ment au Maroc des chérifs arabes à la même époque, vinrent changer la face des choses, et c'est de ce moment que date l'intransigeance musulmane en Afrique. La floraison de marabouts qui, du Maghreb, se répandirent sur toute la Berbérie, vint donner aux questions religieuses une acuité particulière et nouvelle. Les marabouts faisaient, au xvre siècle, de la haine contre les étrangers qui possédaient alors les côtes de l'Océan, leur principale raison d'être, et c'est la lutte engagée contre les Espagnols et les Portugais qui avait fait leur fortune; c'est pourquoi la haine du chrétien continue à faire encore aujourd'hui le fond de leur doctrine. Elle a donc une origine plus politique que religieuse. Il en est de même des confréries. Au Maroc, où le sultan les laisse absolument libres, tant que leurs chefs ou leurs adeptes ne se mettent pas en révolte ouverte, elles ont joué et jouent encore un rôle considérable. Le plus important des chefs de confréries est le chérif d'Ouezzan, au nord de Fez; il est grand maître de l'ordre des Moulaï-Taïeb, fort répandu dans tout le Maghreb et joue encore un rôle important, dénué d'ailleurs de tout caractère religieux, dans les luttes intestines qui divisent les princes de la famille régnante. D'autre part, les Turcs, dès leur arrivée, ont fait preuve en Ifrikya d'un véritable fanatisme. On ne saurait établir de comparaison, nous le répétons, entre l'attitude des beys de Tunis et la conduite des sultans Berbères du moyen âge. Ce sont les Turcs qui ont donné à la religion musulmane cet esprit nouveau et qui ont inauguré la haine du chrétien. Leurs instincts de cruauté s'accommodaient parfaitement de cette intransigeance implacable. Mais rien de pareil ne se vit jamais en Afrique avant leur arrivée et l'on peut dire que le fanatisme religieux fut presque inconnu de la race berbère. DESTRUCTION DES ÉTABLISSEMENTS CHRÉTIENS DE TABARCA (1740)1. [L'anecdote suivante donne une très exacte idée de l'attitude des Turcs vis-à-vis des chrétiens. Elle montre d'ailleurs chez les premiers plus d'inconscience que d'intransigeance.] <«< Lorsqu'il eut soumis la Tunisie 2, et réduit le parti du bey Hussein, Younès, fils d'Ali-Pacha, se tourna contre les chrétiens, et résolut de s'emparer des ports de Tabarca et de Tamkart où ils avaient des établissements. « Il résolut d'agir par ruse et envoya d'abord des navires portant des soldats et qui firent semblant de s'arrêter dans le port pour des réparations. Les chrétiens, sans méfiance, apportèrent aux matelots de l'huile et de la viande de bœuf; les askers descendirent à terre et s'empressèrent d'entrer en relations avec les femmes du pays. Mais bientôt Younès arriva par terre, à la tête de l'armée, et les chrétiens comprirent alors qu'ils étaient perdus. Pourtant, le chef du clergé et les prêtres, accompagnés du capitaine et des notables de l'île, montèrent à cheval et, portant l'évangile, vinrent à la rencontre du prince, pour lui exprimer le plaisir qu'ils avaient à le voir. Younès les reçut bien et les engagea à porter ce qu'ils avaient de plus précieux dans l'église, afin que leurs biens fussent à l'abri du pillage. Mais ce n'était là qu'une ruse pour s'emparer plus facilement de leurs richesses; bientôt, en effet, il entra dans le bordj par surprise et, à un signal donné, tout le monde se précipita dans les maisons des chrétiens. Les caisses trouvées dans l'église et contenant les choses précieuses, furent expédiées à Tunis; on fit sortir de Tabarca tous les habitants, femmes, enfants et vieillards, qui durent se mettre en route à pied, conduits par les hambas comme un troupeau de moutons. «< Younès avait pris pour lui les plus jolies de leurs filles; il choisit de suite deux d'entre elles qu'il envoya au Bardo. Plus tard, l'une d'elles se convertit à l'islamisme par peur; il l'épousa, et en eut des enfants. 1. Mohammed Seghir, 60 ans d'histoire de la Tunisie. Trad Serres et Lasram. 2. Voir plus loin : Règne d'Ali Pacha, eh. XVIII. PIQUET · L'Afrique du Nordi 15 |