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Les princes fatémides vont dès lors régner au Caire, et Bologguin ben Ziri, chef des Sanhadja, s'installe à Kairouan.

Est-il exact de dire que les Berbères triomphent alors de la domination arabe? Les Fatémides, certes, étaient des princes arabes et même, pour les Chiites, les successeurs véritables du Prophète. Mais si Kairouan, si certaines villes d'Ifrikya, abritaient encore une population mélangée d'Arabes, l'histoire de l'empire fatémide n'est-elle pas l'histoire de la tribu des Berbères Ketama? Depuis la chute des Aghlébites, les Berbères sont les véritables maîtres du pays. Aux Ketama va succéder, au XIe siècle, une autre tribu, sous le commandement d'un Berbère de race pure c'est tout ce qui pourra différencier la domination des Fatémides de l'empire futur des Zirides.

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CHAPITRE VIII

L'IFRIKYA AU DÉBUT DU XIẹ SIÈCLE1

Au moment où de nouvelles peuplades, une fois encore, vont envahir l'Ifrikya, il est bon de se demander ce qu'est devenue l'ancienne Province romaine, si prospère aux premiers siècles, si complètement ruinée au moment de la décadence de l'empire romain. L'impression réconfortante qui se dégagera de cet examen sera la preuve éclatante de la richesse de ce pays.

Nous manquons de renseignements sur l'état des deux Maghreb à la même époque. Ces régions n'avaient pas eu l'heureuse fortune d'être gouvernées par des princes énergiques et sages; mais il est vraisemblable qu'une renaissance de l'ancienne prospérité s'était également produite dans le Tell des deux Maurétanies.

Quant au Maghreb el-Acsa, les établissements romains n'y tinrent que peu de place: la colonie de Maurétanie Tingitane ne s'étendait qu'aux environs de Tanger et de Volubilis (qui deviendra Fez), mais la côte si fertile qui regarde l'océan n'a pu manquer de se couvrir à toutes les époques de riches cultures; et il est permis de supposer qu'à la fin du xe siècle, l'influence du brillant empire oméïade, qui exerçait sur ces régions une sorte de protectorat, se faisait sentir pour en développer la prospérité.

1. El-Bekri, Description de l'Afrique septentrionale. Hist. de la Tunisie, 4° partie, ch. vi.

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Si les souverains aghlébites et fatémides ont souvent porté la guerre au loin, ils ont su tenir aussi l'Ifrikya à l'abri des dévastations. La paix la plus profonde a régné dans les campagnes des anciennes provinces de Bysacène et de Zeugitane: aussi ne faut-il pas s'étonner de trouver le pays dans un état de prospérité que, malheureusement, il ne devait plus connaître de longtemps.

Dans les villes, l'industrie avait pris le plus magnifique développement. Kairouan, demeurée particulièrement arabe, était toujours la capitale du pays. « Ses bazars étaient célèbres, et ses boutiques s'étendaient de chaque côté d'une rue principale voûtée, sur une longueur de plus de 2 milles. On comptait dans la ville 48 bains et des mosquées déjà nombreuses, ornées de minarets: la population était telle que le jour de la fête achoura on égorgeait 950 bœufs 1. »

Souça (Sousse) s'élevait en amphithéâtre, au pied d'une rade merveilleuse, sur les ruines de l'ancienne Hadrumète.

<< Sousse, dit Obéïd el-Bekri, est entourée par la mer de trois côtés, au nord, au sud et à l'orient. Une muraille de pierres l'environne, forte et solidement bâtie. A l'angle sud-ouest de la ville, se voit un phare qui vient d'être construit en même temps que la Casbah, sur l'emplacement de l'acropole phénicienne.

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<«< L'amphithéâtre, de construction antique, est posé sur des voûtes très larges et très hautes, dont les cintres sont en pierre ponce, substance qui flotte sur l'eau.

«< Dans les environs, on voit des ruines d'une grandeur énorme et d'une haute antiquité. La ville est entièrement bâtie en pierres de taille. »

C'était une riche cité industrielle. On y fabriquait un

1. G. Loth, Histoire de la Tunisie.

PIQUET. L'Afrique du Nord.

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fil qui valait le double de son poids d'or. C'était le centre de l'industrie du tissage, et c'est là également que les foulons donnaient l'apprêt aux étoffes fines de Kairouan.

Sfax, à proximité des ruines de l'ancienne Thinae, était bâtie sur une côte basse où l'on pêchait déjà les éponges. La ville devait être alors fort importante: les chroniqueurs mentionnent un minaret « de 170 marches, attenant évidemment à une riche mosquée. L'art de fouler les draps y était alors poussé à un degré de perfection plus grand qu'à Alexandrie même.

Mais la véritable richesse du pays consistait dans les plantations d'oliviers qui s'étendaient à perte de vue dans l'immense plaine du Sahel.

Medhia était toujours la grande ville maritime, et son arsenal était des plus important.

Gabès, enfin, était le port le plus fréquenté, et l'on y voyait des navires de toutes les nations. C'était la seule ville d'Ifrikya produisant de la soie, et cette soie était réputée pour sa finesse. Dans l'oasis, on rencontrait des bananiers et des mûriers, ainsi que de beaux champs de canne à sucre.

Les chroniqueurs, pour donner une idée de la richesse du pays, citent le chiffre du revenu des douanes des ports: toute cette côte rapportait au trésor 80 000 mithcals, soit 800 000 francs.

La région de Gafsa était riche et peuplée. La ville de Gafsa elle-même paraît avoir été fort importante alors, et les impôts y rapportaient 50 000 dinars d'or. Elle était le centre d'une contrée prospère, où l'on comptait 200 bourgades florissantes et bien peuplées, arrosées par les eaux qui provenaient des sources de l'oasis; on y cultivait le pistachier.

Dans les montagnes qui s'élèvent au nord de l'oasis et forment la partie méridionale de l'ancienne Bysacène, les riches vallées, où s'élevaient autrefois de grandes villes romaines, étaient encore cultivées avec soin. ElBekri raconte qu'à Sbiba les fruits étaient abondants; qu'à Djeloula, à Lorbeus, où il n'y a plus rien de nos

jours, on rencontrait de beaux jardins et une végétation luxuriante. Les hauts plateaux de l'ancienne Numidie formaient toujours une magnifique région de culture et d'élevage, et, jusque sur le revers méridional de l'Aurès et dans la plaine qui s'étend à l'entour, des champs en plein rapport donnaient deux récoltes par an.

Les grandes oasis du Djerid fournissaient tous les fruits connus les oranges en étaient réputées et, seuls, le bananier et la canne à sucre n'y venaient pas bien.

Ces oasis étaient alors plus grandes et certainement mieux arrosées qu'aujourd'hui, et l'enchantement qu'on éprouve à s'y promener de nos jours permet de se figurer ce qu'elles devaient être alors. A Tozeur et à Nefta, les sources donnent naissance à de véritables rivières qui, se subdivisant à l'infini, vont arroser toutes les palmeraies de l'oasis. Deggache, plus accidentée, offre des cascades et de pittoresques vallonnements. Aujourd'hui, dans les grandes oasis, où l'on cultive spécialement les dattes de choix, on a supprimé toute autre culture, mais les indigènes, moins avertis, avaient certainement fait partout des jardins, et la charmante oasis d'El-Oudiane peut donner encore une idée de ce que devaient être alors ces forêts de palmiers géants abritant des jardins fleuris. Au printemps, les fleurs éclatantes des grenadiers parent la forêt tout entière, et les rosiers grimpants, couverts de roses roses, achèvent d'en faire un décor de rêve; comme les chaussées sont surélevées au-dessus des jardins, le voyageur qui s'y promène croit marcher en un pays enchanté, parmi les fleurs des arbres et le parfum des roses.

El-Bekri nous conte la vie paisible des habitants des oasis, et rapporte en tous détails leur procédés de culture.

<< Tozeur, dit-il, est arrosée par trois ruisseaux qui prennent leur source dans une couche de sable fin et blanc comme la farine; chacun d'eux se partage ensuite, et forme six canaux d'où rayonnent une quantité innombrable de conduits, construits en pierre d'une manière

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