Images de page
PDF
ePub

IV

LA DOCTRINE DE L'ISLAMISME

I.

-

LA CONQUÉTE ARABE1

Les origines de la religion musulmane.

On croit trop facilement aujourd'hui que le Coran fut accepté d'enthousiasme par les Arabes, puis se répandit sur le monde à la voix des disciples du Prophète, groupant successivement tous les peuples en une magnifique unité.

La vérité est tout autre.

Intimement liée à des luttes d'un caractère politique,

1. Lavisse et Rambaud, Histoire générale du IV° siècle à nos jours, t. 1, ch. IX. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes avant l'islamisme, 1847. Dozy, Histoire des musulmans d'Espagne, (711-1110), t. I, 1861. Essai sur l'histoire de l'islamisme, 1879. Rosseuw-Saint-Hilaire, Histoire d'Espagne, nouv. édit., 1846-75. Amari, Histoire des Musulmans de Sicile, 1856. — Fournel, Les Berbères; essai sur la conquête de l'Afrique par les Arabes, 1873-81. Ouvrages traitant particulièrement des questions religieuses : Ed. Doutté, Magie et religion dans l'Afrique du Nord, 1909. Notes sur l'Islam Magribin. Les Marabouts, extrait de la Revue de l'Hist. des religions, t. XL, 1900. - P. Lapie, Les Civilisations tunisiennes, 1898. - L. Rinn, Marabouts et Khouan. Étude sur l'islam en Algérie, 1884. Depont et Coppolani, Les Confréries religieuses musulmanes, 1897. I. Hamet, Les Musulmans français du nord de l'Afrique, 1906. Schmölders, Essai sur les doctrines philosophiques Chantepie de la Saussaie, Manuel d'histoire des religions, trad. fr. sous la direction de Hubert et Lévy, 1904. A. Müller, Art. Khalifen, dans l'Encyclopédie d'Ersch et Græber, 1884. - E. Masqueray, Chronique d'Abou Zakaria (traduction), 1879.

chez les Arabes, 1842.

[ocr errors]

Houdas, L'Islamisme.

la religion de Mahomet, à son origine, ne peut être comparée au christianisme, qui fut propagé pacifiquement à travers le monde par les apôtres de Jésus-Christ. L'histoire des premières années de l'islamisme est extrêmement mouvementée et, dans les conflits entre les successeurs du Prophète, se trouve l'origine des grands schismes qui ont pour nous une importance considérable, parce qu'ils se sont précisément développés dans l'Afrique du Nord.

Aussi est-il nécessaire de faire, malgré toute la complication qu'il présente, le récit des premières années, et de définir les différentes sectes qui prirent naissance alors. Si on néglige de le faire, l'histoire des empires arabes dans la Méditerranée reste absolument incompréhensible.

Les Arabes, avant l'islamisme, étaient pour la plupart idolâtres les uns adoraient les astres, les autres des idoles de pierre ou de bois. La religion juive avait également de nombreux sectateurs, et un grand nombre de chrétiens étaient établis dans les villes. C'est au début du viie siècle que Mahomet 1 commença à prophétiser. Mal accueilli par ses compatriotes les Mecquois, il se réfugia à Médine 2, où il fonda la religion nouvelle :

1. A la Mecque, on conservait au temple de la Kaaba une pierre noire, qui sans doute était un aérolithe et le lieu jouissait déjà d'une réputation de sainteté. Mahomet appartenait à la famille des Koreich, riches marchands de la race d'Adnan et était en même temps prêtre magistrat. Après une jeunesse passée dans la méditation, il commença vers quarante ans seulement à prophétiser et à prétendre qu'il recevait des révélations de Dieu par l'intermédiaire de l'ange Gabriel. Mal accueilli par ses compatriotes, il trouva des adeptes à Yatrib, ville rivale habitée par des gens de race Yéménite. Chassé par les Mecquois en 622, il y chercha un refuge et dénomma sa nouvelle résidence « Médine (la ville par excellence). Bientôt d'ailleurs il rentrait en vainqueur à la Mecque.

"

2. Le calendrier musulman compte les années à partir de la fuite de Mahomet à Médine (l'hégire), qui correspond au 16 juil

cette communion groupait tous les fidèles sous un même chef, à la fois grand prêtre et souverain politique c'était l'iman.

Quand Mahomet mourut, son beau-père Abou Bekr lui succéda dans ses fonctions, et prit le titre de khalife (successeur). C'est de cette époque que datent les premières expéditions des Arabes et, pour en comprendre le sens, il importe de se référer aux troubles. qui éclatèrent alors.

Dès que le Prophète fut mort, les tribus qui avaient embrassé sans conviction ses doctrines, et que ses partisans maintenaient dans l'obéissance, se soulevèrent en masse. Abou Bekr en fut réduit d'abord à se défendre; puis, groupant autour de lui ses partisans, il se constitua une armée et finalement triompha des rebelles. Les Arabes se convertirent donc à nouveau, mais Abou Bekr chercha le moyen d'éloigner les cavaliers de ces tribus dont le voisinage l'inquiétait :

« Le Khalife, dit Dozy1, pour ne pas leur laisser le temps de revenir de leur effroi, les lança aussitôt sur l'Empire romain et la Perse, c'est-à-dire sur deux états faciles à conquérir parce qu'ils étaient déchirés depuis longtemps par la discorde, énervés par la servi

let 622 de notre ère. Les mois, dans ce calendrier, suivent le cours de la lune et sont de 29 ou 30 jours. Les années se composent de 12 mois comprenant ensemble 354 ou 355 jours. Il en résulte que l'année musulmane purement lunaire commence, d'une année à l'autre, 10 ou 11 jours plus tôt dans l'année solaire. Les mois se succèdent dans l'ordre suivant :

[blocks in formation]

Le cycle lunaire des musulmans comprend 30 années lunaires après lequel les années communes ou de 354 jours, au nombre de 19, et les années abondantes, ou de 355 jours, au nombre de 11, reviennent dans le même ordre.

1. Dozy, Histoire des Musulmans d'Espagne, t. I.

tude ou gangrenés par tous les raffinements de la corruption. D'immenses richesses et de vastes domaines récompensèrent les Arabes de leur soumission à la loi du Prophète de la Mecque. »

Les premières expéditions qui amenèrent, en particulier, les Arabes en Berbérie ont donc un caractère à la fois politique et religieux, et l'on ne saurait attribuer au seul«< fanatisme » musulman leurs premières conquêtes 1.

Abou Bekr meurt en 634, après avoir désigné pour lui succéder Omar, qui prend en titre d'Emir El-Moumenin (prince des croyants). Il disparaît à son tour (en 644) et l'ère des khalifes dits « successeurs » prend fin. Le khalifat va dès lors être disputé entre de nombreux compétiteurs, et des luttes extrêmement confuses vont

commencer.

Les candidats au khalifat, désignés par Omar luimême, élirent suivant sa volonté l'un d'entre eux : ce fut Othman ben Offan, de la famille des Beni-Oméïa, qui fut proclamé, au grand désappointement d'Ali, gendre de Mahomet.

Ali, décidé à revendiquer ses droits au trône, réunit ses partisans et se prépara à la guerre. Lorsqu'il fut définitivement écarté du khalifat, ses partisans refusèrent de reconnaître les Oméïades : ce fut l'origine du grand schisme chiite qui devait se répandre en Berbérie au temps de l'empire fatémide, et en Perse.

Les Chiites comptèrent en secret les successeurs d'Ali et refusèrent toujours de reconnaître les trois premiers khalifes; ils dénient aujourd'hui au sultan de Stamboul le titre de successeur du Prophète.

Toutefois, il faut distinguer, dans la suite, la descendance spirituelle d'Ali et sa descendance temporelle : toutes les familles issues de la souche du Prophète, et par conséquent d'Ali, ne sont pas forcément chiites.

Edris, par exemple, qui vint fonder au Maroc un

1. Sur le fanatisme musulman, voir plus loin, ch. xiv.

PIQUET. L'Afrique du Nord.

4

-

empire arabe au ve siècle, était un descendant d'Ali qu'on ne considère pas comme un Chiite quoiqu'il se soit fait proclamer khalife au Maghreb, et qui est aujourd'hui vénéré comme le grand saint du Maroc. Toutes les familles chérifiennes de la Berbérie sont dans le même cas, et en particulier des sultans actuels du Maroc, qui se considèrent comme les chefs de l'Islam orthodoxe : ces questions, on le voit, sont fort délicates.

Ce ne fut pas tout encore: 12000 soldats d'Ali, lorsqu'un arbitrage l'écarta du trône définitivement, se séparèrent de lui, se donnant comme des puritains, et prétendant rester fidèles aux premières prédications de Mahomet. Ils prirent le nom de Ouahbites (de Abd Allah ben Ouahb) et furent appelés bientôt Kharedjites (dissidents). Ils sont également reniés par les orthodoxes et les Chiites. Ils furent les premiers adeptes d'une hérésie qui se développa plus tard, précisément en Berbérie, avec une singulière intensité.

Les hérétiques ou Kharedjites ne reconnaissent que les trois premiers khalifes seuls, nient tout imamat héréditaire et n'admettent que l'imamat électif.

L'ouahbisme a compris dès l'origine deux sectes distinctes dites eïbadite ou ibadite et sofrite ou safarite (de Abd Allah ben Ibad et Abd Allah ben Safar).

Il fut pratiqué par les princes Rostémides de Tiaret et s'est conservé chez les Mezabites, qui affectent un puritanisme austère et sont restés nettement distincts des autres peuplades de Berbérie. Les habitants de l'île de Djerba, qui ont conservé tous les caractères des Berbères de race pure, sont également restés ouahbites ainsi que les habitants du Djebel Nefouça.

Les uns et les autres ont tiré de leurs doctrines religieuses une organisation politique spéciale: ils forment de petites républiques ou communes théocratiques, à la tête desquelles se trouve un conseil de douze membres, présidé par un cheikh.

Lorsque Ali meurt, en 661, frappé par un Kharedjite, son fils, trop faible pour lui succéder, se retire à Médine,

« PrécédentContinuer »