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indulgence à leur égard, dans l'espoir de les ramener à l'obéissance et de leur faire suivre le sentier de la rectitude; il chercha même à gagner leur confiance par des marques de faveur et par des promesses séduisantes; mais, ayant bientôt reconnu que cette conduite ne faisait qu'augmenter leur audace, il se décida pour des mesures vigoureuses et, à leurs démonstrations hostiles, il répondit par la guerre.

En l'an 777 (1375-6), il quitta Tunis à la tête d'une armée dans laquelle se trouvèrent réunis les troupes almohades, les corps de milice et d'affranchis, plusieurs tribus zenatiennes et les tribus arabes de Mohelhel et de Hakim. Les Aulad-Abi-'lLeil rassemblèrent leurs forces pour l'empêcher de pénétrer dans le Djerid et, pendant quelques jours, ils lui opposèrent une vive résistance; mais, obligés enfin à prendre la fuite, ils s'éloignèrent en lui abandonnant leurs sujets, les Merendjiza.

Ce peuple, un des derniers débris de la tribu des Beni-Ifren, s'était établi dans la campagne de l'Ifrîkïa, à côté des nomades qui faisaient partie des Hoouara, des Nefouça et des Nefzaoua. Avant l'époque actuelle, ils avaient fourni au sultan des impôts considérables et de fortes contributions; mais, quand les Arabes se rendirent maîtres du pays ouvert et luttèrent à l'envi pour arracher des concessions au gouvernement, les Merendjîza, population nomade, échurent en partage à la famille des HamzaIbn-Abi-'l-Leil. Dès lors, ces Arabes retirèrent de la tribu ainsi conquise de gros impôts, de fortes contributions, de l'argent, de bêtes de somme, de grains et de guerriers. Dans leurs luttes avec le gouvernement hafside, ils se faisaient aider par les cavaliers de cette population. Le sultan, ayant soumis les Merendjîza, s'empara de leurs richesses, emmena leurs chefs aux prisons de Tunis et congédia ses alliés. Les Aulad-Abi-'l-Leil, dont il enleva ainsi la principale ressource, perdirent leur audace et, depuis qu'ils ont eu les ailes coupées de cette façon, ils sont tombés dans un affaiblissement d'où ils ne peuvent plus se relever.

Abou-Sânouna profita de la retraite du sultan pour quitter le parti des Almohades et se liguer avec les Aulad-Abi-'l-Leil.

Secondé par ses nouveaux alliés, il alla ravager les environs de Tunis pendant plusieurs jours. Au commencement de la saison des pluies, le sultan sortit à la poursuite des rebelles et poussa jusqu'à Souça et El-Mehdïa, en suivant la route du littoral. Après avoir levé des contributions dans les cantons appartenant à Abou-Sânouna, il se dirigea vers Cairouan d'où il marcha sur Cafsa. Les Auled-Abi-'l-Leil se réunirent pour couvrir cette ville, ainsi que la ville de Touzer, dont le seigneur leur avait fait passer de l'argent. Leur résistauce fut inutile ; le sultan arriva sous les murs Cafsa et y mit le siége. Trois jours après, voyant que les habitants persistaient dans leur insoumission, il commenca à faire abattre leurs dattiers. Aussitôt, cette population de cultivateurs quitta ses demeures et passa du côté des Hafsides, en abandonnant son chef, Ahmed-Ibn-el-Abed, vieillard dont l'esprit s'était affaibli par l'âge. Mohammed, son fils et l'arbitre de ses volontés, vint aussi pour offrir sa soumission, et il s'engagea à payer toute les contributions que le sultan lui demanderait. Étant alors rentré dans la ville, il trouva une partie des habitants aux prises avec l'autre et, voyant qu'ils allaient sortir [au-devant du sultan], il s'empressa de les y devancer. En passant par la porte, il fut arrêté et conduit au quartier général des assiégeants par l'ordre d'Abou-Yahya, frère du sultan, qui s'était avancé à la tête de troupes d'élite 2, pour occuper la citadelle et s'emparer de la ville. Cette fois-ci, Mohammed resta au pouvoir du sultan, et il eut bientôt pour compagnon de tivité son père, Ahmed-Ibn-el- Abed, que les vainqueurs emmenèrent prisonnier de la ville conquise. Son palais et ses trésors furent confisqués. Le sultan reçut alors des habitants et de leurs cheikhs le serment de fidélité, leur donna pour gouverneur son fils, Abou-Bekr, et partit aussitôt après pour attaquer ville de Touzer.

cap

Ici les manucrits et le texte arabe imprimé portent Ahmed. Il faut lire Mohammed.

2 Le texte arabe dit: avec les familiers (khassa) et les amis (aoulïa).

Ibn-Yemloul, seigneur de Touzer, apprit par un courrier la chute de Cafsa et s'enfuit vers le Zab, accompagné de sa famille et chargé de la portion de ses trésors qui était la plus facile à emporter. Le sultan était déjà en marche, quand un messager, envoyé par les habitans de Touzer, vint lui apprendre le départ de leur chef. Encouragé par cette nouvelle, il poussa en avant, prit possession de la ville, du palais et des trésors du fuyard. La quantité de meubles, d'armes, de vases d'or et d'argent, qui tomba entre ses mains dépassa tout ce qu'on pouvait imaginer; on aurait cru impossible au plus grand monarque de la terre de rassembler autant d'objets précieux. Quelques individus apportèrent au sultan des pierreries, des bijoux et des étoffes qu'Ibn-Yemloul avait déposés chez eux et dont ils ne voulaient plus se charger. El-Montacer, fils du sultan, reçut le comman~ dement de la ville et s'installa dans le palais de son prédécesseur.

Sommé par le sultan, El-Khalef-Ibn-el-Khalef, seigneur de Nefta, vint offrir sa soumission et recevoir un diplôme qui le confirmait dans le commandement de cette ville. A la même occasion, il fut nommé chambellan d'El-Montacer et se fixa à Touzer, auprès de ce prince. Le sultan reprit alors la route de sa capitale.

Pendant qu'il faisait ses conquêtes dans le Djerîd, les Arabes réfractaires avaient envahi le Tell et, maintenant qu'il se dirigeait vers Tunis, ils essayèrent de lui barrer le passage. Cette tentative leur valut un châtiment qui réprima leur audace; ils prirent la fuite et passèrent dans les contrées occidentales où ils espéraient un retour de fortune. Sur l'invitation d'Ibn-Yemloul, qui leur avait proposé d'entrer an service du seigneur de Tlemcen, ils y envoyèrent Mansour-Ibn-Khaled, un de leurs cheikhs, accompagné de son cousin, Nasr-Ibn-Mausour. Les deux chefs demandèrent à ce souverain l'appui de ses armes, ainsi que les gens de leur tribu l'avaient autrefois demandé à son prédécesseur, Abou-Tachefîr. Ils furent renvoyés avec de belles promesses, mais ils y virent si clairement l'impuissance de ce souverain qu'ils s'en retournèrent dans leur tribu.

Soula[-Ibn-Khaled, des Aulad-Abi-'l-Leil,] se fit alors en

voyer un sauf-conduit par le sultan Abou-'l-Abbas, et, s'étant rendu auprès de lui, il négocia une paix à des conditions trèsavantageuses. Quand il fut de retour, sa tribu repoussa cet arrangement et encourut un nouveau châtiment. Le sultan partit de Tunis à la tête de ses alliés arabes et poursuivit les récalcitrants. Trois fois il leur livra bataille sans pouvoir les vaincre; mais, les ayant repoussés jusqu'à Cairouan, il les mit dans la nécessité de se rendre à discrétion. Amnistiée par sa bonté, cette tribu lui a montré, depuis lors, la soumission et le dévouement Jes plus complets.

RÉVOLTE DE CAFSA ET MORT D'IBN-EL-KHALEF.

El-Khalef-Ibn-Ali-Ibn-el-Khalef, devenu alors chambellan d'El-Montacer, fils du sultan Abou-'l-Abbas, et confirmé dans le gouvernement de Nefta, établit un lieutenant dans cette ville et alla se fixer à Touzer, auprès de son maître. Quelque temps après, l'on se mit à épier toutes ses démarches par suite d'une dénonciation qui le représentait comme entretenant une correspondance secrète avec Ibn-Yemloul, et l'on parvint à intercepter une lettre écrite de la main de son secrétaire El-Marouf, par quelle il poussait Ibn-Yemloul et Yacoub-Ibn-Ali, émir des Douaouida, à prendre les armes. El-Montacer le fit mettre en prison sur-le-champ et envoya des commissaires à Nefta pour s'emparer de ses trésors. Il s'adressa ensuite à son père, le sultan, pour savoir ce qu'il devait faire, et bien que la trahison de cet homme fût manifeste, il reçut le conseil d'en différer le châtiment.

la

Une autre tentative de révolte eut lieu vers la même époque : Ahmed-Ibn-Abi-Zeid, membre d'une des principales familles de Cafsa, s'était rangé du côté des Hafsides et avait pris part à l'expédition que le sultan avait dirigée contre cette ville. La conquête de Cafsa effectuée, le vainqueur témoigna à Ibn-Abi-Zeid sa haute satisfaction et le recommanda à son fils, l'émir AbouBekr. Il ne se doutait pas que son protégé nourrissait des in

tentions perfides et qu'il n'attendait qu'une occasion afin d'usurper le pouvoir. Devenu conseiller du jeune prince, IbnAbi-Zeid parvint bientôt à lui imposer ses volontés. Les choses en étaient là, quand Abou-Bekr sortit de Cafsa avec l'intention de visiter son frère, El Montacer, qui demeurait alors à Touzer. Pendant son absence, le nommé Abd-Allah-etToreiki (le petit Turc), affranchi d'origine turque que le sultan avait placé comme chambellan auprès d'Abou-Bekr, devait se charger du commandement de la ville. A peine l'émir se fut-il éloigné qu'Ibn-Abi-Zeid émeuta la populace, parcourut les rues en criant aux armes ! et marcha contre la citadelle 2. Le caïd Et-Toreiki, qui s'y était enfermé, donna l'ordre de battre la grosse caisse afin d'appeler les habitants des villages voisins. A ce signal, les campagnards accoururent vers la citadelle et se rassemblèrent auprès de la porte qui donne sur les jardins. EtToreiki les introduisit dans la forteresse, et les partisans d'IbnAbi-Zeid, se voyant alors en minorité, abandonnèrent leur chef. Le caïd sortit aussitôt et mit la main sur un grand nombre des émeutiers. Après avoir rétabli l'ordre dans la ville, il expédia un courrier à Touzer pour rappeler Abou-Bekr. Le prince partit en toute hâte et, à peine arrivé, il fit trancher la tête à tous les prisonniers. Ibn-Abi-Zeid et son frère furent mis hors la loi, et, quelques jours plus tard, pendant qu'ils essayaient d'échapper déguisés en femmes, ils tombèrent entre les mains de la garde qui veillait à la porte de la ville. On les traîna devant l'émir qui les décapita lui-même et fit attacher leurs corps à des troncs de palmier. Ce fut ainsi que deux hommes, élevés dans la mollesse, subirent un sort qui devait longtemps servir d'exemple; ils se perdirent dans ce monde et dans l'autre, et c'est là une perte dont la grandeur est manifeste3.

1 Les manuscrits et le texte arabe imprimé portent, à tort, AbouZékéria.

2 Pour Cafsa lisez casba.

3 Ceci est une allusion au onzième verset de la 22 sourate du Coran.

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