Images de page
PDF
ePub

<«< cette mer, j'irais jusque dans les contrées les plus éloi<< gnées porter la gloire de ton nom, combattre pour ta reli<<gion et anéantir ceux qui ne croient pas en toi!»>

<< Mais, attaqué à l'improviste par les Berbères conduits par Koceila, il fut tué avec 300 de ses compagnons. On vénère aujourd'hui son tombeau dans une oasis voisine de Biskra. <«< Sa mort marqua une reprise de l'indépendance berbère : Koceïla s'empara du pays entier.

<«< En 66, le gouverneur d'Égypte chassa les Berbères et rebâtit Kairouan pour la troisième fois; mais, repoussé par les Byzantins de Barca, il fut tué, et l'Ifrikya fut de nouveau perdue pour les Arabes.

<«< Enfin, en 98, le Seigneur arma le bras d'Hassan, nouveau gouverneur d'Égypte, qui devait soumettre le pays définitivement. Kairouan fut reprise pour la quatrième fois, et Hassan marcha contre Carthage. Chaque jour, ses troupes prenaient les armes et, le soir venu, retournaient à Tunis. Or, quand les Arabes sortaient le matin, ils avaient constamment le soleil en face, ce qui leur fatiguait la vue; ils écrivirent alors au khalife Othman, qui ordonna de ne combattre l'ennemi à l'avenir qu'après l'heure du Zoual, sage mesure qui rendit la position des Byzantins très critique. Mornag, qui paraissait commander à Carthage, livra la ville après avoir fait partir tous les Byzantins et après qu'on lui eût permis de s'établir dans une plaine fertile qui porte aujourd'hui son nom. Le patrice Jean abandonna la ville qui depuis 10 siècles appartenait aux empereurs chrétiens et quitta pour jamais ses rivages.

<< Hassan1 demanda alors aux habitants de l'Ifrikya quel chef fameux restait encore, et ceux-ci répondirent : « La Kahenah. >>

« C'était une femme, et la reine effective de toute la Berbérie. On l'appelait Dahiah (la reine) et Kahenah (la prêtresse). Son vrai nom ne nous a pas été rapporté. Sa famille appartenait à la tribu juive de Djorâouah 2, et on l'honorait

1. En-Noweïri, apud Ibn Khaldoun, t. I, p. 340.

2. La Kahenah appartenait en réalité à une tribu berbère convertie au judaïsme.

dans toutes les montagnes de Numidie et de Maurétanie. Comme elle savait par divination, disaient les Berbères, la tournure que devait prendre chaque affaire importante, on lui avait donné le commandement.

« Elle descendit de l'Aurès, et vint au-devant de son ennemi sur les bords de l'oued Mini. Mais, vu l'heure avancée du jour, elle n'oflrit pas la bataille, et passa la nuit en selle. Le lendemain, le front de bataille des Berbères s'étendait en cercle, couvert de plusieurs lignes de chameaux, entre les jambes desquels étaient les plus adroits des archers. Le gros des guerriers, les femmes et les bagages étaient derrière ce rempart. Les chevaux furent effrayés par l'odeur des chameaux, et Hassan fut repoussé et poursuivi jusqu'à Gabès. Là, il s'arrêta et se fortifia, construisant le ksour el-Hassan.

«< Or, quatre-vingts compagnons de l'Émir étaient tombés entre les mains de la Kahenah. Sans rançon, elle les envoya, sauf un seul. Il s'appelait Khaled, fils d'Iezid, de la tribu de Caïs, et était jeune et beau. La prêtresse s'en était éprise et disait : « Jamais je n'ai vu d'homme plus beau et plus brun «que toi. Je veux t'allaiter pour que tu deviennes le fils de « la Kahenah et le frère de ses enfants. » Cette cérémonie, qui, chez les Berbères, consacrait l'adoption, eut lieu.

« C'est alors que la Kahenah fit détruire toutes les richesses de l'Ifrikya, car elle croyait que les Arabes ne cherchaient qu'à emporter un riche butin. «Ils veulent seulement, <«< disait-elle, s'emparer des villes, de l'or, et de l'argent. Détrui<«< sons tout ce qu'ils recherchent, et ruinons notre pays pour <«<les décourager. Nous garderons intacts les pâturages et les «< champs, qui nous suffisent. » Alors tout fut dévasté, les villes furent rasées, les barrages détruits; les forêts incendiées, et ainsi disparurent les oliviers qui s'étendaient au temps des Barbares Romains sur tout le pays d'El-Djem et de Sfax.

<«< Hassan revint peu après, et un dernier et sanglant combat eut lieu entre les serviteurs de Dieu et les Berbères. La Kahenah prévoyait la défaite et, le matin, elle dit à ses enfants et à ses compagnons : «Quand je regarde vers « l'Orient, j'éprouve des battements qui m'avertissent. >> Elle envoya alors à Hassan ses fils ainsi que Khaled, et se prépara au combat. Celui-ci fut implacable et il fallut une intervention spéciale de Dieu pour que les indigènes fussent exterminés. La Kahenah ne voulut pas se dérober au vain

queur : « Je dois savoir mourir en reine », dit-elle; elle fut prise dans la poursuite, sa tête fut tranchée, puis jetée dans un puits, qui depuis porte son nom : Bir el-Kahenah.

«La liberté de la Berbérie descendait au sépulcre et n'en devait sortir ni à la troisième aurore ni à la troisième semaine ni à la troisième année. »>

CHAPITRE V

LES BERBÈRES ET L'ISLAMISME

LES DEUX MAGHREB

AUX IX ET Xe SIÈCLES 1

Après avoir retracé l'histoire des premières expéditions arabes en Ifrikya, il convient de se demander comment l'islamisme fut accueilli par les Berbères. La conversion des autochtones de l'Afrique du Nord à la religion de Mahomet présente, en effet, des caractères très particuliers qu'on a le tort de méconnaître souvent.

Mais, tout d'abord, il importe de définir les principales peuplades qui couvrent le pays au viie siècle et vont successivement jouer un rôle dans l'histoire.

Lorsque ont disparu les derniers vestiges de l'occupation romaine, on distingue assez nettement trois groupements de populations :

1o Les Berbères de l'est ou race de Loua 2, représentant les anciens Libyens et Ilaguas. Ils couvrent le pays de Barca, la Tripolitaine, le sud et l'est tunisiens.

2o Les Berbères de l'ouest ou race Sanhadja 3, descen

1. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères. Mercier, Histoire de l'Afrique septentrionale, t. I, ch. Iv à XII. Elie de la Primaudaie, Arabes et Normands en Sicile et en Italie, 1867. — El-Bekri, Idricides. 2. Parmi les Berbères de l'est on distingue les Louata, Houara, Aourigha, Nefouça, occupant le pays de Barca et la Tripolitaine; Nefzaoua, occupant le Djerid, l'intérieur de la Tunisie et la partie orientale de la Numidie; Aoureba (Mercier, Hist. de l'Afr. sept., t. I, p. 182 et suiv.).

3. Parmi les Berbères de l'ouest on distingue les Ketama, occupant le littoral de Bône à l'oued Sahel et avançant jusqu'à

dant des Maures mélangés aux Gétules. Ils s'étendent sur l'ancienne Massésylie et sur la Maurétanie, contrées que les Arabes désigneront des noms de Maghreb central (el-Aouçot) et Maghreb extrême (el-Acsa).

3o Les Zénètes 1, dans lesquels il faut voir les descendants des Gétules, établis alors dans le désert depuis la Tripolitaine jusqu'au méridien d'Alger, et couvrant déjà une partie de l'Aurès, le Zab méridional et les hauts plateaux du mont Rached (djebel Amour). On distingue parmi eux deux races principales : les Zénètes de la première race, Ifrene, Maghraoua, Ouemannou, Iloumen, qui joueront un rôle dans le Tell dès le viie siècle; et en second lieu, les Ouacine, qui remonteront à leur tour vers le nord à partir du XIe siècle.

Cette classification permet de retrouver l'origine des peuplades dont on aura à suivre les migrations au cours des siècles, et de se rendre compte, autant qu'il est possible, du mouvement général des populations. On verra, en effet, la race indigène se rénover périodiquement, et des tribus sans cesse nouvelles arriver à la prépondérance, puis se disperser et disparaître de l'histoire. Il est indispensable de pouvoir se reporter, à chaque époque, à une base aussi claire que possible.

[blocks in formation]

Tandis que les gouverneurs arabes orthodoxes résidaient à Kairouan, les Berbères de l'intérieur accueillaient avec enthousiasme le kharedjisme.

Constantine et Sétif; Zouaoua, en Grande Kabylie; Sanhadja, occupant l'ouest et le nord du Maghreb central; Dariça, Beni Faten, dans le Maghreb central; Zanaga, Oursettif (Miknaça), Ghomara, Berghouata, Masmouda, Guezoula, au Maghreb extrême; Heskoura, dans les montagnes du Grand Atlas ; Sanhadja au litham. 1. Parmi les Zénètes on distingue les Ifrene, Demmer, Maghraoua anciens, Irnïane, Djeraoua, Ouagdiguen, Ghomara, Ouargla, Ouemannou, Iloumen, Onacine ou Maghraoua. Parmi ces derniers, on distingue : les Beni-Badine, qui donneront naissance aux Toudjine, Abd el-Ouad, Mezab; les Beni-Rached; les Beni-Merine.

« PrécédentContinuer »