Images de page
PDF
ePub

Tehert et s'adonnait à la vie nomade. Elle fréquentait la vallée de Minas, depuis la montagne de Yaoud, du côté de l'orient, jusqu'à Ouarslef, du côté de l'occident. On dit qu'un gouverneur de Cairouan qui les avaient emmenés en expédition avec lui, leur assigna cette région pour demeure. Leur chef, Aurâ-Ibn-Ali-IbnHicham, avait été employé comme général au service d'ObeidAllah, le fatemide; mais, à l'époque où Hamid-Ibn-Yesel, seigneur de Tèhert, se révolta centre El-Mansour, troisième khalife fatemide, ils fournirent des secours au chef insurgé et le suivirent dans ses égarements. En l'an 336 (947-8) El-Mansour vainquit son adversaire et le contraignit à passer en Espagne ; puis, ayant tourné ses armes contre ces Louata, il les refoula dans le Désert et revint camper sur le Minas d'où il rentra à Cairouan.

Ibn-er-Rakik rapporte qu'El-Mansour rencontra, dans cette expédition, des monuments anciens, auprès des châteaux qui s'élèvent sur les Trois-Montagnes. Ces monuments étaient en pierre de taille, et vus de loin, ils présentaient l'aspect de tombeaux en dos d'âne. Sur une pierre de ces ruines il découvrit une inscription dont on lui fournit l'interprétation suivante :

Je suis Soleiman le Serdéghos. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux; et Dieu ma'yant permis de les vaincre, j'ai fait élever ce monument pour éterniser mon souvenir3.

Les Louata avaient pour voisins, à Mindas, une tribu zenatienne appelée les Beni-Oudjedîdjen. La vallée de Minas et Tehert séparaient les deux peuples. Une guerre éclata entre eux à

1 Voyez tome п, Appendice n° 2, § XIII.

2 Serdéghos (général) est une altération du mot grec stratégos. Il se rencontre plus d'une fois dans les historiens de l'Afrique, et notre auteur s'en est servi ailleurs pour désigner le général grec qui commandait dans la Calabre, lors de l'invasion musulmane de 340 (951-2). L'emploi de ce mot se conserva en Sicile pendant le gouvernement des Normands; ces princes avaient leur stratigo qui remplissait les fonctions de gouverneur militaire et de président de la cour criminelle.

3 Cette inscription, si elle a réellement existé, prouverait que Salomon, le général de Justinien, porta ses armes jusqu'à Tacdemt.

cause d'une femme des Oudjedîdjen qui avait épousé un des Louata. Comme ceux-ci lui reprochèrent sa pauvreté, elle écrivit à sa famille pour se plaindre d'eux. Les Oudjedîdjen, qui eurent alors pour chef un nommé Einan, se concertèrent ensemble, et demandèrent l'appui des Zenata qui vivaient derrière eux; ils reçurent un corps de renfort que leur expédia Yala-Ibn-Mohammedel-Ifreni, pendant que d'un autre côté, ils virent arriver à leur secours la tribu de Matmata commandée par l'émir Gharana 1. Alors ils marchèrent tous contre les Louata, et, après plusieurs conflits, dans un desquels Einan perdit la vie, ils expulsèrent leurs adversaires de la partie occidentale du Seressou et les rejetèrent dans la montagne située au midi de Tèhert et qui s'appelle Guerîguera jusqu'à ce jour. Les Louata y trouvèrent une peuplade maghraouienne qui, au mépris des devoirs de l'hospitalité, rassembla ses forces et finit par les chasser du territoire qui leur restait encore, du côté de l'orient, à MontYaoud. Par suite de ces revers, ils allèrent se fixer sur la montagne appelée Derrag, d'où ils étendirent leurs établissements vers l'intérieur du Tell et jusqu'à la montagne qui domine la ville de Metîdja. Ils sont aujourd'hui une tribu soumise à l'impôt. La montagne de Derrag fait partie du territoire concédé à la famille Yacoub-Ibn-Mouça, cheikhs des Attaf, tribu zoghbienne.

On trouve encore quelques peuplades louatiennes dans le Djebel-Louata, montagne située au midi de Cabes et de Sfax. Parmi elles on remarque les Beni-Mekki, famille qui, de nos jours, est maîtresse de Cabes.

Selon El-Masoudi, une nombreuse population louatienne occupait les Oasis d'Égypte, régions dont elles étaient maîtresses à l'époque où il écrivait; mais à présent, Dieu seul sait ce que ces gens sont devenus.

Les Zenara, branche des Louata, habitent les plaines qui s'étendent depuis le Bahîra (lac) d'Alexandrie jusqu'au Caire.

1 Variantes: Azana, Gharaba.

2 Variantes: Allal, Eilac, etc.

A une époque peu éloignée, ils eurent pour chef un nommé Bedr Ibn-Selam. Cet homme se révolta contre les Turcs (Mamlouks) et, après avoir vu tailler en pièces la plus grande partie de son peuple par les troupes du gouvernement égyptien, se réfugia à Barca où il demeure encore, sous la protection des Arabes qui habitent cette contrée.

Une forte population zenarienne occupe les environs de Tedla, ville située dans le Maghreb-el-Acsa, auprès de Maroc; et bien des personnes assurent que les Beni-Djaber, fraction des Arabes Djochem, se sont mêlés et confondus avec eux.

Quelques débris de la tribu des Louata se rencontrèrent en Égypte et dans les villages du Saïd (lu Haute-Égypte) où ils s'occupent à faire paître des troupeaux et à cultiver la terre.

Dans la campagne de Bougie on en voit aussi une fraction qui porte même le nom de Louata. Elle habite la plaine de Tagrert, où elle cultive la terre et fait paître ses troupeaux. Elle prend ses chefs dans une de ses familles, celle de Radjeh-Ibn-Souab; mais elle est tenue à payer l'impôt au gouvernement de Bougie, et à fournir un contingent à l'armée du sultan.

Voilà toutes les branches de la tribu de Louata que l'on connaît actuellement, mais il en existe encore un grand nombre qui restent mêlées et confondues avec d'autres tribus.

NOTICE DES BENI-FATEN, TRIBU BERBÈRE DESCENDUE DE
DARIS ET D'El-abter.

L'appellation de Beni-Faten sert à désigner les Matghara, les Lemaïa, les Sadîna, les Koumïa, les Medîouna, les Maghîla, les Matmata, les Melzouza, les Kechana et les Douna, tribus issues de Faten, fils de Temzît, fils de Darîs, fils de Zahhîk, fils de Madghîs-el-Abter. Elles tinrent un rang élevé parmi les populations berbères et se distinguèrent par de grands exploits; aussi nous donnerons ici leur histoire, tribu par tribu, sans en omettre

aucune.

1 Variante: Yedder.

2 Variante: Kechata. (Voyez ci-devant, page 472.)

Les Matghara formaient la plus nombreuse de ces tribus et habitaient à demeure fixe dans des cabanes faites de broussailles. Lors de l'introduction de l'islamisme ils se trouvaient en Maghreb, et pendant les vicissitudes de la conquête arabe et des révoltes du peuple berbère, ils prirent une part active à ces graves événements. Quand les Berbères embrassèrent l'islamisme et qu'une partie d'entre eux traversa le Détroit pour subjuguer l'Espagne, plusieurs fractions de la tribu des Matghara accompagnèrent cette expédition et se fixèrent en ce pays.

Les doctrines kharedjites s'étant ensuite répandues parmi les Berbères, les Matghara adoptèrent les principes religieux des Sofrites, secte hérétique dans laquelle leur chef Meicera, surnommé El-Hafir, tenait un rang élevé. Obeid-Allah-Ibn-elHabhâb, nommé gouverneur de l'Ifrîkïa par Hicham-Ibn-el-Mélek, partit de l'Égypte selon l'ordre de ce khalife, et étant arrivé à sa destination en l'an 114 (732-3), il donna le commandement de Tanger et du Maghreb-el-Acsa à Omar 2 Ibn-Abd-Allah-el-Moradi. Il désigna aussi son propre fils, Ismail, pour gouverner le Sous et les régions qui s'étendent au delà de cette province. L'administration de ces deux fonctionnaires se prolongea et devint si oppressive que les populations berbères finirent par la prendre en détestation. Ils obligèrent ce peuple à fournir des prestations composées de belles esclaves berbères, de toisons jaunes et des produits du Maghreb les plus rares; ils poussèrent même leurs exigences si loin qu'on était souvent obligé de tuer tout un troupeau de brebis pour avoir un ou deux fœtus dont la laine était de la couleur voulue. Ces actes d'oppression et de tyrannie étant enfin devenus insupportables, les Berbères cédèrent aux instigations de Meicera, et, en l'an 122 (740), ils tuèrent Omar-Ibn-Abd-Allah, gouverneur de Tanger. Le commandement de cette ville fut donné par Meicera au nommé Abdel-Ala-Ibn-Hodeidj, personnage né en Afrique d'une famille eu

3

1 Dans les manuscrits, ce nom est écrit tantôt Hafir, tantôt Hakir. Les manuscrits et le texte imprimé portent Amr.

3 En arabe couleur de miel.

ropéenne, et qui, ayant été convertie à l'islamisme (moula) par les Arabes kharedjites, professait la doctrine sofrite. Meicera se rendit ensuite dans le Sous et fit mourir Ismail-Ibn-ObeidAllah, émir de cette province. Le feu de la révolte se propagea aussitôt dans tout le Maghreb et à un tel point que les khalifes de l'Orient ne purent plus y faire respecter leur autorité. Ibn-elHabhâb sortit de Cairouan pour livrer bataille au rebelle, mais son avant-garde, commandée par Khaled-Ibn-Habib-el-Fihri, fut mise en déroute et ce général perdit la vie. A la nouvelle de cette victoire, les Berbères qui se trouvaient en Espagne déposèrent leur gouverneur, Ocba-Ibn-el-Haddjadj-es-Selouli, et se donnèrent pour chef Abd-el-Mélek-Ibn-Caten-el-Fihri, [arabe coreichide]. Ce bouleversement décida le khalife Hicham-IbnAbd-el-Mélek à envoyer en Afrique douze mille soldats de la milice syrienne et à remplacer Ibn-el-Habhab par Kolthoum-IbnEïad-el-Cocheiri auquel il confia aussi le commandement de cette expédition. En l'an 123 (744), Kolthoum marcha contre les insurgés, et parvenu au Sebou, rivière de la province de Tanger, il vit approcher les Berbères sous la conduite de Meicera. Ils avaient tous le sommet de la tête rasé et ils avançaient en poussant le cri de guerre dont se servaient les Kharedjites. Son avantgarde plia devant l'impétuosité de leur attaque, et dans cette journée malheureuse, il perdit la bataille et la vie. Les Berbères remportèrent la victoire par une ruse de guerre : ayant attaché des outres renfermant des cailloux aux queues de plusieurs chevaux, ils lancèrent ces animaux sur l'armée arabe. Effrayés par le bruit des outres, les chevaux se précipitèrent à travers les rangs des Arabes, les chevaux de ceux-ci s'emportèrent et abandonnèrent les rangs, de sorte que la déroute devint générale.

Le mot moula signifie également patron et client. Un esclave devient client (moula) de son maître par l'affranchissement, et un infidèle a contracté clientèle avec celui qui l'a converti à l'islamisme.

Les droits de clientèle sont avantageux pour les deux parties; elles doivent se soutenir mutuellement, et en certains cas, prévus par la loi, elles héritent l'une de l'autre.

2 Voyez ci-devant, note 1, page 221.

« PrécédentContinuer »