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Jugurtha change de tactique : il répartit ses adhérents dans toutes les directions et les charge d'inquiéter sans cesse l'ennemi, se gardant de lui offrir l'occasion de lutter en bataille rangée. Les armées romaines ravagent quelque temps le pays, ruinant les cultures des indigènes, enlevant les villes, mais ne peuvent conserver aucune de leurs conquêtes; Metellus rentre prendre ses quartiers d'hiver dans la Province romaine.

L'année suivante, Metellus envahit de nouveau la Numidie. Après avoir longtemps reculé devant lui, Jugurtha, contraint d'accepter le combat, essuie une nouvelle défaite.

Il se réfugie alors à Thala, où il fait élever ses enfants et où il a laissé ses trésors. Les Romains viennent bientôt en faire le siège; la ville tombe au bout de 40 jours, et Jugurtha s'enfuit pendant la nuit, emportant ses enfants et ses richesses. Les derniers défenseurs, abandonnés, se retirent au palais royal et, après s'être gorgés de viande, allument l'incendie qui doit les dévorer.

Jugurtha s'est réfugié chez les Gétules. Dès lors, à la tête de hardis cavaliers, il pousse des pointes hardies jusqu'aux portes du camp ennemi, pille les populations soumises et regagne les régions éloignées avant qu'on ait eu le temps de le combattre on voit Marius, qui a pris la direction des opérations, se porter par une marche audacieuse jusqu'à Gafsa, quartier général du roi numide, et conduire avec succès une campagne à travers le Zab et le Hodna. Il s'empare même d'une de ces forteresses nommées Calâa, que les indigènes établissent sur les rochers inaccessibles, et où Jugurtha a caché ses trésors.

Jugurtha cherche alors asile chez Bokkus, mais nous voyons en même temps Sylla < avec une escorte de guerriers choisis et armés à la légère », se porter jusqu'en Maurétanie, où il décide le roi des Maures à livrer son allié. La trahison mit ainsi fin à une lutte que Jugurtha aurait pu prolonger encore.

« L'armée de Jugurtha, dit Gaston Boissier, nous rap

pelle tout à fait celle d'Abd el-Kader; il a ses réguliers, fantassins et cavaliers de choix, qu'il a équipés comme les soldats des légions et, avec eux, les goums qui lui arrivent de toutes les tribus voisines. Et l'armée romaine, comme ses revers et ses succès rappellent l'histoire de notre armée! Au début, elle ne connaît ni l'ennemi qu'elle combat ni le pays qu'elle veut soumettre. Elle tente, en plein hiver, d'enlever Suthul de vive force, comme nous l'avons fait à la première expédition de Constantine. Elle se laisse surprendre par ces cavaliers indomptables qui l'attendent à tous les passages difficiles, cachés derrière les broussailles ou les touffes d'oliviers.

< Enfin, Metellus apprend à ses soldats, quand les cavaliers ennemis approchent, à se former rapidement en cercle et à les recevoir à la pointe de leurs piques. Il renonce à ces grandes expéditions, qui ne mènent à rien même quand elles réussissent et les remplace par des attaques hardies, des razzias... il rend la légion romaine souple et mobile. >

Cette guerre, dit encore Mercier, nous montre le caractère des indigènes tel que nous le retrouverons à toutes les époques, qu'il s'agisse de soutenir Jugurtha, Tacfarinas, Firmus, Abou-Yezid, Ibn Ghanya ou Abd elKader, c'est toujours chez eux la même ardeur à l'attaque, le même découragement après la défaite et la même ténacité à recommencer la lutte jusqu'à ce que la trahison vienne y mettre fin. »

Ce n'est pas assez dire. Agriculteurs et pasteurs dans la paix, les Numides, comme aujourd'hui encore leurs descendants les Kabyles, présentent des qualités militaires de premier ordre; ils s'improvisent soldats avec une remarquable facilité, et défendent leur indépendance menacée avec une indomptable énergie. Ce n'est pas un peuple d'esclaves, celui qui pendant plus de vingt siècles sut rester lui-même en face des conquérants les plus divers, et trouva de tels chefs pour sauvegarder sa liberté.

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Jugurtha tombe en 104 et va mourir de faim dans un cachot, après avoir suivi, revêtu de la pourpre, le triomphe de ses vainqueurs.

Mais le royaume de Numidie ne va nullement disparaître.

Le roi des Maures Bokkus étend alors sa domination sur toute la Numidie occidentale (ancienne Massésylie). La Numidie proprement dite, avec Cirta, échoit à Gauda, frère de Jugurtha, qui règne au service de Rome.

Après lui, elle est divisée elle-même en deux parties : Hiempsal II, fils de Gauda, garde la région de Cirta, tandis que Yarbas s'établit à Bulla Regia, sur la Medjerda, et règne sur le pays que plus tard nous nommerons plus spécialement Ifrikya.

C'est l'époque où les généraux romains font de l'Afrique le champ clos de leurs discordes, et l'on voit les princes numides épouser leurs querelles. C'est ainsi qu'Yarbas, ayant pris parti pour Marius contre Sylla, s'empare de tout le pays; Hiempsal II, à son tour, qui a suivi la fortune de Sylla, s'empare du royaume d'Yarbas.

Au milieu du 1er siècle se déroulent les guerres entre César et Pompée. Les rois numides, à ce moment, tiennent encore une place singulièrement importante en Afrique Juba Ier prend librement parti dans la lutte entre les généraux romains; allié à Pompée, il est battu à Thapsus par César qui, au contraire, a recherché l'appui des Maures et des Gétules. Juba se donne la mort. C'est alors que prend fin l'unité du royaume de Numidie : la partie orientale sous le nom d'Africa Nova est rattachée à la Province romaine, et la partie occidentale ou Numidie, passant sous l'autorité de Bogud Ier, va devenir la Maurétanie Sétifienne.

Dans la seconde moitié du 1er siècle avant J.-C., nous ne voyons donc que deux états indigènes en Afrique :

Le royaume Maure proprement dit, à l'ouest;
Le royaume de Maurétanie Sétifienne.

Comme au temps des différends entre Marius et Sylla, puis entre César et Pompée, les deux états vont prendre parti l'un pour Octave, l'autre pour Antoine, et engager entre eux une longue lutte. En 40 avant J.-C., nous voyons Bogud II, roi de Maurétanie Tingitane, vaincu par Bokkus III, roi de Numidie celui-ci reçoit le commandement de tous les pays de l'ouest, et règne désormais sur toute l'Afrique indigène avec Cherchell pour capitale.

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Enfin, les princes indigènes vont gouverner ces régions pour le compte des Romains: c'est ainsi que Juba II, fils de Juba Ier, prince numide élevé Rome, est d'abord gouverneur d'Égypte, et devient vice-roi des deux Maurétanies (Maurétanie propre et Sétifienne) avec Yol (Cherchell) pour capitale. Ptolémée, fils de Juba II et de Cléopâtre Séléné (fille d'Antoine et de Cléopâtre), lui succédera.

La belle époque de la domination romaine s'étend sur les trois premiers siècles de l'ère chrétienne.

Il est superflu d'insister une fois de plus sur l'état de prospérité difficile à imaginer auquel atteignit la Province romaine d'Afrique, et dont témoignent les ruines innombrables et grandioses qui couvrent la Tunisie et le Tell algérien.

Moins heureux que les Romains, nous n'avons pu porter tout d'abord nos efforts que sur les côtes des anciennes Maurétanies, qui ne présentent qu'une bande relativement étroite de terres fertiles. Cette région, qui est devenue l'Algérie, ne joua qu'un rôle secondaire au temps de la domination romaine. Ce sont les vallées du nord tunisien et de la Bysacène, c'est-à-dire la partie orientale de la Numidie, qui se couvrirent surtout d'exploitations agricoles et de grandes villes.

Que deviennent, au cours de cette période, les peuplades indigènes?

Tous les habitants de la Bysacène, de la Numidie et du Tell des Maurétanies adoptent peu à peu la vie agricole, dans les montagnes comme dans les plaines, et la vie nomade ne subsiste qu'aux confins du désert. Les hommes s'adonnent dès l'enfance au métier des armes, les femmes écrasent le blé sous une lourde meule de pierre et font cuire sous la cendre une grossière galette. Ce sont elles qui soignent les bêtes de somme, elles qui vont, comme aujourd'hui encore, à la source puiser l'eau, tandis que le père garde les enfants. Les Numides ont d'ailleurs plusieurs femmes et de nombreux enfants.

En tout temps, ils sont vêtus d'une tunique grossière et d'un manteau de rude étoffe, quelquefois d'un rouge éclatant; autour de leur tête, ils enroulent un ample morceau d'étoffe.

Les animaux domestiques sont le cheval, le mulet, le chameau (introduit seulement en Afrique au siècle avant J.-C.); l'éléphant, au contraire, a disparu dès la fin de la période carthaginoise, il n'en est plus question.

A la guerre, les Numides combattent armés d'une large et courte épée et de deux solides javelots; ils s'abritent derrière un petit bouclier de cuir. Beaucoup sont montés sur d'excellents chevaux et forment une bonne cavalerie: au moment du combat, ils constituent avec les chameaux rangés sur plusieurs lignes et enchaînés l'un à l'autre, une véritable barrière; derrière les chameaux sont les bœufs et les chèvres. En arrière, et devant le camp, des pieux, des fourches fichés en terre forment d'autres barricades, et des chausse-trapes en défendent l'approche. Les fantassins s'abritent entre les jambes des chameaux, au premier rang, et leurs javelots sont prêts à repousser l'adversaire, tandis que les cris des chameaux épouvantent les chevaux ennemis. La cavalerie, massée sur une hauteur voisine, tantôt

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