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monial de cour et prit l'habitude de ne sortir qu'avec le parasol qui devint l'emblème de la dynastie fatémide. Ce parasol, que les chroniqueurs comparent à un bouclier fixé au bout d'une lance », était porté au-dessus de la tête du prince par un cavalier.

El-Kaïm, comme son père, entreprit un certain nombre d'expéditions contre Gênes, la Corse et la Sardaigne; il échoua enfin contre le gouverneur d'Égypte Ikhchid.

Ismaïl, surnommé El-Mansour, succéda à El-Kaïm.

Le dernier fatémide fut Abou Temim Maad (953) qui, sous le nom d'El-Moezz ed-din Allah (celui qui exalte la religion de Dieu), devait être le plus célèbre de ces khalifes, et, après avoir conquis l'Égypte, devait s'y installer

en abandonnant la Berbérie.

Deux ordres de faits, touchant tous deux aux questions religieuses, ont marqué ces règnes successifs : tout d'abord, une révolte kharedjite, et, en second lieu, les luttes ininterrompues que durent soutenir les Fatémides contre l'influence orthodoxe au Maghreb.

La révolte kharedjite éclata sous El-Kaïm. Certaines tribus de Tripolitaine étaient restées fidèles aux doctrines hérétiques 1. Elles se levèrent, vers 942, à la voix d'un certain Abou Yezid, dit l'« homme à l'âne », sorte de prophète boiteux et laid, mais ardent et courageux, qui parcourait les tribus monté sur son âne, et promettait aux Berbères de les affranchir de la domination des princes de Kairouan, pour leur donner l'égalité et une libre constitution.

Abou Yezid, proclamé par les tribus chef des croyants», envahit la Tunisie par le Djerid et Tozeur,

1. Aujourd'hui encore, les Djerbiens et les habitants du Djebel Nefouça sont kharedjites.

à la tête de 100 000 Berbères, et le mouvement fut si soudain que Kairouan fut enlevée, et ses habitants massacrés.

Il s'empara ensuite de Sousse, et se porta contre Medhia.

A la nouvelle de ses succès, les Berbères accouraient en foule auprès de lui; du Djebel Nefouça, du Mzab et même du fond du Maghreb, les Kharedjites venaient se joindre à leurs coreligionnaires.

De son côté, le khalife appella les tribus chiites, Ketama de Constantine, et Sanhadja du Maghreb central.

L'homme à l'âne ne put prendre Medhia, mais El-Kaïm mourut avant d'avoir pu réduire les insurgés. Ce fut Ismaïl, deuxième successeur du Medhi (947), qui, après deux années de luttes, eut raison de l'homme à l'âne, et, après son triomphe définitif, reçut le surnom d'El-Mansour (le victorieux).

Les chroniqueurs nous ont laissé des détails d'un naturalisme naïf sur le siège de Medhia et la fin d'Abou Yezid : « On avait entouré la ville de fossés profonds et le Medhi se disposa à la défendre les habitants furent réduits bientôt à manger les bêtes de somme et même les cadavres. Le sultan décida alors de chasser de la ville les bouches inutiles. Les malheureux habitants durent traverser les lignes des ennemis, qui s'emparèrent d'eux et les massacrèrent tous; les soldats éventrèrent même les femmes enceintes pour chercher dans leurs entrailles l'or et les bijoux qu'ils y croyaient cachés. Enfin les défenseurs se mirent à consommer les provisions des magasins souterrains et des silos.

<< Mais, comme le siège se prolongeait, les gens du djebel Nefouça, du Mzab et du Maghreb qui accompagnaient l'homme à l'âne s'impatientèrent et désirèrent bientôt retourner dans leur pays. Abou Yezib lui-même avait mis de côté sa grosse chemise de laine et son âne; on ne le voyait plus que couvert de vêtements de soie et montant de superbes chevaux : il avait ainsi

perdu beaucoup de son autorité, et, après huit mois de siege, il dut se retirer.

<«< Lorsqu'il mourut de ses blessures, sous Ismaïl, après des années de luttes, il fut écorché et l'on fit de sa peau bourrée de paille un mannequin que l'on exposa dans les villes de la région; on l'avait mis dans une cage, où il servait de jouet à deux singes dressés à ce métier. Sa chair fut salée et expédiée à Medhia avec les têtes des principaux personnages de sa suite. On suspendit ces dépouilles à l'une des portes de la ville 1. »

L'histoire des interventions des Fatémides au Maghreb est extrêmement complexe. Ces guerres constituent toute l'histoire de la Berbérie au xe siècle, et cette époque est, de beaucoup, celle dont l'étude est le plus difficile.

Tout se résume, en somme, dans la lutte d'influence entre l'empire chiite de Kairouan et l'empire de Fez; mais l'exposé des faits est compliqué singulièrement par la part que prennent à ces luttes les tribus berbères indépendantes du Maghreb central, qui de jour en jour deviennent plus puissantes, et demeurent, à la fin du XIe siècle, seules maîtresses de l'Afrique du Nord. Nous serons d'ailleurs conduit à rappeler un certain nombre de faits qui se rattachent à l'histoire du Maghreb 2.

La première campagne d'Obéïd Allah est dirigée contre les princes rostémides de Tiaret, affiliés au kharedjisme.

Il fait attaquer ensuite par ses alliés, les Miknaça, le royaume de Nokour, dans le Rif, où des Berbères indépendants pratiquent l'orthodoxie.

Enfin, en 923, les Miknaça et les Ketama, au nom des Fatémides, marchent contre les Édrisides, princes de Fez.

1. Cité par le commandant Hannezo, op. cit., p. 236. 2. Voir plus haut, ch. v, p. 81 et suiv.

En 933, quand meurt Obéïd Allah, les Edrisides se sont réfugiés dans les montagnes du Rif; les Miknaça, au nom des Fatémides, occupent toute la vallée de la Moulouïa ainsi que le Maghreb jusqu'à Fez et se sont emparés de Tlemcen, que gouvernait un prince édriside.

Sous El-Kaïm, un événement capital et très caractéristique de l'histoire de l'Afrique du Nord se produit : les Miknaça, gagnés par les Oméïades d'Espagne, cessent de combattre pour les Fatémides. Aussitôt, ceux-ci rétablissent sur le trône de Fez les Édrisides, qui règnent en leur nom et vont s'efforcer de contre-balancer l'in-. fluence oméïade.

Les Fatémides sont, à ce moment, occupés à réduire en Ifrikya la révolte d'Abou Yezid; leur influence au Maghreb diminue et le pays entier obéit bientôt aux Oméïades.

Mais la puissance croissante des tribus du Maghreb, et notamment des Ifrene, oblige Ismaïl (troisième sultan fatémide) à se porter contre eux avec l'aide des Sanhadja qui occupent la partie du Maghreb située à l'est du méridien de Tenès 1.

Le sultan, après avoir réduit les Zénètes, se retira en confirmant le chef des Sanhadja. Ziri ben Menad, dans le commandant du pays qu'il occupait : c'étaient les environs de la future ville d'Alger, alors simple bourgade nommée Djezaïr-beni-Mezrhanna.

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Nous manquons de renseignements sur les armées qui combattaient en permanence au Maghreb pour les Fatémides; il est certain, toutefois, qu'elles se composaient de guerriers des tribus sanhadjiennes, groupés sous le commandement d'un chef venu de Kairouan, et auxquels se joignaient des soldats amenés d'lfrikya. Sous El-Kaïm, nous voyons l'une de ces armées confiée à un officier nègre, ce qui témoigne de l'existence d'un grand nombre de miliciens de couleur.

1. V. la carte de l'Afrique du Nord du vi au xv° s.

Au début du règne d'El-Moezz, l'histoire des deux Maghreb se complique de plus en plus.

Tandis que les Édrisides continuent à résister aux Oméïades au nom des Fatémides, les peuplades du Maghreb central deviennent toute puissantes : ce sont les Sanhadja dont on vient de parler, et, à l'ouest du méridien de Tenès, les Maghraoua et les Ifrene (Zénètes de la première race), tribus d'une commune origine devenues rivales.

Les Maghraoua, qui se sont installés à Tiaret, ont d'abord reconnu, comme tous les peuples des deux Maghreb, l'autorité oméïade; mais, pour réduire les Beni-Ifrene leurs rivaux, ils appellent les Fatémides. L'armée fatémide se porte vers l'ouest, réduit les BeniIfrene, marche sur Fez, et se porte jusqu'au Tafilelt où les princes de Sidjilmessa, indépendants en fait, ont proclamé l'autorité abbasside. El-Moezz, après cette marche victorieuse, maître de toute l'Afrique du Nord, rentre à Kairouan traînant dans des cages de fer le roi de Sidjilmessa et le gouverneur de Fez.

C'est la dernière campagne des Fatémides en Occident: El-Moezz va poursuivre vers l'est le cours de ses succès, et la conquête de l'Égypte va l'occuper exclusivement. En 969, ses généraux enlèvent définitivement le pays aux gouverneurs ikhchidites. El-Moezz fonde la citadelle à laquelle il donne le nom d'El-Kahera (la triomphante), et qui donnera naissance à la ville du Caire; puis il se porte jusqu'à Damas. Il revient enfin s'établir au Caire, abandonnant à ses anciens alliés, les Sanhadja, le gouvernement de l'Ifrikya 1.

1. El-Moezz institua de même dans toutes les provinces de son immense empire des gouverneurs berbères appartenant soit aux Ketama, soit aux Sanhadja, et il est tout à fait caractéristique de voir le khalife arabe, représentant des doctrines musulmanes en Afrique, confier ces vice-royautés aux chefs des tribus soumises; c'est le même moyen de gouvernement qu'employaient les Romains, aux premiers siècles de leur occupation, quand ils confiaient à un prince berbère résidant à Césarée (Cherchell); le gouvernement des deux Maurétanies.

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