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GOUVERNEMENT DE MOAQUÏA-IBN-HODEIDJ-EL-KINDI,

ET SECONDE INVASION DE L'IFRÎKÏA.

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3

Moaouïa-Ibn-Hodeidj de la tribu de Kinda fut chargé du gouvernement de l'Ifrîkïa en l'an 45 de l'hégire (665-6). La manière de sa nomination est ainsi racontée : Héraclius, seigneur de Constantinople, se faisait payer chaque année un tribut fixe par tous les princes de la terre et de la mer. En apprenant à quelles conditions Abd-Allah-Ibn-Abi-Sarh avait accordé la paix aux habitants de l'Ifrîkïa, il y envoya un patrice nommé Aulìma 3 pour exiger d'eux trois cents talents d'or, somme égale à celle qu'ils avaient donnée au général arabe. Le patrice débarqua à Carthage et leur fit part de l'ordre de son souverain, mais ils refusèrent d'y satisfaire, disant que ce qu'Ibn-Abi-Sarh leur avait pris était pour le rachat de leurs vies, et que le prince, leur seigneur, n'aurait que le tribut qu'ils avaient l'habitude de lui payer chaque année. Djenaha, qui gouvernait l'Ifrîkïa à la place de Djoredjîr, chassa alors le patrice, et, plus tard, les habitants du pays se rassemblèrent et prirent pour chef un nommé Elatilion [ou Elatérion, Eleuthèrion]. Quant à Djenaha, il passa en Syrie, et alla trouver [le khalife] Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan *, à qui il exposa la situation de l'Ifrikïa. Lui ayant demandé, en même temps, à y être renvoyé à la tête d'une armée arabe, il obtint un corps de troupes assez nombreux et partit pour Alexandrie avec Moaouïa-Ibn-Hodeidj. Arrivé en cette ville, il mourut, et ce fut Moaouïa-Ibn-Hodeidj qui conduisit l'armée en Ifrikïa. Ainsi la guerre, qui s'annonçait depuis quelque temps, éclata de nouveau. Dans cette armée, se trouvèrent Abd-elMélek, fils de Merouan; Yahya, fils d'El-Hakem; Coreib, fils

↑ Les manuscrits portent Khodeidj, mais l'orthographe de ce nom telle qu'Abou-'l-Mahacen l'a fixée, nous a parue préférable.

2 Ibn Khaldonn place cette nomination en l'an 34.

3 Variante: Quelima.

Moaouïa fut reconnu pour khalife en l'an 41 (661); la date 34, donnée par Ibn-Khaldoun est donc fausse.

d'Ibrahim-Ibn-es-Sabbah, et Khaled, fils de Thabet de la tribu de Coreich. L'on rapporte aussi qu'Abd-Allah, fils du khalife Omar-Ibn-el-Khattab, s'y trouva avec Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir et les personnages les plus éminents des milices de la Syrie et de l'Egypte.

Les habitants de l'Ifrîkïa croyaient toujours que Djenaha était à la tête de l'expédition. Quand Ibn-Hodeidj vint camper au pied d'une colline située à dix parasanges à l'occident de Camounia, il y essuya un tel temps de pluie qu'il s'écria : « Notre montagne est bien arrosée (Mamtour). Ce nom est resté à la montagne jusqu'à ce jour. Il dit ensuite: « Marchons à ce pic de montagne (carn), » et, depuis lors, ce lieu fut appelé El-Carn.

Alors un patrice nommé Nicéphore, sous les ordres duquel le roi des Grecs avait placé une armée de trente mille combattants, vint débarquer à Sentirta3. Un détachement de cavalerie qu'IbnHodeidj envoya à la rencontre de ces troupes, les mit en déroute et les obligea à reprendre la mer. Ibn-Hodeidj dirigea alors ses attaques contre Djeloula et alla combattre les habitants jusqu'aux portes de la ville. Chaque matin, il leur livrait bataille; mais, aussitôt après midi, il rentrait dans son camp à El-Carn. Un certain jour, après les avoir combattus, il venait de reprendre chemin du camp, quand Abd-el-Mélek, fils de Merouan, revint sur ses pas pour chercher son arc qu'il avait laissé suspendu à un arbre; s'apercevant alors qu'un côté de la ville venait de s'écrouler, il rappela ses compagnons, et, à la suite d'une lutte qui coûta la vie à beaucoup de monde, il prit Djeloula d'assaut. On s'empara de tout ce que la place renfermait, après en avoir tué la garnison et réduit les habitants en esclavage. Selon un autre récit, Ibn-Hodeidj s'était tenu à El-Carn, et avait envoyé Abd-el

↑ Voyez ci-devant, page 221, note 1.

* Ceci est l'endroit qu'Ibn-Abd-el-Hakem appelle Counia. (Voyez cidevant page 307.)

3 Variante: Santbertha. Cette localité est inconnue.

Selon l'auteur du Baïan, Nicéphore mit à la voile sans avoir engagé le combat.

Mélek à la tête de mille cavaliers pour assiéger Djeloula. Après avoir passé quelques jours dans des tentatives inutiles, ils battirent en retraite, mais à peine s'étaient-ils éloignés, qu'ils virent des tourbillons de poussière s'élever derrière eux. Pensant que c'était l'ennemi qui sortait à leur poursuite, ils firent volte-face pour le recevoir, et, alors, ils s'aperçurent que tout un côté de la muraille de la ville venait de s'écrouler. Aussitôt ils livrèrent l'assaut, et ayant emporté la place, ils tuèrent, pillèrent et firent des esclaves. Abd-el-Mélek revint auprès de Moaouïa {-Ibn-Hodeidj] qui l'attendait dans son camp à El-Carn, et lui remit le butin. Une dispute s'éleva alors au sujet du partage : Abd-el-Mélek réclamait le tout pour ses compagnons, et Ibn-Hodeidj voulait en faire la distribution à tous les musulmans de l'armée. A la fin, on écrivit au khalife Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan, et celui-ci répondit qu'il fallait rappeler les corps détachés et faire le partage du butin entre tout le monde. Dans la distribution qui eut lieu, chaque cavalier reçut trois-cents dinars.

El-Beladori dit que Moaouïa-Ibn-Hodeidj fut le premier qui envoya des troupes contre la Sicile. Le chef de cette expédition se nommait Abd-Allah-Ibn-Caïs 3.

[ Ibn-er-Rakik, dont nous continuerons à citer l'histoire,] ajoute Moaouïa-Ibn-Hodeidj rentra alors en Egypte, et reçut d'Ibn-Abi-Sofyan le gouvernement de ce pays, en échange de celui de l'Ifrikia. Ce dernier pays devint ainsi un gouvernement séparé, ne dépendant plus de celui de l'Egypte, mais relevant directement du khalife.

'D'après la loi islamique tous les soldats faisant partie d'une armée ont un droit égal au butin.

• El-Beladori, l'auteur du Livre des conquêtes faites par les Musulmans, mourut en l'an 279 (892-3). M. Hamaker a donné une notice şur cet écrivain dans son Specimen Catal. Bibl. Lugd. Bat. p. 7.

3 On lit dans le Baïan que la flotte envoyée contre la Sicile se composa de deux cents navires. Les musulmans restèrent un mois dans cette île et en rapportèrent des prisonniers et des images ornées de pierres précieuses. Cette expédition eut lieu l'an 46 (666-7).

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GOUVERNEMENT D'OCBA-IBN-NAFÊ-EL-FIHRI, Et troisième
EXPÉDITION EN IFRÎKÏA.

L'historien dit : en l'an 50 (670) Moaouïa-Ibn-Abi-Sofyan envoya en Afrique Ocba-Ibn-Nafê de la tribu de Fihr [Coreich], lequel était resté à Barca et à Zouîla pendant qu'Amr-Ibn-el-Aci gouvernait l'Egypte1. Ocba rassembla les Berbères néophytes, et les incorpora dans l'armée que Moaouïa venait de lui envoyer et qui se composait de dix mille cavaliers musulmans. Il marcha aussitôt contre l'Ifrîkïa, et, y ayant pénétré, il passa au fil de l'épée tous les chrétiens qui y restaient 2. Il dit alors [à ses troupes] : « Quand un imam 3 entre en Ifrîkïa, les habitants de ce pays se mettent à l'abri du danger en faisant la profession de l'islamisme, mais aussitôt que l'imam se retire, ces gens-là retombent dans l'infidélité. Je suis donc d'avis, ô musulmans ! de fonder une ville qui puisse servir de camp et d'appui à l'islamisme jusqu'à la fin des temps. » Ge conseil fut adopté.

§ IV.

-FONDATION DE LA VILLE DE CAIROUAN.

Les historiens disent qu'Ocba ayant fait comprendre aux musulmans la nécessité de fonder une ville, les mena à l'emplacement où Cairouan devait s'élever et qui était alors couvert d'un bois

1 Amr-Ibn-el-Aci gouverna l'Egypte depuis l'an 20 jusqu'à l'an 25, et depuis l'an 38 jusqu'à l'an 43. Or, Ibn-Khaldoun dit, dans l'histoire des émirs arabes qu'en l'an 45, Moaouïa ôta le gouvernement de l'Afrique à Moaouïa-Ibn-Hodeidj pour le confier à Ocba-Ibn-Nafê. Cette date me paraît inadmissible.

2 Ici l'auteur exagère à la manière arabe; nous savons qu'Ocba mourut en combattant les Berbères et chrétiens qui s'étaient réunis pour l'attaquer.

3 C'est-à-dire une personne revêtue de l'autorité spirituelle et temporelle; tels étaient les généraux de ce temps-là, quand ils agissaient comme représentants du khalife.

fourré et impénétrable 1.« Voici, dit-il, notre affaire.»- « Comment! lui répondirent ses compagnons, tu nous ordonnes de bâtir dans un marécage boisé où personne ne saurait passer, et où nous aurons à craindre les animaux féroces, les serpents et les autres reptiles de la terre! » Ocba, dont les vœux furent toujours exaucés, invoqua le Dieu tout-puissant, et ses compagnons se joignirent à la prière en disant Amen. Rassemblant alors autour de lui les dix-huit compagnons du Prophète qui se trouvaient dans l'armée, il cria à haute voix: «Serpents et bêtes féroces! nous sommes les compagnons du Prophète béni; ainsi, retirez vous, car nous allons nous établir ici, et nous tuerons quiconque de vous s'y trouvera après cet avertissement. » Alors on vit les animaux féroces et les serpents emporter leurs petits, et à ce spectacle, beaucoup de Berbères se convertirent à l'islamisme. Ocba ordonna par proclamation, de les laisser passer sans leur faire du mal, et quand ils furent partis, il marcha, accompagné de ses principaux officiers, autour du lieu qu'il avait choisi, en adressant cette prière à Dieu » O mon Dieu! remplis cette ville de science et de la connaissance de ta loi. Fais qu'elle soit habitée par des hommes pieux et dévoués à ton service, et protège-nous contre les puissants de la terre. » Il descendit alors, en suivant le cours du ruisseau, et ordonna à ses hommes de tracer les fondations de la ville et d'arracher les broussailles. Notre historien ajoute que pendant quarante ans, à partir de cette époque, on ne vit ni serpent ni scorpion en Ifrîkïa.

L'historien dit plus loin: Il traça les fondations de l'hôtel du

1 D'après le conseil des musulmans, Ocba choisit pour l'emplacement de sa ville une localité éloignée de la mer et voisine d'une sibkha ou marais salé. « De cette manière, lui dirent-ils, nous n'aurons pas à craindre une descente de la part des Grecs et nos chameaux auront un lieu de pâturage où les Berbères et les chrétiens n'oseront pas venir les enlever ». La construction de Cairouan fut commencée en l'an 50 (670). (Baian).

Les miracles opérés par Ocba ont encore du retentissement en Afrique. Pour cette raison, nous nous sommes décidé à conserver cette légende. On peut voir à la page 311 les traditions à ce sujet recueillies par Ibn-Abd-el-Hakem,

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