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La milice syrienne, placée à l'avant-garde, se rendit à Ceuta avec son chef Beledj, et celles de l'Ifrikïa et de l'Égypte regagnèrent Cairouan. Les Kharedjites se soulevèrent alors de tout côté; et aussi long-temps que Meicera vécut, les khalifes n'eurent aucune autorité en Maghreb. Après la mort de Meicera, le commandement des Matghara passa à Yahya-Ibn-Hareth, autre membre de cette tribu et allié dévoué de Mohammed-Ibn-Khazer, prince des Maghraoua.

Quelque temps après ces événements, Idris, fondateur de la dynastie idricide, fit son apparition dans le Maghreb. La tribu d'Auréba embrassa sa cause et entraîna, par son exemple, l'adhésion des autres peuples berbères. Behloul-Ibn-Abd-el-Ouahed, chef des Matghara, se laissa alors gagner par Ibrahîm-Ibnel-Aghleb, gouverneur de Cairouan, et reconnut l'autorité du khalife Haroun-er-Rechîd; mais s'étant ensuite réconcilié avec Idris, il conserva le commandement de sa tribu. Dès ce moment, l'influence des Matghara s'affaiblit; la désunion se mit parmi eux, et les différentes dynasties qui régnèrent ensuite dans le Maghreb les accablèrent du poids de leur domination et les réduisirent au rang de tributaires. Telle est encore leur position aujourd'hui, soit qu'ils habitent dans le Tell, soit qu'ils parcourent le Désert.

Dans la région qui sépare Fez de Tlemcen, on trouve des peuplades appartenant à cette tribu. Elles vivent en confédération avec les Koumïa au milieu desquels elles ont continué à séjourner depuis l'avènement de la dynastie almohade. A cette époque, elles eurent pour chef un nommé Khalifa, et c'est encore dans la famille de cet homme que subsiste le droit de les commander. Khalifa bâtit pour leur protection la forteresse de Taount, laquelle s'élève dans cette partie de leur territoire qui touche à la mer. Quand les Beni-Merîn établirent leur domination en Maghreb après avoir renversé la dynastie fondée par Abd-el-Moumen, Haroun-Ibn-Mouça, petit-fils de Khalifa, reconnut l'autorité du sultan mérinide, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, et s'empara de Nedroma. Yaghmoracen-Ibn-Zian se mit alors en marche et lui enleva cette ville ainsi que Taount. Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack

reprit ensuite ces deux places au prince abd-el-ouadite et rentra en Maghreb après avoir approvisionné ses nouvelles conquêtes et choisi Haroun pour les commander. Quelque temps après, Haroun conçut la pensée de ressaisir l'indépendance, et il se maintint dans sa forteresse pendant cinq ans. Assiégé par Yaghmoracen, il capitula, en l'an 672 (1273-4), et se rendit auprès de Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack. Ayant obtenu de ce prince l'autorisation d'aller prendre part à la guerre sainte, il passa en Espagne et mourut sur le champ de bataille. Son frère Tachefîn lui succéda dans le commandement des Matghara et mourut en 703 (1303-4), laissant à sa famille l'autorité qu'elle conserve encore.

On trouve une autre portion de cette tribu dans le DjebelMatghara, montagne située au midi de Fez. Il y en a encore plusieurs peuplades dans les environs de Sidjilmessa, ville dont la majeure partie de la population se compose aussi de Matghariens. Cette circonstance contribue à entretenir parmi eux le remarquable esprit de corps qui se manifeste, de temps à autre, dans cette capitale.

Le Désert du Maghreb renferme un grand nombre de familles appartenant à la tribu des Matghara. Elles habitent des bourgades et s'occupent de la culture du dattier, à l'instar des Arabes. Depuis Touat, au midi de Sidjilmessa, jusqu'à Tementît, dernière ville de cette région, on rencontre une population séden-taire et fort nombreuse, composée de Matghara, dans laquelle une foule de Berbères, appartenant à diverses tribus, sont venus se mêler. On trouve aussi des Matghara à Figuig, ville située à six journées au midi de Tlemcen.

Figuig se compose de plusieurs bourgades rapprochées les unes des autres et formant une grande ville dans laquelle affluent tous les produits de la civilisation nomade. Elle est considérée comme une des principales villes du Désert, et grâce à son éloignement du Tell, elle jouit d'une entière indépendance. Ce sont les Beni-Cîd-el-Molouk, famille matgharienne, qui commandent à Figuig.

A l'orient de cette ville et à une distance de plusieurs journées, se trouve une suite de villages qui s'étendent en ligne droite vers

l'est, en remontant graduellement vers le nord. Le dernier de ces villages est situé à une journée au midi du Mont-Rached, dans cette partie du Désert que les Beni-Amer, tribu zoghbienne, parcourent avec leurs troupeaux. Ceux-ci en ont fait une espèce d'entrepôt; ils y laissent leurs bagages et trouvent encore dans sa possession bien d'autres avantages. On a donné à ce village le nom de Beni-Amer.

A l'Orient des bourgades dont nous venons de parler, et à cinq journées de distance, se trouve un petit château (coléïá) situé bien avant dans le Désert et appelé le Coléïâ de Ouallen. Il sert de résidence à une peuplade matgharienne, et comme c'est un des lieux les plus rapprochés du. pays habité par les porteurs du litham, on y voit arriver des bandes de ces nomades dans les années où l'intensité de la chaleur les chasse de leurs déserts. Alors, sur les plateaux à l'entour de ce château, ils jouissent d'un air plus tempéré.

On rencontre aussi des membres de la tribu des Matghara dispersés dans tous les districts du Maghreb central et dans les régions de l'Ifrîkïa.

Les Lemaïa, branche de la famille de Faten-Ibn-Temzît, sont frères des Matghara. Ils formaient plusieurs ramifications au nombre desquelles Sabec et les généalogistes de son école comptent les Beni-Zekoufa, les Mezîza, les Melîza et les Beni-Mednîn. Ils parcouraient en nomades les provinces de l'Ifrîkïa et du Maghreb, mais la grande majorité de leurs tribus habitait cette partie du Maghreb central qui avoisine le Désert.

Quand la doctrine kharedjite se répandit parmi les Berbères, les Lemaïa adoptèrent les croyances des Eibadites. Cet exemple fut imité par leurs voisins, les Louata et les Hoouara établis dans le Seressou, au sud-est de Mindas, ainsi que par les Zouagha, tribu qui demeurait à l'occident de ceux-ci. Les Matmata, les Miknaça et les Zenata établis au nord-est de cette localité, avaient aussi adopté les croyances des Eibadites.

Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem, un des musulmans qui assistèrent à la conquête de l'Ifrîkïa, était fils de ce Rostem qui commandait l'armée persanne à la bataille de Cadicïa. Entré

en Ifrîkïa avec les avant-coureurs de l'armée arabe 1, il s'y établit, et tout en montrant le plus grand dévouement au parti des Arabes yéménites dont il était l'allié juré, il adopta les principes enseignés par les Kharedjites. Les Eibadites de la province de Tripoli ayant pris les armes pour châtier les Ourfeddjouma et leur enlever la ville de Cairouan, se rassemblèrent tous autour de leur chef spirituel, Abou-'l-Khattab-Abd-el-Ala-Ibn-es-Samehel-Maaferi. En l'an 144 (758-9), ils s'emparèrent de Tripoli et ensuite de Cairouan où ils firent un massacre épouvantable des Ourfeddjouma commandés par Abd-el-Mélek-Ibn-Abi-'l-Djâd, et des autres tribus nefzaouiennes. Ibn-Abi-'l-Djâd lui-même perdit la vie dans ce jour de vengeance. Abou-'l-Khattab confia alors le gouvernement de Cairouan à Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem, et emmena avec lui les Eibadites zenatiens, hoouariens et autres qui avaient pris part à cette expédition. A la nouvelle de la révolte des Berbères, des atrocités commises par les Ourfeddjouma et de la prise de Cairouan, siége du gouvernement de l'Ifrîkïa et du Maghreb, le khalife Abou-Djâfer-el-Mansour fit partir une armée pour ce pays sous les ordres de Mohammed-Ibn-el-Achâth-elKhozaï, auquel il donna aussi la commission de faire la guerre aux Kharedjites. Arrivé aux environs de Tripoli, en 144 (761-2), Ibn-el-Achath défit l'armée berbère qui était venue à sa rencontre et en tua le général, Abou-'l-Khattab. Abd-er-Rahman-IbnRostem se hâta alors d'évacuer Cairouan et d'emmener ses fils et les gens de sa maison chez les Berbères eibadites du Maghreb central. Arrivé au milieu de ses anciens amis et confédérés, les

1 Abd-er-Rahman le rostemide, chef des Eibadites et fondateur de Tèhert, mourut en l'an 168 de l'hégire. Il est donc impossible d'admettre qu'il fut fils du général persan Rostem, mort à Cadicia, cent cinquante-trois ans auparavant. Ibn-Khaldoun et l'auteur du Baïan ne se sont pas laissés arrêter par cette difficulté, et, cependant, ils ont dû voir, dans le Meçalek d'Abou-Obeid-el-Bekri, ouvrage dont ils se sont servis, qu'Abd-er-Rahman, le rostemide de la première invasion de l'Ifrîkïa, était fils d'Abd-el-Ouehhab et petit-fils de Rostem. Il est même probable que le second Abd-er-Rahman était petit-fils, ou peut-être arrièrepetit-fils du premier, ce qui mettrait quatre ou cinq générations entre lui et son grand-aïeul.

Lemaïa, il les rallia autour de lui et, s'en étant fait proclamer khalife, il résolut de fonder une ville qui lui servirait de siége de gouvernement. On bâtit par son ordre la ville de Tehert sur le flanc du Djebel-Guezoul, montagne qui forme la limite du plateau de Mindas. Au pied de cette nouvelle capitale coulait le Minas, rivière qui a ses sources du côté du midi et qui se jette dans le Chélif après avoir passé auprès d'El-Bat'ha. Tèhert, dont Abder-Rahman posa les fondements en l'an 144 (761-2), s'agrandit beaucoup pendant son règne. Après sa mort, le trône fut rempli par son fils Abd-el-Ouehhab. En l'an 196 (811-2), ce souverain, qui était en même temps chef de la secte eibadite, parut devant Tripoli à la tête d'une armée composée de Hoouara [et d'autres Berbères]. Abd-Allah, fils d'Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb, gouvernait cette ville au nom de son père, quand il s'y vit bloquer par l'ennemi. Ce fut pendant ce siége qu'il apprit la mort de son père, et voulant se rendre tout de suite à Cairouan pour y prendre le haut commandement; il acheta la paix d'Abd-el-Ouehhab, en cédant aux Berbères qui avaient suivi ce chef la possession de tout le pays ouvert. Abd-el-Ouehhab se retira alors du côté de Nefouça et laissa Abd-Allah partir pour Cairouan. Meimoun, fils et successeur d'Abd-el-Ouehhab, prit le tître de khalife en sa qualité de chef des Eibadites et des Sofrides-ouaceliens. Ces derniers, à eux seuls, lui fournissaient trente mille partisans, tous nomades et vivant sous la tente. La famille des Beni-Rostem régnait encore quand ses voisins, les Maghraoua et les Beni-Ifren, s'emparèrent de Tlemcen, et, comme ces peuples voulaient la contraindre à reconnaître la souveraineté des Idrîcides, elle soutint une guerre contre eux. Ce fut en l'an 173 (789-90), que les Zenata avaient pris le parti d'Idrîs. Les Rostemides leur résistèrent avec succès, et quand ils succombèrent, en l'an 296 (908-9), ce fut devant les armes d'Abou-Abd-Allah-es-Chîi. Ce général renversa leur puissance et s'empara de Tèhert, après avoir subjugué l'Ifrîkïa et fait reconnaître l'autorité d'Obeid-Allah le fatemide dans toutes les parties du Maghreb central et du Maghreb el-Acsa. La dynastie des Rostemides disparut ainsi devant la dynastie naissante des Fatemides.

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