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Nous avons exposé, à propos dans la doctrine de l'islamisme, l'origine de cette hérésie les premiers Kharedjites (dissidents), ou Ouahbites, n'étaient autres que des soldats d'Ali, gendre du Prophète, qui se séparèrent de lui au moment où il fut définitivement écarté du khalifat. Ils cessèrent dès lors de reconnaître la légitimité des successeurs de Mahomet, et se posèrent en réformateurs soucieux de ramener l'islamisme à sa pureté et à son austérité primitives.

Ils se divisent en ibadites et sofrites. Les uns et les autres sont considérés comme hérétiques et sont reniés à la fois par les musulmans orthodoxes (Sunnites) et par les Chiites schismatiques.

Les Berbères ont toujours été disposés à accueillir toutes les hérésies musulmanes; et sans doute ne faut-il voir là qu'une manifestation de leur amour de l'indépendance et de leur esprit de résistance à des envahisseurs qui représentaient l'orthodoxie musulmane. Pendant que s'établissait la puissance arabe à Kairouan, au début du VIIIe siècle, le kharedjisme se répand avec rapidité chez eux, et leurs soulèvements successifs contre les gouverneurs arabes se doublèrent de révoltes religieuses.

Le premier soulèvement général date de 740; les Berbères de l'ouest, Kharedjites sofrites, se groupèrent sous le commandement de Meïcera; les hérétiques de l'Ifrikya, affiliés à la secte ibadite ne paraissent pas s'être joints à eux, mais se révoltèrent en même temps, de leur côté, et s'emparèrent de Tunis. Le soulèvement, auquel prirent part les Zénètes du Maghreb central 1, les tribus extrêmes du Maghreb, comme les Miknaça, les Berghouata et d'autres, ne fut réprimé qu'avec la plus grande difficulté, et seulement après la mort de Meïcera.

Le khalife d'Orient lui-même dut s'en préoccuper, et l'on rapporte qu'il s'écria, en entendant le récit des succès des Berbères : « Par Dieu! je leur enverrai une armée

1. Beni-lfrene, Zénètes de la première race,

telle qu'ils n'en virent jamais; la tète de colonne sera chez eux pendant que la queue sera encore chez moi. » Il envoya en effet des cavaliers syriens et la rencontre eut lieu à l'oued Sebou. Ibn Khaldoun raconte que les Berbères attendirent les Syriens de pied ferme et portèrent le désordre dans leurs rangs en lançant sur eux des chevaux affolés, à la queue desquels on avait attaché. des outres remplies de pierres. On comprendrait mal ce qui put en résulter, si l'on ne connaissait la fureur que mettent les chevaux arabes à se précipiter les uns sur les autres, à se battre et à se mordre.

Bref, il fallut envoyer en Berbérie toutes les forces de l'Égypte, qui réduisirent enfin les rebelles dont il fut fait un carnage épouvantable: 180 000 Berbères furent massacrés, d'après les chroniqueurs.

Les années qui suivirent furent marquées par des incursions nouvelles des Arabes au Maghreb, qui, en réalité, demeura complètement indépendant.

Au milieu du VIIIe siècle, les diverses fractions berbères, toutes kharedjites, atteignent à un haut degré de puissance. Chez ces Berbères du Maghreb el-Acsa, la religion musulmane a pris une forme particulière; ce n'est même plus de l'hérésie, c'est une adaptation très vague des préceptes de l'islamisme; chaque tribu a bientôt un prophète qui, à l'imitation de Mahomet, écrit un Coran, en langue berbère naturellement, et se fait reconnaître par son peuple : les Berghouata notamment restent soumis pendant tout le Ixe siècle à la dynastie du prophète Saleh, dont nous rapportons plus loin l'histoire. Chez les Ghomara, qui habitent les montagnes au nord de Fez, on s'adonne à la magie et l'on n'a qu'une très vague idée des préceptes du Coran.

1. Vers le milieu du vinR siècle, les Zénètes (de la première race dominent au Maghreb central; c'est le moment où les Beni-Ifrene fondent Tlemcen; la vallée de la Moulouïa est occupée par les Miknaça; tous ces peuples sont kharedjites. A la même époque, au Maghreb extrême, les Berghouata sont prépondérants; ils sont également kharedjites et ont combattu avec Meïcera.

C'est le moment enfin où les Miknaça fondent Sidjilmessa, capitale du Tafilelt, et en font le siège d'une royauté indépendante.

Les révoltes se succèdent. Chaque fois que les Berbères sentent faiblir l'autorité arabe, ils se soulèvent. En 757, le gouverneur de Kairouan ayant répudié la suzeraineté des khalifes abbassides, ils marchent sur Kairouan au nom de ces mêmes khalifes, et l'on voit ce spectacle singulier d'hérétiques marchant, sous la bannière abbasside, contre un gouverneur orthodoxe, mais, il est vrai, rebelle. Les Ourfeddjouma s'emparent de Kairouan, profanent les lieux saints et transforment les mosquées en écuries. Aussitôt, les Berbères de la grande Syrte, les Houara, se joignent à eux, les Zénètes accourent du Maghreb central, et, de nouveau, le khalife doit envoyer contre eux le gouverneur d'Égypte lui-même, à la tête d'une armée de Syriens. Mais la division se met dans les rangs des Berbères, qui sont réduits avec facilité.

C'est pendant ce soulèvement qu'est fondé en Espagne l'empire musulman des Oméïades, rivaux et prédécesseurs des khalifes abbassides : les Oméïades avaient trouvé, dans les nombreux Berbères Zénètes passés dans la péninsule, leur plus solide appui.

Partout donc, en 760, l'autorité des Abbassides se trouve en échec 1.

En 768, nouvelle révolte kharedjite. Ce sont les Zénètes du Maghreb central, habitants du Zab et Beni-Ifrene, qui se soulèvent alors. Le gouverneur de Kairouan se débarrasse des Beni-Ifrene en leur achetant la paix au prix de 40 000 pièces d'or, mais on ne peut nier que

1. Pour se faire une idée exacte de la faiblesse des forces arabes en Ifrikya, il suffit de se reporter au récit des historiens qui relatent l'arrivée d'un nouveau gouverneur arabe à Kairouan : Omar Abou Hafs, arrive à la tête de 500 cavaliers arabes seulement et l'on ne voit pas qu'il dispose d'autres forces; les notables de Kairouan viennent à sa rencontre et nulle part il n'est fait mention d'une armée quelconque.

cette rançon ressemble singulièrement à un tribut payé par les Arabes aux Berbères. La révolte n'est d'ailleurs pas éteinte, et toutes les autres peuplades berbères d'Ifrikya assiègent bientôt Kairouan; les Sanhadja, les Ketama envoient des contingents et forment une armée qui atteint l'effectif de 350 000 combattants; Kairouan est prise : l'autorité arabe n'y sera rétablie qu'en 772.

A ce moment, les grandes tribus berbères, sans être réduites, sont tout au moins dispersées, et dans l'impuissance de continuer la grande guerre; mais, tandis que le gouverneur arabe va jouir, à Kairouan, de quelques années de paix, les Berbères vivront dans l'indépendance la plus complète et, sauf en quelques points nettement connus, professeront en toute tranquillité le kharedjisme pendant la fin du viie siècle.

1

Au Maghreb el-Acsa, les Berghouata pratiquent, nous l'avons dit, un islamisme qui n'est même plus le kharedjisme; à Sidjilmessa, les Miknaça professent une religion qui tient de la secte sofrite et de la secte ibadite tout en se réclamant, on ne sait pourquoi, de l'autorité des Abbassides; au Maghreb central, les royaumes des Beni-Ifrene à Tlemcen, des Rostémides? à Tiaret, et les Maghraoua sur les hauts plateaux professent le kharedjisme sofrite; les Sanhadja, les Ketama

1. Sidjilmessa, capitale du Tafilelt fut, au 1xe siècle, un centre kharedjite important, où dominaient les Beni-Ouaçoul (fraction des Miknaça). Les princes qui formèrent dynastie dans cette tribu prirent le nom de Midrarides. Ils luttèrent contre les Edrisides, et, en fait, conservèrent presque constamment leur indépendance.

2. La dynastie des Rostémides fut la plus puissante des dynasties kharedjites qui au 1x siècle luttèrent contre l'empire édriside. Un certain Ibn Rostem était, au vin siècle, chef des Kharedjites de l'Ifrikya. Défait par Ibn Achath, il se porta vers l'ouest à la tête d'un parti de Berbères, et fonda Tiaret qui devint un centre de kharedjisme ibadite.

Les Rostémides, après avoir victorieusement résisté aux princes de Fez, furent définitivement écrasés en 910 par les Fatémides de Kairouan, champions de l'orthodoxie.

du centre de l'Ifrikya, les Houara de la grande Syrte professent l'ibadisme.

chose assez curieuse

On ne rencontre que deux centres orthodoxes: Kairouan et le royaume du Rif marocain, où un prophète berbère maintient le culte orthodoxe à Nokour, sa capitale, avec la même intransigeance que mettent ses voisins à défendre leurs croyances hérétiques.

Tel est l'état de l'Afrique au début du ixe siècle, quand les princes Aghlébites, investis du gouvernement de Kairouan, se disposent à consolider la puissance arabe dans la capitale de l'orthodoxie.

LES FAUX PROPHÈTES CHEZ LES BERBÈRES DU GRAND ATLAS.

1. Les faux prophètes des Berghouata.

<< Les Berghouata, avant les temps islamiques, avaient la prépondérance sur les tribus du Maghreb, mais furent supplantés par les Masmouda.

<«< Vers le commencement du IIe siècle [de l'hégire], ils habitaient les plaines du Temesna, et la partie du littoral qui s'étend de Salé et Azemmour jusqu'à Anfa et Asfi.

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« Le récit qui va suivre fut fait, en dialecte berbère, par un roi du Maghreb, et rapporté par les musulmans d'Espagne. << Les Berghouata avaient alors pour chef un nommé Târif, qui avait occupé un commandement dans l'armée de Meïcera, célèbre partisan des doctrines kharedjites sofrites. Après la chute et la mort de Meïcera, Târif continua à soutenir dans son pays la cause des sectaires du kharedjisme; on rapporte même qu'il se donna pour prophète, et promulgua un code de lois à l'usage de son peuple.

« Son fils, qui fut connu sous le nom de Saleh, rejeta comme lui les vrais préceptes du Coran, s'arrogea le caractère de prophète, et enseigna aux Berghouata ce système religieux pour lequel, après sa mort, ils montrèrent tant d'attachement.

<< Il prétendait avoir reçu de Dieu un Coran particulier, et en récitait les sourates à ses disciples. Tel chapitre s'appelait

1. Ibn Khaldoun, t. II, p. 126-127.

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