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conversion des Berbères à l'islamisme, conversion qui s'est opérée avec une rapidité déconcertante.

Les Berbères ne paraissent pas avoir eu jamais, avant les temps islamiques, de religion bien déterminée : idolâtres, païens, ou convertis même à la religion judaïque, ils avaient, aux premiers siècles, accepté le christianisme qu'ils avaient oublié en recouvrant leur indépendance; ils acceptèrent de même la religion musulmane, et l'on ne saurait nier que la simplicité du dogme fut pour beaucoup dans le succès prodigieux des propagateurs de l'islamisme, partout où ils ne se heurtèrent à aucune religion bien déterminée et fortement organisée.

LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES EN BERBÉRIE.

[Les divers chroniqueurs arabes nous ont laissé chacun le récit d'une ou plusieurs des premières expéditions en Berbérie. Nous avons groupé ces fragments de façon à former une image vivante de ces campagnes curieuses à tant d'égard; tout en abrégeant les textes, nous nous sommes efforcé de conserver le style si pittoresque des auteurs arabes.

Enfin, nous avons fait figurer en tête de ce chapitre les formules traditionnelles par lesquelles débute invariablement tout ouvrage dû à un écrivain musulman, quel que soit son objet.]

« Louanges à Dieu !

« Qui nous donna la meilleure des religions;

«< qui a fait de nous le peuple de Mohammed, détenteur du Coran;

« qui, généreusement, nous a permis de lire le Coran, de jeûner le Ramadan, de faire le tour du temple sacré de la Caaba, de fêter la nuit de la destinée divine 1 et de monter sur la montagne d'Arafat2;

«< qui a fait de nous des hommes de pureté, de prière et de charité;

<«< qui nous a fait bénéficier des grâces des fêtes et des vendredis ;

« qui a fait de nous des sages en religion, des propagateurs

1. 27 Ramadan.

2. Montagne qui domine la Mecque.

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de la foi, des croyants marchant dans la voie du Prophète; qui nous a appris la vérité sur les premières et dernières générations, par la voix de Celui qui a clos la série des Prophètes, le Prince de Envoyés de Dieu, notre Seigneur Mohammed, le plus vertueux et le plus pieux des hommes : que la grâce divine le comble, ainsi que sa famille, ses compagnons et tout son peuple, jusqu'à la fin des temps.

« Le pauvre devant Dieu qui écrivit cette histoire s'est proposé de raconter la conquête glorieuse des pays d'Occident, depuis l'Égypte jusqu'au Maghreb el-Acsa, par les races successives des Arabes, la conversion des peuples infidèles de ce pays et des luttes des vrais croyants contre les chrétiens (que Dieu extermine!).

« Dieu bénisse nos efforts et guide notre plume.

« ...

1

Alors naquit en Arabie le Saint Prophète N. S. Mohammed que les grâces et les bénédictions divines soient répandues sur lui.

<< On voyait décliner partout les empires des hommes, et le Prophète comprit que le temps était venu de révéler au monde la vérité.

<< Lorsqu'il mourut, ayant enseigné la doctrine sainte, ses disciples se répandirent sur le monde entier. A leurs voix, tous les peuples se mirent à croire comme croiront tous ceux qui entendront les préceptes sacrés du Coran. Ils se répandirent à la fois vers l'Indus et vers l'Occident, et, comme Dieu guidait leurs pas, ils furent bientôt maîtres de l'Asie Mineure, de la Perse et de l'Égypte.

«< Ils songèrent alors à pousser plus loin vers le Maghreb et ainsi furent amenés à conquérir l'Ifrikya.

<< Dès l'an 22 de l'hégire, Amr Ibn el-Aci, s'était emparé du pays de Barca et de Tripoli et en avait chassé les Grecs. Il demanda alors au khalife Omar l'autorisation de pousser plus avant vers l'Ifrikya, mais Omar répondit : « Ce pays ne << doit pas s'appeler l'Ifrikya, mais le lointain perfide. Je

1. D'après Ibn abd el-Hakem, apud Ibn Khaldoun, t. I, Appendice I, p. 301-309; En-Noweïri, apud Ibn Khaldoun, t. I, Appendice II.

« défends qu'on en approche tant que l'eau de mes paupières <<< humectera mes yeux. »

<«< Un peu plus tard (en 25) le khalife Othman permit de tenter l'expédition. Sous le commandement de Abd Allah Ben ez-Zobeir, 10 000 cavaliers et 10 000 fantassins envahirent l'Ifrikya par le sud; à cette époque la capitale du pays était Carthadjina (ou Carthage) et le chef nommé Djoredjir (ou Grégoire) y gouvernait pour l'empereur d'Orient.

« Les Arabes attaquèrent les chrétiens aux cris de : «< Dieu «< est grand, il n'y a d'autre Dieu que lui », et leur armée fut détruite. Djoredjir périt de la main de Ben Zobeir, et les vainqueurs se portèrent sur Sbeïtla (Sufetula) où ils s'emparèrent des femmes et des richesses des Grecs.

« La fille de Djoredjir échut en partage à un homme de Médine qui la plaça sur un chameau pour la ramener dans son pays « Tu iras à pied à ton tour, lui disait-il, et tu «< travailleras à servir d'autres femmes. » Cette jeune fille demanda ce que ce chien disait, et, quand on lui répéta ses paroles, elle se jeta en bas du chameau qui la portait et se tua.

<< Les disciples du Prophète trouvèrent aussi une quantité de pièces de monnaie inconnues les habitants du pays leur expliquèrent que les Grecs les leur donnaient, en échange des olives qu'ils venaient chercher.

<< Ils parcoururent ensuite le pays du Djerid mais quittèrent l'Ifrikya sans y établir aucun kairouan (aucune place d'armes), et se retirèrent après que les Grecs eurent payé une contribution de 300 kintars d'or.

«En 46, le traité 2 avec les habitants de l'Ouezzan ayant été rompu, les Arabes marchèrent contre ce pays. Okba coupa une oreille à leur chef et lui dit : « C'est un avertis«<sement: quand tu porteras la main à ton oreille, tu te sou<< viendras que tu ne dois pas faire la guerre aux Arabes. »

«< Puis Okba parcourut le Fezzan et arriva au pays des Harouâr (ou Houara). Il coupa un doigt à leur chef comme avertissement, et leur imposa une contribution de 360 esclaves. Puis, ayant marché trois jours sans guide, il parvint à un pays de sable où l'eau manquait; c'est alors que, son cheval ayant gratté le sol du sabot, on vit l'eau jaillir d'ellemême cet endroit fut appelé depuis lors Ma el Ferès (l'eau

1. En-Noweïri, apud Ibn Khaldoun, 1er vol., p. 318.

2. D'après Ibn Abd el-Hakem, apud Ibn Khaldoun, t. I, p. 309.

du cheval). Revenant alors chez les Harouâr, il les trouva endormis dans leurs souterrains, égorgea tous les hommes en état de combattre, s'empara des enfants et des richesses, et continua sa route.

« D'autres Arabes, sous le commandement de Moaouïa ben Hadaïdj, s'avançaient en même temps vers le Nord et parvenaient devant la ville de Djohera. Cette ville tirait son nom d'une pierre précieuse (djohera) suspendue audessus de la porte de Bab el-Bahr. Or, une nuit, le fil qui retenait la pierre fut coupé, et, à l'aube, lorsqu'on s'en aperçut, chacun s'écria que le fil avait été coupé par un ver (souça); le sobriquet de «< Souça » resta depuis lors à la ville.

<< L'empereur d'Orient envoya pour défendre le pays 30 000 soldats qui débarquèrent à Djohera. Moaouïa marcha contre la place et, arrivé en vue des remparts, mit pied à terre et fit devant ses troupes quelques prières : les Byzantins furent d'abord remplis d'étonnement, puis s'avancèrent contre les musulmans; Moaouïa était encore prosterné quand les premiers infidèles approchèrent, mais il monta aussitôt à cheval et fondit sur l'ennemi qui fut taillé en pièces. Les soldats de Byzance se rembarquèrent.

« Les troupes de l'Émir démolirent la grande tour où se tenait un moine qui priait Dieu et avertissait de l'approche de l'ennemi. Les habitants qui n'embrassèrent pas la religion musulmane furent exterminés et les soldats se livrèrent à toutes les cruautés. L'émir, qui était un homme sage, avait interdit ces massacres et, voyant que les soldats ne lui obéissaient pas, il invoqua l'aide divine : « O mon Dieu, dit-il, je vous implore au nom de notre Prophète Mohammed; châtiez ceux qui ne veulent pas écouter l'ordre de l'Emir et répandent le sang innocent. » Aussitôt le massacre cessa.

« Okba avait été investi par le khalife du commandement de cette province nouvelle. De Souça, il se dirigea vers l'ouest 1 et rencontra, après avoir fait 13 milles, une citadelle occupée par les Berbères qui ne voulurent pas le laisser passer. Il s'en empara et continua sa route jusqu'à une grande vallée remplie d'arbustes et de plantes, et qui servait de repaire aux bêtes féroces et aux hiboux. Il implorą

1. En-Noweïri, apud Ibn Khaldoun, t. I, p. 328,

le seigneur et dit à ces bêtes : « Habitants de cette vallée, «< éloignez-vous et que Dieu vous fasse miséricorde. Nous «<< allons nous fixer ici. » Lorsqu'il eut fait trois fois cette proclamation, les serpents, les scorpions et les autres bêtes d'espèces inconnues, commencèrent à s'éloigner sous les yeux des spectateurs : c'est ainsi que Kairouan fut fondée. « Okba conquit ensuite tout le pays appelé Bysacène.

<<< Les vrais croyants avaient pour la première fois pris pied sur le sol de la Berbérie. Par la suite, Kairouan devait être plusieurs fois détruite, mais ne devait pas périr, car la protection divine s'étendait sur elle, et la grande mosquée qui fait aujourd'hui l'admiration du monde fut construite à l'endroit même où, dès cette époque, les Arabes bâtirent à plusieurs reprises le premier lieu saint.

« En effet, Okba ayant été rappelé et remplacé par un de ses rivaux, celui-ci détruisit Kairouan.

« C'est alors que les habitants du pays se soulevèrent sous la conduite de Koceïla, chef des Berbères Aoureba. Ils furent défaits et poursuivis par le gouverneur arabe jusqu'au Maghreb el-Aouçot.

<< Mais Okba revint bientôt et rebâtit Kairouan. Les Arabes soumirent alors toute la Berbérie, et s'avancèrent jusqu'au Maghreb el-Acsa. Ce pays est occupé par les montagnes du Deren. Le djebel Siroua, qui en forme la cime la plus élevée, offre un asile que des châteaux forts, des rochers, et des pics élancés rendent inviolable. Il touche à la voûte céleste et cache dans un voile de nuages sa tête couronnée d'étoiles. Ses flancs servent de retraite aux orages, ses oreilles entendent les discours qui se prononcent dans le ciel, son faîte domine l'océan, son dos sert d'appui au désert du Sous, et, dans son giron, reposent toutes les autres montagnes du Deren.

«< Ayant vaincu les Berbères du Sous, Okba prit quelquesunes de leurs femmes, qui étaient fort belles; puis, parvenu au rivage de l'Océan, il éleva l'étendard du Prophète, couronné du croissant, et, lui faisant suivre le mouvement du soleil du levant au couchant, il s'élança dans les flots jusqu'au poitrail de son cheval en s'écriant :

«< Dieu de Mohammed, si je n'étais arrêté par les flots de

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