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ciaires étaient établis dans tous les ports importants, dans toutes les villes où se faisait un trafic notable, et partout où se tenait un marché fréquenté: outre la perception des impôts, ils étaient chargés de l'administration des magasins et entrepôts publics (0x), où étaient centralisés les produits de ces contributions'. A la tête du service était placé, dans chaque province, un commerciaire en chef, résidant dans la capitale de la circonscription administrative. On voit quel était dans le système financier de l'empire le rôle considérable attribué à ces personnages; au reste, les titres dont ils sont revêtus sur leurs sceaux disent assez leur importance: ce sont le plus souvent d'anciens préfets (anò ènápov) ou d'anciens consuls (ἀπὸ ὑπάτων).

Le Musée de Saint Louis de Carthage possède un certain nombre de sceaux ayant appartenu à des commerciaires d'Afrique'; tous portent, sur une de leurs faces, l'effigie du prince sous le règne duquel ils furent frappés ; c'est tantôt celle de Constant II, plus souvent celle de deux empereurs, où il faut reconnaître sans doute, pour les plus anciens, Justin II et Tibère, et pour les plus récents deux souverains du viie siècle, soit Héraclius II et Héracléonas, soit Constantin Pogonat et son fils. Les uns portent des légendes latines, et le titre de commerciarius Africae; les autres ont des inscriptions grecques et joignent à l'indication de la fonction la dignité d'amè ὑπάτων ou d ̓ ἀπὸ ἐπάρχων . Dans la disette extreme d'informations où nous sommes réduits pour l'étude de l'administration byzantine en Afrique, ces monuments offrent un très vif intérêt; ils

1. Schlumberger, Sigillographie byzantine, p. 470-471.

2. Delattre, Plombs byzantins de Carthage (Missions catholiques, 1887, p. 524). Il faut lire commerciarius Africae et non pas comes Africae.

3. Cf. Schlumberger, l. c, p. 317-318.

4. Ibid., p. 197-198, 195, 296.

5. Delattre, . c., p. 524 et Bull. de l'Académie d'Hippone, 1893.

6. On trouve en Afrique d'autres personnages portant les titres de anò náp zwv ou d'ex-consuls, mais sans indication de fonctions administratives (Delattre, l. c., p. 508, 525).

montrent en effet comment, jusque dans l'administration financière, qui lui était spécialement réservée, le préfet du prétoire vit, au vie siècle, diminuer l'étendue de ses attributions; de plus en plus, par l'importance croissante des autorités militaires autant que par la transformation des autres institutions, l'Afrique tendait à devenir un véritable thème.

L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE

I

La sollicitude de l'empereur Maurice ne paraît point s'être seulement appliquée à assurer par une décisive réforme la défense des provinces africaines. En même temps qu'il créait l'exarchat, en même temps qu'il s'efforçait, par d'énergiques mesures, d'arrêter la diminution croissante des effectifs militaires, il se préoccupait, à l'intérieur de l'empire, d'améliorer le sort des sujets. Il s'appliquait à alléger les lourdes charges que l'impôt faisait peser sur les propriétaires et les habitants du diocèse d'Afrique ; il surveillait attentivement l'administration des fonctionnaires, et exigeait d'eux, au sortir de charge, des comptes scrupuleusement rendus ; il adoucissait pour les dissidents la rigueur des lois de Justinien; sous son. règne, les juifs demeurèrent paisiblement en possession de leurs synagogues, et il fut rigoureusement interdit de chercher par violence à les convertir. Les donatistes profitèrent de la même tolérance; on leur permit d'avoir leurs églises, leurs évêques, sous la seule réserve que ces prélats n'ambitionneraient point le titre de primat et la direction religieuse de la

1. Greg. Magni Epist., 3, 61, 64. On voit, 8, 10, que la loi concerne aussi l'Afrique.

2. Id., 1, 47.

3. Id., 3, 61, 64; 8, 10.

4. Id., 9, 195. Cf. 8, 25; 9, 38.

province, et grâce à la bienveillance non dissimulée de l'administration impériale, l'hérésie donatiste eut en Numidie un regain de prospérité. C'est qu'en face des périls qui de toutes parts menaçaient l'empire au dehors, Maurice sentait profondément la nécessité de maintenir la paix intérieure ; et de même qu'il tâchait d'étouffer en germe les questions importunes qui pouvaient provoquer un scandale ou un trouble, ainsi il s'efforçait d'apaiser les dissidences, de calmer les mécontentements, d'attacher fortement les sujets à cette monarchie byzantine qui, sous l'œil des barbares, avait plus que jamais besoin d'union pour la défense'.

Malheureusement ces bonnes intentions ne furent qu'imparfaitement réalisées. Assurément Grégoire le Grand vante la prospérité que l'Afrique connut sous la bonne administration de Gennadius, et, en effet, parmi les plaintes innombrables qui de toutes les provinces viennent dénoncer à Rome les abus des gouverneurs, bien peu se rapportent aux actes des fonctionnaires de l'Afrique propre. Mais d'une part les besoins de la guerre et la disette lamentable du trésor public obligeaient, quoi qu'on en eût, à exiger les impôts avec la dernière rigueur; d'autre part, dans ces provinces byzantines d'Occident, soustraites par leur éloignement au contrôle incessant du pouvoir central, la discipline administrative se relâchait gravement. L'exarque et le préfet négligeaient plus d'une fois de faire exécuter les édits qui leur étaient transmis de Constantinople", et, à l'exemple de leurs chefs, les ducs, les praesides, surtout lorsqu'ils administraient quelque district écarté comme la Sardaigne ou la Corse, en prenaient fort à

1. Greg., 1, 75.

2. Id., 6, 59, 61. Cf. 4, 32.

3. Sur cette politique des empereurs, cf. Diehl, Exarchat, p. 389-298. Cf. Greg., 5, 39; 7, 30.

4. Greg., 7, 3: « bonum vestrum quod testatur Africa. »

5. J'entends parler ici seulement des plaintes relatives à des actes purement administratifs.

6. Greg., 6, 61.

l'aise avec les ordres du prince, et y contrevenaient ouvertement1. De là naissaient pour les sujets des exactions innombrables. Pour suffire aux demandes d'argent qui venaient du trésor, on faisait rentrer les impôts avec une exactitude si cruelle, qu'en Corse les contribuables étaient réduits à vendre leurs fils comme esclaves, et que les propriétaires désespérés abandonnaient leurs domaines pour s'enfuir chez les barbares2. Pour satisfaire leur avidité, les fonctionnaires étaient plus oppressifs encore, et leur imagination inventive trouvait mille prétextes aux vexations. Tantôt le montant des impôts était illégalement augmenté, ou plus simplement encore, on réclamait le tribut deux fois de suite "; tantôt on exigeait des populations païennes une taxe pour tolérer leur idolâtrie, et après qu'elles s'étaient converties, on continuait à percevoir la même redevance; ailleurs, on mettait la main sans scrupule sur les biens des établissements ecclésiastiques, on pillait les propriétés qui appartenaient aux institutions de charité". Contre les faibles, contre les pauvres, on multipliait les violences: le duc de Sardaigne laisse ses hommes battre et emprisonner des clercs; lui-même écrase l'Église d'impôts et de corvées et empêche l'évêque d'exercer la juridiction que la loi lui confère"; les fonctionnaires civils permettent de dépouiller les petits, et eux-mêmes les traitent avec la plus criante injustice . Au contraire, pour les grands, pour les riches, les administrateurs ont d'infinies tolérances, et pourvu qu'on mette le prix à acheter leur bienveillance, ils n'hésitent pas à désobéir, même aux ordres de l'empereur pour leurs amis, les donatistes par exemple, ils auront d'inépuisables indulgences; sans intervenir, ils les laisseront persécuter les évêques catholiques;

1. Greg., 1, 47; 9, 27; 11, 5.

2. Id., 5, 38.

3. Id., 11, 5.

4. Id., 5, 38.

5. Id., 4, 24.

6. Id., 1, 59. Cf. 4, 26.

7. Id., 10, 38; 11, 5.

8. Id., 9, 27; 6, 61.

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