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Nedjd. Les Soleim fréquentaient les environs de Médine, et les Hilal se tenaient sur le Ghazouan, montagne près de Taïf. Quelquefois, cependant, ils allaient prendre leurs quartiers d'été aux frontières de l'Irac et de la Syrie, d'où ils faisaient des incursions dans les cantons voisins pour y dévaliser les voyageurs et piller les caravanes. Les Soleim se permettaient même d'attaquer les pèlerins de la Mecque aux jours où l'on remplissait les grands devoirs de la religion, et de les dépouiller sur le territoire de Médine pendant qu'ils visitaient le tombeau du Prophète. Les khalifes de Baghdad ne cessaient d'expédier des troupes pour punir ces méfaits et protéger les pèlerins contre de pareils outrages.

Plus tard, les Beni-Soleim et un grand nombre des tribus descendues de Rebiâ-Ibn-Amer allèrent se joindre aux Carmats, lors de la première apparition de ces sectaires, et ils les servirent en qualité de milices, dans les provinces de Bahrein et d'Oman.

Quand les princes Fatemides, descendants d'Obeid-Allahel-Mehdi, eurent subjugué l'Egypte et la Syrie, El-Azîz, un des souverains de cette dynastie, enleva aux Carmats les villes dont ils s'étaient emparées dans ce dernier pays, et les ayant refoulés jusqu'à la province de Bahrein, il transporta dans le Saïd (la Haute-Égypte) leurs partisans, les Arabes des tribus de Hilal et de Soleim. Bien que la présence de ces nomades dût nuire à la prospérité de cette région, il prit le parti de les y établir, en les installant sur le bord oriental du Nil.

[Nous allons maintenant raconter les faits qui décidèrent le gouvernement égyptien à faire passer ces tribus dans l'Afrique septentrionale.] En l'an 408, El-Moëzz devint souverain des Sanhadja de Cairouan; ayant reçu son investiture

Ici, notre auteur désigne les Fatemides par le terme chii (sectaire). Le plus souvent il les nomme Obeidites, et bien qu'il les déclare descendants de Fatema, fille de Mahomet, il ne leur donne qu'assez rarement le titre de Fatemides. Comme cette dernière dénomination est cependant la plus usitée, je l'emploie dans cette traduction à la place de Chiites et d'Obeidites.

d'Ed-Daher-li-Din-illah-Ali, fils d'El-Hakem-bi-Amr-illah-Mansour, fils d'El-Aziz-billah-Nizar, fils d'El-Moëzz-li-Din-illahMådd, émir de l'Ifrikïa 1. Ainsi, de même que ses pères, il tenait son autorité des souverains Fatemides, fait sur lequel nous aurons occasion de revenir. Agé seulement de huit ans, il n'avait aucune connaissance des principes du gouvernement, aucune expérience des affaires, mais il appartenait à une famille trèspuissante et très-fière. Ed-Daher mourut en 427 (1036) et eut pour successeur son fils El-Mostancer-billah-Mâdd, celui qui régna plus longtemps qu'aucun des khalifes de l'Islamisme; ayant gouverné soixante-quinze ans, disent les uns, soixantecinq, disent les autres. La vérité est qu'il régna soixante-treize ans, puisqu'il mourut vers la fin du cinquième siècle de l'hégire.

El-Moëzz, fils de Badis, eut pour les doctrines sonnites (orthodoxes) un certain penchant qu'il laissa quelquefois paraître 3. Ainsi, vers le commencement de son règne, il lui arriva, en faisant une promenade, d'invoquer à haute voix le secours des deux cheikhs [les khalifes] Abou-Bekr et Omar, dans un moment où il voyait que son cheval allait s'abattre sous lui. Les gens du peuple ayant entendu ces paroles, commencèrent à massacrer les Rafédites, et à proclamer hautement la doctrine orthodoxe : ils en firent publiquement la profession et supprimèrent les paroles venez à l'excellente œuvre (hai ala khair il ámel) que les Fatemides avaient insérées dans l'adan, ou appel à la prière.

Il y a une double erreur dans ce paragraphe : El-Moëzz, fils de Badis, succéda au trône en l'an 406, et sa nomination fut confirmée, non pas par Ed-Daher, mais par son père, El-Hakem. L'acte de confirmation arriva à Cairouan vers la fin de l'année suivante. Dans cette pièce, le gouvernement fatemide accorda à El-Moëzz le titre de Chéref-ed-Dola (l'honneur de l'empire). En-Nouairi; Man. ar. de la Bib. nat.; anc. fonds, u° 702, fol. 37.

2 Il mourut en l'an 487. Ce fut son fils El-Mostâli qui mourut en 495. 3 Ibn-el-Athir dit, dans ses Annales, sous l'année 406, qu'El-Moëzz porta le peuple de l'Ifrîkïa à adopter le rite de Malek, eux qui auparavant avaient suivi celui d'Abou-Hanifa.

Le mot rafédi signifie hérétique. Il s'applique surtout aux partisans des fatemides.

Ed-Daher ferma les yeux sur cet événement; son fils et successeur, El-Mostancer, ne parut y faire aucune attention non plus; aussi, El-Moëzz, en ayant rejeté tout le blâme sur le peuple, vit agréer ses excuses. Dès-lors, ce prince continua à faire la prière au nom du khalife [fatemide] et à lui envoyer les présents d'usage. Pendant tout ce temps, il entretenait une correspondance écrite avec Abou-'l-Cacem-Ahmed-el-Djerdjeraï, vizir de ces deux souverains, gouverneur de leur empire et directeur de toutes leurs affaires. Cherchant ainsi à le mettre dans ses intérêts, il lançait des sarcasmes contre les descendants d'Obeid-Allah [les fatemides] et contre leurs partisans. El-Djerdjeraï fut surnommé El-Acta (le mutile) parcequ'El-Hakem lui avait fait couper les mains pour crime de péculat. Lors de cet événement, toute l'autorité dont ce vizir avait disposé passa entre les mains de Sittel-Molk, [sœur d'El-Hakem et grand]-tante d'El-Mostancer. En l'an 414 (1023-4), après la mort de cette princesse, El-Djerdjeraï rentra au pouvoir, et il y resta jusqu'à la fin de ses jours. Il mourut en 436 (1044-5). Son successeur dans le vizirat, Abou-Mohammed-el-Hacen-Ibn-Ali, portait le surnom d'El-Yazouri, parce qu'il était originaire d'un village de la Palestine [appelé Yazour], où son père avait été matelot 2.

Quand El-Yazouri fut élevé à ces hautes fonctions, les gouverneurs des provinces se dispensèrent de lui donner, dans leurs dépêches, le titre de monseigneur (moulaï), ce qui le piqua au vif. Il en fit même des reproches à Thomal-Ibn-Saleh, seigneur d'Alep, et à Moëzz-Ibn-Badîs, seigneur de l'Ifrikïa. Dès lors, ces deux princes le prirent en aversion. El-Moëzz fit même serment de répudier la souveraineté des Fatemides, de faire la prière publique au nom des Abbacides, et d'empêcher que celui du khalife obeidite (fatemide), fût prononcé du haut d'aucune chaire

1 Dans le Meracid, dictionnaire géographique arabe, on lit que Yayour est un village maritime des dépendances de Ramla, dans la Palesline.

Peut-être, à la place de mellah (marin), faut-il lire fellah (agriculteur, paysan). Ibn-el-Athîr et En-Nouaïri disent effectivement que le père d'El-Yazouri appartenait à la classe des cultivateurs.

dans tout son empire. Ayant persisté à remplir son væu, il fit couper aux robes de cérémonie et aux étendards la bordure dans laquelle les noms des princes fatemides se trouvaient tissés, et ayant reconnu pour souverain Abou-Djâfer-el-Caïm, fils d'ElCader, l'Abbacide, il ordonna qu'on fît le [khotba] au nom de ce khalife et que l'on offrît des prières pour sa prospérité du haut de toutes les chaires. Ceci eut lieu en 437 (1045-6).

Le khalife de Baghdad ayant reçu l'acte par lequel El-Moëzz reconnaissait son autorité, lui envoya, par Abou-l'-Fadl-el-Baghdadi le diplôme d'investiture et les robes d'honneur. On fit la lecture de cette pièce dans la grande mosquée de Cairouan; on y déploya les étendards noirs et on démolit la maison des Ismaïliens 3.

Quand cette nouvelle parvint à El-Mostancer, khalife de l'Égypte, et à ses sectateurs, les rafédites ketamiens, ainsi qu'aux autres partisans de la dynastie fatemide, ils en ressentirent une douleur extrême, et dans le trouble que cet événement leur inspira, ils demeurèrent frappés de consternation.

Nous avons déjà fait observer que les tribus hilaliennes se trouvaient cantonnées dans le Saïd. Elles se composaient des Djochem, des El-Athbedj, des Zoghba, des Riah, des Rebiâ et des Adi; populations dont la présence sur ce territoire y répandait la dévastation et nuisait non seulement à la province mais à l'empire. Le vizir El-Yazouri donna le conseil de gagner ces tribus; d'en revêtir les chefs du commandement des provinces de l'Ifrîkïa et de les envoyer faire la guerre à la dynastie des San

1 Voy. la Chrestomathie de M. de Sacy; tome 1, page 287.

2 Le noir était la couleur distinctive de la dynastie abbacide. (Voy. l'extrait des Prolégomènes de notre auteur, inséré par M. de Sacy dans sa Chrestomathie, tome 1, p. 265.)

3 Les Ismaïliens étaient partisans des Fatemides. La maison qu'ElMoëzz fit démolir fut sans doute un établissement semblable à celui que les Fatemides avaient fondé au Caire et qui portait le nom de la Maison de la sagesse. On y enseignait les doctrines secrètes de la secte Fatemide. (Voy. l'Exposé de l'Histoire des Druzes, de M. de Sacy, t. I, pages CCLXXX et cccx.)

hadja.« De cette manière, disait-il, les Arabes deviendront » amis dévoués des Fatemides et formeront une excellente armée » pour la protection de l'empire. Si, comme on le doit espérer, >> ils réussissent à vaincre El-Moëzz, ils s'attacheront à notre >> cause et se chargeront d'administrer l'Ifrikïa en notre nom; » de plus, notre khalife se sera débarrassé d'eux. Si, au con>> traire, l'entreprise ne réussit pas, peu nous importe ! Dans >> tous les cas, mieux vaut avoir affaire à des Arabes nomades » qu'à une dynastie sanhadjite. » Cet avis fut accueilli avec transport.

On a raconté, mais à tort, que ce fut Abou-l'-Cacem-el-Djerdjeraï qui donna ce conseil et qui fit entrer les Arabes en Ifrîkïa.

En conséquence de la décision que l'on venait de prendre, ElMonstancer, en l'an 444 (1049-50), envoya son vizir auprès des Arabes. Ce ministre commença par faire des dons peu considérables aux chefs, - une fourrure et une pièce d'or à chaque individu, ensuite il les autorisa à passer le Nil en leur adressant ces paroles « je vous fais cadeau du Maghreb et du royaume » d'El-Moëzz-lbn-Badîs le sanhadjite, esclave qui s'est soustrait » à l'autorité de son maître. Ainsi, dorénavant, vous ne serez >> plus dans le besoin! >>

Il écrivit alors au gouvernement du Maghreb une lettre ainsi

conçue :

Nous vous envoyons

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Des coursiers rapides Et des hommes intrépides - Pour accomplir telle chose

destin décide.

Que le

Les Arabes, animés par l'espoir du butin, franchirent le Nil et allèrent occuper la province de Barca. Ayant pris et saccagé les villes de cette région, ils adressèrent à leurs frères qu'ils avaient laissés sur la rive droite du Nil, une description attrayante du pays qu'ils venaient d'envahir. Les retardataires s'empressèrent d'acheter la permission de passer le fleuve; et comme cette faveur leur coûta une pièce d'or pour chaque individu, le gouvernement égyptien obtint non seulement le remboursement des sommes qu'il venait de leur distribuer, mais encore bien au-delà.

Ces envahisseurs se partagèrent alors le pays, de sorte que la

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