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scription de ce pays. Le Maghreb est donc pour eux une île dont trois côtés sont entourés de mers. Les habitants du Maghreb ne regardent pas ces deux contrées comme faisant partie de leur pays; selon eux, il commence par la province de Tripoli, s'étend vers l'Occident et renferme l'Ifrîkïa, le Zab, le Maghreb central, le Maghreb-el-Acsa, le Sous-el-Adna [citérieur] et le Sous-elAcsa [ultérieur], régions dont se composait le pays des Berbères dans les temps anciens.

Le Maghreb-el-Acsa est borné à l'est par le Molouïa ; il s'étend jusqu'à Asfi, port de la Mer-Environnante, et se termine du côté de l'Occident par les montagnes de Deren. Outre les Masmouda, habitans du Deren, lesquels forment la majeure partie de sa population, il renferme les Berghouata et les Ghomara. Le territoire des Ghomara s'arrête à Botouïa, près de Ghassaça. Avec ces peuples on trouve une foule de familles appartenant aux tribus de Sanhadja, Matghara, Auréba, etc. Ce pays a l'Océan au couchant et la Mer-Romaine au nord; des montagnes d'une vaste hauteur, amoncelées les unes sur les autres, telles que le Deren, le bornent du côté du midi, et les montagnes du Téza l'entourent du côté de l'est.

Il est à remarquer que les montagnes sont, en général, plus nombreuses dans le voisinage des mers que partout ailleurs : le pouvoir divin qui créa le monde ayant adopté cette disposition afin de mettre un fort obstacle à l'envahissement des flots. C'est encore pour cette raison que la plupart des montagnes du Maghreb sont de ce côté.

La plus grande partie des habitants du Maghreb-el-Acsa appartient à la tribu de Masmouda; les Sanhadja ne s'y trouvent qu'en petit nombre; mais dans les plaines d'Azghar, Temsna, Tedla et Dokkala on rencontre des peuplades nomades, les unes berbères, les autres arabes. Ces dernières, qui appartiennent toutes aux tribus de Djochem et de Riah, y sont entrées à une

4 Ici Ibn-Khaldoun suit l'idée de plusieurs géographes arabes qui regardaient la côte occidentale de l'empire actuel de Maroc comme s'étendant d'Orient en Occident. Léon l'Africain a commis la même erreur.

époque assez récente. Tout cela fait que le Maghreb regorge d'habitants; Dieu seul pourrait en faire le dénombrement.

On voit, par ce qui précède, que le Maghreb [El-Acsa] forme, pour ainsi dire, une île, ou pays détaché de tout autre, et qu'il est entouré de mers et de montagnes. Ce pays a maintenant pour capitale la ville de Fez, demeure de ses rois. Il est traversé par l'Omm-Rebiâ, grand fleuve qui déborde tellement dans la saison des pluies qu'on ne saurait le traverser. La marée s'y fait sentir jusqu'à environ soixante-dix milles de son embouchure. Il prend sa source dans le Deren, d'où il jaillit par une grande ouverture, traverse la plaine du Maghreb et se jette dans l'Océan, auprès d'Azemmor.

La même chaîne de montagnes donne naissance à un autre fleuve qui coule vers le sud-est et passe auprès des villes du Derâ. Cette région abonde en dattiers; elle est la seule qui produise l'indigo, et la seule où l'on possède l'art d'extraire cette substance de la plante qui la fournit. Les villes, ou plutôt bourgades, dont nous venons de faire mention, possèdent des plantations de dattiers et s'élèvent de l'autre côté du Deren, au pied de la montagne. Le fleuve, appelé le Derâ, passe auprès de bourgades et va se perdre dans les sables, au sud-est de Sous.

Le Molouïa, une des limites du Maghreb-el-Acsa, est un grand fleuve qui prend sa source dans les montagnes au midi de Téza et va se jeter dans la Mer-Romaine, auprès de Ghassaça 1, après avoir traversé le territoire appelé autrefois le pays des Miknaça, du nom de ses anciens habitants. De nos jours, cette région est occupée par d'autres peuples de la race des Zenata; ils demeurent dans des bourgades qui s'étendent en amont, sur les deux bords du fleuve, et qui portent le nom d'Outat. A côté d'elles, ainsi que dans les autres parties du même pays, on rencontre plusieurs peuplades berbères dont la mieux connue est celle des Betalça, frères des Miknaça.

De la montagne qui donne naissance au Molouïa sort un autre

Il est probable que l'auteur aura voulu écrire Djeraoua, ville située près de l'embouchure du Molouïa.

grand fleuve appelé, encore aujourd'hui, le Guîr, qui se dirige vers le midi, en dérivant un peu vers l'Orient. Après avoir coupé l'Areg et traversé successivement Bouda et Tementît, il se perd dans les sables, auprès de quelques autres bourgades entourées de palmiers, à un endroit nommé Regan. C'est sur cette rivière que s'élèvent les bourgades de Guîr.

Derrière l'Areg, et à l'orient de Bouda, se trouvent les bourgades de Teçabit, ksours qui font partie de ceux du Sahra. Au nord-est de Tecabît sont les bourgades de Tîgourarîn dont on compte plus de trois cents; elles couronnent le bord d'une rivière qui coule de l'ouest à l'est. Ces localités renferment des peuplades appartenant à différentes tribus zenatiennes.

Le Maghreb central, dont la majeure partie est maintenant habitée par les Zenata, avait appartenu aux Maghraoua et aux Beni-Ifren, tribus qui y demeuraient avec les Mediouna, les Maghîla, les Koumïa, les Matghara et les Matmata. De ceux-ci le Maghreb central passa aux Beni-Ouémannou et aux Beni-Iloumi, puis à deux branches des Beni-Badîn, les Beni-Abd-el-Ouad et les Toudjîn. Tlemcen en est maintenant la capitale et le siége de l'empire.

Immédiatement à l'orient de cette contrée, on rencontre le pays des Sanhadja, qui renferme Alger, Metîdja, Médéa et les régions voisines jusqu'à Bougie. Toutes les tribus [berbères] qui occupent le Maghreb central sont maintenant soumises aux Arabes zoghbiens. Ce pays est traversé par le Chélif des BeniOuatil, grand fleuve qui prend sa source dans la montagne de Rached, du côté du Désert. Il entre dans le Tell en passant par territoire des Hosein, et se dirige ensuite vers l'ouest, en recueillant les eaux du Mîna et d'autres rivières du Maghreb central; puis il se jette dans la Mer-Romaine, entre Kelmîtou et auprès de Mostaganem.

le

De la même montagne qui donne naissance au Chélif, c'est-àdire du Mont-Rached, une autre rivière descend vers l'Orient et

Ces paroles indiquent que le Gufr s'appelait du même nom dans les temps anciens. Il paraît être le Ger de Pline.

traverse le Zab pour se jeter dans la célèbre sibkha (marais salé) située entre Touzer et Nefzaoua. Cette rivière s'appelle le Cheddi.

Les provinces de Bougie et de Constantine appartenaient autrefois aux tribus de Zouaoua, Ketama, Adjîça et Hoouara, mais elles sont maintenant habitées par les Arabes, qui en occupent toutes les parties, à l'exception de quelques montagnes d'accès difficile où l'on trouve encore plusieurs fractions de ces tribus.

Toute l'Ifrikia, jusqu'à Tripoli, se compose de vastes plaines, habitées, dans les temps anciens, par des Nefzaoua, des BeniIfren, des Nefouça, des Hoouara et d'une quantité innombrable d'autres tribus berbères. La capitale en était Cairouan. Cette province est devenue maintenant un lieu de parcours pour les Arabes de la tribu de Soleim. Les Beni-Ifren et les Hoouara sont soumis à ces Arabes et les accompagnent dans leurs courses nomades; ils ont même oublié la langue berbère pour celle de leurs maîtres, desquels ils ont aussi adopté tous les caractères extérieurs. Tunis est maintenant la capitale de l'Ifrîkïa et le siége de l'empire. Ce pays est traversé par un grand fleuve appelé le Medjerda qui recueille les eaux de plusieurs autres rivières et se décharge dans la Mer-Romaine, à une journée de distance de Tunis, vers l'occident. Son embouchure est auprès d'un endroit nommé Benzert 3.

Quant à Barca, tous les monuments de sa gloire ont disparu ; ses villes sont tombées en ruines et sa puissance s'est anéantie. Ce pays sert maintenant de lieu de parcours aux Arabes, après avoir été la demeure des Louata, des Hoouara et d'autres peuples berbères. Dans les temps anciens, il possédait des villes populeuses telles que Lebda, Zouïla, Barca, Casr-Hassan, etc.; mais leur emplacement est maintenant un désert, et c'est comme si elles n'avaient jamais existé.

1 Sur la carte de Shaw, ce marais est nommé Shibk Ellow deah, dénomination tout-à-fait inconnue aux habitants du pays.

2 Notre auteur aurait du écrire: vers le nord.

3 Le Medjerda verse ses eaux dans la mer auprès de Porto-Farina, à 7 ou 8 lieues est de Benzert.

DES TALENTS QUE LA RACE BERBÈRE A DÉPLOYÉS, TANT DANS LES TEMPS ANCIENS QUE DE NOS JOURS, ET DES NOBLES QUALITÉS PAR LESQUELLES ELLE S'EST ÉLEVÉE A LA PUISSANCE ET AU RANG DE

NATION.

[Chapitre ajouté par l'auteur après avoir achevé son ouvrage.]

En traitant de la race berbère, des nombreuses populations dont elle se compose, et de la multitude de tribus et de peuplades dans laquelle elle se divise, nous avons fait mention des victoires qu'elle remporta sur les princes de la terre, et de ses luttes avec divers empires pendant des siècles, depuis ses guerres en Syrie avec les enfants d'Israël et sa sortie de ce pays pour se transporter en Ifrîkïa et en Maghreb. Nous avons raconté les combats qu'elle livra aux premières armées musulmanes qui envahirent l'Afrique; nous avons signalé les nombreux traits de bravoure qu'elle déploya sous les drapeaux de ses nouveaux alliés, et retracé l'histoire de Dihya-t-el-Kahena, du peuple nombreux et puissant qui obéissait à cette femme, et de l'autorité qu'elle exerça dans l'Auras, depuis les temps qui précédent immédiatement l'arrivée des vrais croyants jusqu'à sa défaite par les Arabes. Nous avons mentionné avec quel empressement la tribu de Miknaça se rallia aux musulmans; comment elle se révolta et chercha un asile dans le Maghreb-el-Acsa pour échapper à la vengeance d'Ocba-Ibn-Nafè, et comment les troupes du khalife Hicham la subjuguèrent plus tard dans le territoire du Maghreb. « Les Berbères, dit Ibn-Abi-Yezîd, apostasièrent » jusqu'à douze fois, tant en Ifrîkïa qu'en Maghreb; chaque >> fois, ils soutinrent une guerre contre les Musulmans, et ils » n'adoptèrent définitivement l'islamisme que sous le gouver>>nement de Mouça-Ibn-Noceir; » ou quelques temps après, selon un autre récit.

Ayant indiqué les régions du Désert habitées par les Berbères, ainsi que les châteaux, forteresses et villes qu'ils s'étaient bâtis, tels que Sidjilmessa, les bourgades de Touat, de Tigourarîn, de Figuig, de Mozab, de Ouargla, du Righa, du Zab, de Nefzaoua, d'El-Hamma et de Ghadems; ayant parlé des batailles et de

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