, marcha dans une autre direction et revint avec le même nombre de captifs. « Ce jour-là, dit El-LeithIbn-Sâd, le quint légal montait à soixante mille prison

Au rapport d'Ibn-Açaker, dans son histoire biographique de Damas, (manuscrit de la bibliothèque d'Atef-Pacha, à Constantinople), le nom du père de Mouça est la forme diminutif de Nasr, ce qui montre qu'on le prononçait Noceir et non pas Nacir.

Nous venons de faire observer qu'Abd-el-Azîz mourut avant l'avénement d'El-Ouélid. En-Noweri s'est donc trompé ici de nouveau. IbnAbd-el-Hakem dit que la nomination de Mouça au gouvernement de l'Afrique eut lieu en 78 ou 79 (697-9); Ibn-Açaker la place en 79, et nous lisons dans le Nodjoum qu'en l'an 84, Mouça avait fait des grandes conquêtes dans ce pays et ramené cinquante mille prisonniers. Il est donc évident que la date de 86, indiquée par En-Noweiri et Ibn-Khaldoum (dans l'histoire des émirs arabes), est inexacte.

3 Abou-Salch, selon Ibn-Abd-el-Hakem.

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