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firent la grandeur de la Province romaine d'Afrique. On sait que la fusion fut complète entre les deux races: il est extrêmement important de le signaler, car c'est la preuve que la race autochtone n'est pas inaccessible aux civilisations européennes. Il est vrai qu'à cette époque elle n'avait pas subi l'empreinte de l'islamisme.

C'est au XIe siècle seulement que se produisit la grande invasion arabe. Les tribus venues d'Orient furent lentes à progresser vers l'ouest; ce n'est qu'au xve siècle qu'elles eurent pris pied définitivement dans les régions de plaines et pénétré jusqu'en Oranie. Elles n'allèrent pas plus loin et, dès cette époque, une fusion lente s'accomplit entre l'élément berbère converti à l'islanisme et les nouveaux venus 1.

A de très rares intervalles, quelques tribus arabes furent conduites au Maroc par les hasards des conflits; elles ne se répandirent guère que dans les vallées. Le Maroc est donc resté berbère. Tissot affirme que les trois quarts des habitants des montagnes sont blonds. L'élément arabe que l'on rencontre aujourd'hui au Maroc est très particulier ce sont des familles de chérifs (descendants du Prophète) qui vinrent, au moyen âge, s'y établir en petit nombre et, grâce au prestige de la religion, acquirent une certaine autorité. Ce sont ces familles qui arrivèrent à détenir le pouvoir à partir du XVIe siècle. Mais on ne doit pas s'illusionner ces chérifs, arabes, et par conséquent sémites, règnent sur des Berbères. Le Maroc est essentiellement montagneux; la race autochtone a donc eu toutes sortes de raisons de se conserver intacte.

Il n'a été donné qu'à un petit nombre d'Européens de parcourir ces régions; mais les Marocains leur ont paru en tout semblables au Kabyles d'Algérie. Le véri

1. On lira avec fruit, si l'on veut avoir une exacte idée de l'ethnographie du pays, une Note sur les tribus de la Régence de Tunis, anonyme, parue dans la Revue tunisienne, et des Études sur les populations du Maroc, par Quedenfeldt, trad. par le capitaine Simon, dans la Revue africaine.

table Maroc, qu'il ne faut pas confondre avec la région voisine de la frontière algérienne, s'étend des cimes les plus élevées de l'Atlas elles atteignent 4 500 mètres, il ne faut pas l'oublier, aux dernières collines qui viennent mourir sur les bords de l'Océan; une population fixée au sol cultive ce pays riche entre tous qu'Ibn Khaldoun a décrit en termes si magnifiques. En apprenant à la connaître, nous acquerrons des idées plus justes sur les Berbères. Le Berbère du nord et du centre du Maroc, disait déjà Tissot 1, a une physionomie essentiellement européenne: ses mœurs, ses habitudes la rapprochent de nous, et confirment cette supposition d'une origine commune. »

La question religieuse, certes, a pris depuis l'invasion arabe une importance primordiale. L'islamisme est profondément enraciné depuis le xie siècle partout où les Arabes se sont mélangés à la population autochtone.

Mais la religion des musulmans d'Afrique offre des caractères très particuliers. L'Afrique a toujours été la terre d'élection de tous les schismes et de toutes les hérésies; ceci d'ailleurs était vrai au temps où elle était chrétienne, aussi bien qu'au moyen âge.

Les tribus berbères converties furent d'abord kharedjites et en lutte ouverte contre les Arabes de race, représentants de l'orthodoxie.

Le schisme chiite se développa ensuite avec une singulière intensité, tant au Maghreb qu'en Ifrikya..

Bien plus, les Kabyles des montagnes d'Algérie et davantage encore ceux de l'Atlas ont modifié l'islamisme à leur convenance; ils ont entremêlé de pratiques de sorcellerie les préceptes du Coran, et l'on peut à peine dire que les montagnards du Maroc sont musulmans; ils ont suivi à certaines époques des chefs plus

1. Tissot, op. cit., p. 404.

politiques que religieux, prophètes d'une religion de fantaisie. Toutefois, il faut reconnaître que, sur cette popu-. lation peu religieuse en somme, les sorciers, les magiciens et, bien entendu, les marabouts, ont une influence considérable; et comme toute la Berbérie est, depuis le XVIe siècle, couverte de marabouts, on se trouve en face d'une situation quelque peu paradoxale : la population suit aveuglément aujourd'hui des hommes aux allures mystiques animés de croyances qu'elle méconnaît totalement.

Mais il importe d'insister sur ces marabouts et sur les confréries: celles-ci ont pris, à la faveur de l'anarchie des derniers siècles, un développement inquiétant. On ne doit pas se dissimuler l'importance du rôle de ces associations secrètes mi-politiques mi-religieuses. Une puissance musulmane comme la France doit faire de leur étude une des bases de sa politique africaine.

L'Afrique du Nord n'est donc pas ce que beaucoup de Français imaginent: un pays peuplé de colons, à travers lequel chevauchent quelques brillants cavaliers arabes.

Notre colonie ne se synthétise pas en quelques grands chefs nomadisant dans le sud. Des indigènes, ignorant le régime féodal, ont cultivé et cultivent encore les régions fertiles de cette Berbérie que nous identifions trop volontiers avec les plaines de sable où nous exécutons périodiquement des opérations de police.

Outre le Tell algérien que nous avons su mettre en valeur, grâce aux efforts persévérants de nos admirables colons, il est en effet dans l'Afrique du Nord deux régions particulièrement comblées par la nature de dons de toutes sortes: la partie orientale de l'ancienne Ifrikya, où réussissent également bien les céréales dans le nord, les oliviers dans le Sahel, où l'on rencontre enfin des richesses minières dépassant toutes les espérances; en second lieu, le Maroc, pays montagneux au

climat salubre, que de hautes montagnes préservent des souffles brûlants du sud, et dont les côtes sont tempérées par les brises de l'Océan.

Que, dans le sud algérien, quelques tribus que l'on ne peut espérer associer à nos travaux, nomadisent encore, peu nous importe; l'Arabe nomade peut nous donner des goumiers et des soldats; ne lui demandons pas autre chose. Mais parcourons les campagnes du Tell et les vallées de Bysacène; regardons le fellah qui laboure son champ on lui a reproché d'être maladroit, peu sensible au progrès, imprévoyant enfin; faut-il s'en étonner lorsque, depuis trois siècles, il est abandonné à lui-même sur sa terre, sans direction et sans soutien? Parcourons les admirables campagnes de la Chaouïa : nous recueillerons, en voyant l'indigène se livrer aux travaux de culture, la même impression réconfortante.

La Tunisie et l'Algérie seules comptent près de 7 millions d'indigènes. Si, pour une grande part, les anciens habitants sont aujourd'hui mélangés aux Arabes, le fond de la population n'en est pas moins cette forte race berbère, beaucoup plus proche de la nôtre qu'on n'a coutume de le supposer; dans le Maroc entier, l'élément berbère est franchement dominant, et nous le retrouvons en Algérie-Tunisie dans toutes les hautes montagnes. Nous ne devons plus ignorer les caractères propres de cette race trop longtemps méconnue, et le jugement qu'Ibn Khaldoum porta sur les Berbères doit rester la conclusion de l'étude de leur histoire Les Berbères, dit-il, ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux; un vrai peuple, comme tant d'autres dans ce monde..... On a vu des Berbères des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation. »

:

FIN

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