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vers l'lfrîkia. Quand on fut à la hauteur de la source d'eau qui est aujourd'hui appelée Ma-el-Férès (l'eau du cheval), mais qui n'existait pas alors, Ocba et ses troupes furent réduits à la dernière extrémité par la soif. Il fit en conséquence une prière de de deux rékas, et invoqua Dieu tout-puissant. Aussitôt son cheval commença à gratter la terre avec son pied, et à écarter le gra vier, de sorte qu'il mit à découvert une couche de rocher d'où sortait de l'eau. L'animal se mit alors à boire, et d'après les ordres d'Ocba, les troupes creusèrent la terre, et ouvrirent soixantedix puits, d'où elles tirèrent assez d'eau pour étancher leur soif et faire leur provision. Ce fut alors que ce lieu reçut le nom de Mael-Férès *. De là il se rendit à Tobna, petite ville à huit journées de Cairouan, et dans l'assurance que le pays tout entier était parfaitement soumis et qu'il n'y avait plus d'ennemi à craindre, il ordonna à sa troupes de marcher, par détachements, à leur destination. Il se dirigea lui-même vers Tehouda et Badîs pour en faire la reconnaissance et pour voir combien il faudrait de cavalerie pour bloquer ces deux villes. Quand il y eut laissé les hommes nécessaires pour cet objet, les Roum remarquèrent qu'il ne lui restait qu'un très-petit nombre de troupes et conçurent l'espoir de l'accabler. Ayant donc fermé les portes de leurs forteresses, ils lui lancèrent des flèches, des pierres et des imprécations, pendant qu'il les appelait [à se convertir] à Dieu. Quand il fut parvenu au cœur du pays, les Roum envoyèrent un agent auprès de Koceila-Ibn-Behrem el-Aurébi, chef Berbère qui se trouvait avec l'armée d'Ocba.

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RÉVOLTE DE KOCEILA; MORT D'OCBA-IBN-NAFÉ, ET
PRISE DE CAIROUAN.

Koceila était un des hommes principaux parmi les Berbères.

"Selon Ibn-Abd-el-Hakem, cette aventure arriva sur la route du Fezzan à Tripoli. (Voyez ci-devant, page 340.) On trouve cependant un Aïn-Férès (source du cheval), au pied du télégraphe de Sidi-Daho, entre Tlemcen et Sidi-Bel-Abbès, précisément sur la route que devait suivre Okba en retournant du Sous en l'Ifrîkïa.

Il faut lire Lemezm.

Devenu musulman pendant le gouvernement d'Abou-'l-Mohadjer, il fut si sincère dans sa conversion que celui-ci en parla à Ocba qui venait d'arriver, et l'instruisit de la grande influence que Koceila exerçait sur les Berbères. Ocba ne fit aucune attention à cette recommandation; au contraire, il ne témoigna pour le néophyte que de l'indifférence et du mépris. Parmi les traits insultants qu'il se permit envers lui, on raconte le suivant: il venait de recevoir des moutons, et voulant en faire égorger un, il ordonna à Koceila de l'écorcher. « Que Dieu dirige l'émir vers le bien! lui dit le chef berbère, j'ai ici mes jeunes gens et mes serviteurs qui pourront m'éviter cette peine. » Ocba y répondit par des paroles offensantes et lui ordonna de se lever [et sortir]. Koceila se retira en colère, et, ayant égorgé le mouton, il essuya sa main encore sanglante sur sa barbe. Quelques Arabes s'appro chèrent alors et lui dirent: « Que fais-tu, Berbère? » à quoi il répondit: « Cela est bon pour les poils.» Mais un vieillard d'entre les Arabes passa et s'écria : « Ce n'est pas pour cela; c'est une menace que ce Berbère vous fait ! » Alors Abou'-l-Mohadjer s'adressa à Ocba et lui dit : « Que viens-tu faire ! voilà un homme des plus distingués parmi son peuple, un homme qui était encore polythéiste il y a peu de temps; et tu prends à tâche de faire naître la rancune dans son cœur ! je te conseille maintenant de lui faire lier les mains derrière le dos, autrement tu seras vic→ time de sa perfidie. » Ocba méprisa cet avis, et Koceila, qui était en correspondance avec les Roum, profita d'un instant favorable et prit la fuite. Bientôt après, il se vit entouré de ses cousins, de ses gens et d'une foule de Roum. Abou'-l-Mohadjer recommanda alors à Ocba de l'attaquer sans lui donner le temps d'organiser ses forces; car, pendant toute cette expédition, Ocba menait Abou'-l-Mohadjer avec lui et le tenait dans les fers. Il marcha donc contre Koceila, et celui-ci se retira devant lui. Alors les Berbères dirent à leur chef: « Pourquoi reculer? ne sommesnous pas cinq mille? » <«< Chaque jour, leur répondit Koceila, va grossir notre nombre et diminuer le sien: une grande partie de ses forces l'a déjà quitté, et j'attends, pour l'attaquer, qu'il s'en retourne vers l'Ifrîkïa. » Quant à Abou-'l-Mohadjer, il prononça

ces vers d'Abou-Mihdjen, en les appliquant à sa propre position.

C'est pour moi assez de douleur que d'être laissé dans les fers, pendant que les chevaux et les cavaliers s'élancent au combat. Quand je me lève, le poids de mes chaines m'accable, et les portes qui menent au festin restent fermées devant moi

Ocba, auquel on rapporta ces paroles, le fit mettre en liberté et lui ordonna d'aller rejoindre les musulmans [à Cairouan], et d'en prendre le commandement; «< quant à moi, lui dit-il, je veux gagner le martyre.»-« Et moi aussi! répondit Abou-'l-Mohadjer, je veux partager ton sort. » Ocba fit alors une prière de deux rékas, et brisa le fourreau de son épée. Abou'l-Mohadjer fit de même, ainsi que les autres musulmans. Les cavaliers mirent pied à terre par l'ordre d'Ocba, et combattirent avec intrépidité jusqu'à la mort : pas un n'en échappa.

Zoheir-Ibn-Caïs prit alors la résolution d'attaquer les Berbères; mais ses troupes refusèrent de lui obéir. Il se rendit, en conséquence, à Barca où la plupart des habitants de Cairouan allèrent le rejoindre. Koceila, à la tête d'une multitude immense, marcha sur Cairouan où quelques musulmans, qui n'avient pu emporter leurs effets ni emmener leurs familles, restaiènt encore. Comme ils offraient de rendre la ville pourvu qu'on leur fit grâce, Koceila y donna son consentement et se trouva maître de Cairouan et de l'Ifrîkïa. Il y resta jusqu'au temps où l'autorité [du khalife] Abd-el-Mélek-Ibn-Merouan fut raffermie. Mention ayant été faite alors, en presence du khalife, de la triste position de Cairouan et des musulmans qui y étaient restés, on l'engagea d'y envoyer des troupes, afin de délivrer ce pays de Koceila.

1 Le poète Abou-Mihdjen, natif de Thakîf, fut un des compagnons de Mahomet. Il était tellement adonné au vin que le général de l'armée arabe l'avait fait mettre aux arrêts peu de temps avant la bataille de Cadicia. Dans les vers cités ici, le poète exprime ses regrets de ne pas pouvoir prendre part au combat qui allait se livrer. — Voyez son histoire dans le Journal Asiatique de février 1844.

2 Quelques-uns furent faits prisonniers; voyez ci-devant, page 288. · Ibn-Abd-el-Hakem place la mort d'Ocba en l'an 63 (682-3).

§ VIII.

GOUVERNEMENT DE ZOHEIR-IBN-CAÏS, ET MORT DE
KOCEILA LE BERBÈRE.

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L'historien dit qu'Abd-el-Mélek accueillit le conseil d'envoyer des troupes en Ifrikïa et déclara que pour venger sur les polythéites la mort d'Ocba, il faudrait trouver un homme qui ressemblåt à ce chef par la piété. Alors, d'un accord unanime, on lui désigna Zoheir-Ibn-Caïs. « C'est le compagnon d'Ocba, lui dit-on; c'est lui qui est le mieux au courant de ses habitudes, et qui est le plus digne de venger sa mort. » Zoheir était en garnison à Barca quand il reçut d'Abd-el-Mélek une dépêche qui lui prescrivit de partir en toute hâte pour l'Ifrîkïa. Il répondit au khalife qu'il lui fallait des hommes et de l'argent : ces secours lui furent envoyés. Parmi les nouveaux venus se trouvèrent les principaux personnages de la Syrie 1.

En l'an 67 (686-687), quand ces renforts furent arrivés, il marcha vers l'Ifrîkïa, à la tête d'une armée nombreuse. Koceila, averti de son approche, partit de Cairouan avec les Berbères et se rendit à Mems. Zoheir vint alors prendre position aux environs de Cairouan, et, après avoir donné à ses troupes trois jours de repos, il marcha contre l'ennemi. La rencontre fut terrible; de chaque côté ont fit des pertes énormes; mais la journée se termina par la mort de Koceila et d'un grand nombre de ses partisans. Les musulmans poursuivirent les fuyards et tuèrent tous ceux qu'ils purent atteindre les chefs d'entre les Roum et les Berbères, leurs nobles et leurs princes, tous y succombèrent.

Zoheir revint à Cairouan, et voyant que l'Ifrîkïa pourrait former un vaste empire [il sentit remuer son ambition]; mais ensuite, comme il était rempli de dévotion et de l'esprit de mortification, il se dit : « Je veux combattre pour la cause de Dieu, car je crains de périr si je cède à mon penchant pour le monde. » Laissant alors quelques troupes à Cairouan, il partit avec un

1 Probablement quelques chefs des tribus que l'on avait établies en Syrie, comme colonies militaires.

corps nombreux pour l'Orient. Les Grecs de Constantinople, sachant qu'il était entré en Ifrîkïa après avoir laissé Barca sans défenseurs, sortirent de l'île de Sicile avec une grande flotte, attaquèrent cette ville et y portèrent le massacre et le pillage. Zoheir, qui venait de quitter l'Ifrikïa, et qui arrivait à Barca pendant que les Grecs y étaient encore, fit aussitôt mettre pied à terre et attaqua l'ennemi avec une ardeur extrême. La bataille fut terrible; mais, accablé par le nombre des Grecs, il succomba avec tous les siens. Pas un seul n'échappa, et les Grecs emportèrent leur butin à Constantinople.

Abd-el-Mélek fut très-affligé de la mort de Zoheir; mort qui avait tant d'analogie avec celle d'Ocba; mais la révolte d'AbdAllah-Ibn-ez-Zobeir l'empêcha de s'occuper des affaires de Cairouan. Ce ne fut qu'après la mort d'lbn-ez-Zobeir qu'il y envoya comme gouverneur Hassan-Ibn-en-Noman, de la tribu de Ghassan.

§ X.

GOUVERNEMENT ᎠᎬ

HASSAN-IBN-EN-NOMAN-EL-GHASSANI.

L'historien dit: Abd-el-Mélek donna ordre à Hassan-Ibn-enNoman de se tenir en Egypte avec une armée de quarante mille hommes, afin d'être prêt à tout événement. Ensuite il lui écrivit de se mettre en marche pour l'Ifrîkïa : « Je te laisse les mains libres, disait-il; puise dans les trésors de l'Egypte et distribue des gratifications à tes compagnons et à ceux qui se joindront à toi. Ensuite va faire la guerre sainte dans l'Ifrîkïa, et que la

1 En l'an 76 (695), les Grecs firent une descente à Antabolos (Barca) et occupèrent cette ville pendant quarante jours. Ibn-en-Nasrani, le commandant, parvint à s'échapper. Zoheir, auquel El-Aziz, gouverneur de l'Egypte, envoya l'ordre de chasser l'ennemi, les attaqua avec soixante-dix hommes et périt, lui et tous ses compagnons. Un arabe de la tribu de Medhedj qui s'était retiré dans le Désert pour éviter la peste dont on souffrait depuis quelque temps à Antabolos, rassembla alors un corps de sept cents musulmans et força les Grecs à se rembarquer. La mort de Zoheir eut lieu en 76. — (Ibn-Abd-elHakem.)- La comparaison de ce récit avec celui d'En-Noweiri démontre l'extrême incertitude de l'histoire de l'Afrique dans le premier siècle de l'hégire.

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