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En approchant de Mamra il envoya en avant ses deux compagnons, leur enjoignant de chercher un tronc d'arbre qui devait se trouver près des rives de l'Oued-Tadjenant, sous le Kaf-el-Ahmer, le rocher rouge. Les tolba se hâtèrent d'obéir et trouvèrent bientôt l'arbre, grâce aux indications qu'ils avaient reçues. L'un d'eux se détacha alors pour aller au-devant de Si Mahammed et revint avec lui rejoindre son compagnon. A son arrivée le cheikh bâtit une mezara autour de l'arbre, puis il dressa sa tente sur un petit mamelon (Kaf-Hadjer-el-Ahmer) qui de nos jours est désigné par les voituriers sous le nom des terres rouges du marabout.

A peine fut-elle installée, qu'elle se remplit d'effets de toute sorte. Si Mahammed la déplaça deux fois et le même miracle se renouvela. Il comprit que c'était une tentation de Satan, aussi ne cessait-il de répéter:

« Je cherche un refuge auprès de Dieu contre les tentations de Satan le lapidé. » (Coran).

A la troisième fois seulement, il put introduire sa femme dans sa demeure. Deux autres tentes celle des tolba Zeroug et Abd-Allah prirent place à ses côtés.

Nour, El-Aïd et Zouggar-el-bou-Haoufani, ces trois individus qui se rendant à la Mecque avaient renoncé à leur voyage pour s'attacher à Sidi Mahammed-ben-lahia, s'installèrent également auprès d'eux. Ce petit douar devait former le noyau de la future tribu des Oulad-Abd

en-Nour.

Nous avons déjà dit qu'à l'époque où Sidi Mahammed vivait à Mâmra, les seigneurs du pays étaient les Sekhara, douaoudia ou nobles arabes dont il annonçait la chûte prochaine. Malgré le caractère dont il était revêtu, ses

prédictions ne manquèrent pas d'indisposer contre lui le chef de la contrée qui, pour s'en venger, résolut de lui faire payer l'impôt dont jusque là il avait toujours été affranchi. Du Ferdjioua, où il se trouvait alors, le chef des Sekhara envoya des émissaires chargés de percevoir le tribut. A leur arrivée le marabout ne manifesta en aucune manière son mécontentement, il se borna à leur dire:

« Je m'estimerais très heureux de continuer à ne pas payer d'impôt, mais si votre maître y tient absolument, amenez-moi cinq cents chameaux pour emporter l'orge et le blé (1). »

Les envoyés, croyant la chose, s'en furent à la recherche de cinq cents chameaux, mais lorsque le cheikh Sidi Mahammed eut connaissance de leur approche, il sortit de sa tente et prononça ces paroles en se tournant vers

eux :

يا بلاعة ابلعي ما جاك يا

a Engloutis ce qui te vient, ô toi qui engloutis ou qui avales. D

Et à peine avait-il achevé cet anathème, que les animaux disparurent dans les entrailles de la terre qui s'entrouvit sous leurs pieds. L'endroit où s'est passé le fait est la riche prairie des Oulad-Zaïm, qui porte encore le nom de Bellâa (l'avaleuse). Quant aux cavaliers qui conduisaient les chameaux, ils coururent de toute la vitesse de leurs chevaux informer les Sekhara de ce qui venait de se passer. A cette nouvelle le chef du pays, craignant

(4). Jadis l'impôt se payait en nature.

pour lui-même, partit sur-le-champ pour implorer la clémence de Si Mahammed-ben-lahia, amenant sa fille et apportant de riches présents. Il offrit le tout au marabout qui, touché de son répentir, consentit à lui faire grâce. La légende ajoute que le chef Sekhara eut une telle panique, qu'il n'osa prendre le chemin de Bellâa, quoique le plus direct.

A tous ces cadeaux il joignit des esclaves et le don de la contrée environnante, qu'il constitua habous (1), en faveur du marabout. Ce territoire était encore, dans ces derniers temps, un asile inviolable pour tous ceux qui cherchaient à se soustraire à la justice des hommes.

Cette légende est un curieux exemple de l'imagination: arabe, elle est fort répandue dans le pays et c'est pour cela que nous lui conservons son cachet original et féérique. Cependant il nous est permis de chercher à nous rendre compte des circonstances qui y donnèrent lieu. Le ruisseau qui prend le nom de Oued-Tadjenant descend des hauteurs des Oulad-Zaïm. D'abord très encaissé, il se déverse brusquement dans la plaine de Bellâa où il prend le nom de Oued-Farer', le ruisseau vide, parce qu'il n'a plus de lit et qu'il formerait un marais si les eaux n'étaient immédiatement absorbées par les terres. Il est probable. que les gens de Sekhara commirent l'imprudence de camper dans ce bas fond et qu'une de ces crues subites, si fréquentes en ce pays, où aucune végétation arborescente ne retient les eaux du ciel, inonda brusquement la vallée. Peut-être avons-nous trouvé la véritable cause qui

(1) Acte par lequel on institue tel établissement religieux, telle mosquée, tel saint ou marabout nu-propriétaire d'un objet meuble ou immeuble. (Bresnier, Chrestomathie arabe).

donna lieu à cette légende. C'est une simple opinion que l'inspection des lieux nous a suggéréc.

Sidi Mahammed-ben-lahia, comme on doit bien le penser, n'est pas sans avoir sur son compte un certain nombre de fables plus ou moins fantastiques, dont les principales sont les suivantes :

Si Mahammed avait l'habitude d'aller camper, au printemps de chaque année, aux environs de Zana (Diana veteranorum), ruines antiques situées dans un pays très riche en pâturages. Les habitants de cette contrée, qui étaient les R'amra, virent cette démarche de mauvais œil et résolurent cette fois de s'y opposer de toutes leurs forces.

Deux mille cavaliers montèrent à cheval et s'avancèrent contre Si Mahammed, bien décidés à lui barrer le passage.

Le marabout, qui n'avait que vingt-cinq cavaliers, sentait l'impossibilité de lutter contre de telles forces. Néanmoins il ne voulut pas céder, et après une fervente prière, il lança ses vingt-cinq cavaliers qui mirent les R'amra en déroute complète et leur firent 400 prisonniers. A la suite de cet événement, les vaincus, confus de leur conduite, se rangèrent au nombre des plus zélés serviteurs du saint personnage.

Un jour que le marabout était allé au Djebel-Mestaoua réclamer la zekkat ou impôt religieux, les habitants du pays s'y refusèrent; il se tourna alors vers le rocher qui couronne la montagne en disant :

Et toi rocher, auras-tu pour moi un peu de respect quand les gens de la contrée me reçoivent si mal? »

Le rocher oscilla alors sur sa base et descendit jusqu'aux pieds du cheikh. En voyant ce prodige, les gens

de la tribu vinrent tous, hommes, femmes et enfants, baiser la main de Si Mahammed-ben-lahia et mettre de la terre sur leur tête en signe de soumission. Depuis ils ne manquèrent plus de lui payer la zekkat.

On dit encore qu'il rendit la vue à des aveugles, guérit des paralytiques et qu'il fit jaillir des sources dans des endroits jusqu'alors privés d'eau.

Si Mahammed, dit la tradition, vécut plus de cent ans, et après une vie exemplaire subit la loi de la nature; il tomba malade chez son gendre Zeroug, qu'il était allé visiter à sa résidence de Mechira. Sentant sa fin prochaine, il fit appeler ses plus fidèles serviteurs et leur donna ses dernières instructions au sujet de ses funérailles. Prévoyant ce qui devait arriver, il leur recommanda de la manière la plus expresse, lorsqu'il ne serait plus, de placer ses restes mortels sur sa mule favorite, de la laisser aller où bon lui semblerait et, surtout, de bien se garder de la toucher ou de contrarier ses mouvements. Quant à eux, il leur ordonna de se contenter de la suivre; l'endroit où elle s'arrêterait pour passer la nuit était celui qu'il choisissait pour le lieu de sa sépulture. Peu de temps après il rendit le dernier soupir.

Sa mort fut une cause de querelle entre les Abd-enNour et les Telar'ma leurs voisins, se disputant à l'envi les restes du saint homme que chacun voulait posséder comme gage de prospérité.

Dans ce but, la mule était tiraillée de tous côtés, quand tout-à-coup survint un brouillard si épais que personne ne pouvait apercevoir son voisin. La mule, se sentant libre, se mit en route dérobant sa marche. Les Abd-enNour voyant enfin que le corps tant désiré leur échappait,

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