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camp de l'armée ennemie établi sur la plage. Le lendemain, le bey, qui s'était mis à notre tête, nous forma en masse et nous fit pousser une charge sur l'aile gauche des Français. Cette attaque de nos cavaliers obtint un excellent résultat, car nous parvînmes à pénétrer dans les retranchements des Français et à mettre le désordre dans leurs rangs. Notre manœuvre avait été tellement subite et bien combinée que l'ennemi, probablement étonné à la vue de cette multitude arrivant au galop et en poussant des cris, n'eut pas le temps de faire usage de ses armes à feu.

Ce premier succès ne fut pas de longue durée. On nous avait annoncé que nous jetterions les Français à la mer, mais aussitôt revenus de leur première surprise, ils prirent l'offensive et, à leur tour, nous chargèrent à la bayonnette. Quelques-uns des nôtres furent même écharpés par les boulets tombant parmi nous. En un mot, on nous chassa, avec des pertes sensibles, du retranchement dont nous avions cru nous rendre maîtres (1).

(1) Le récit des Oulad-Abd-en-Nour est confirmé par le passage suivant, que nous avons lu dans un ouvrage publié tout récemment :

« Le 19 juin 1830, était le jour fixé par les Turcs pour la destruction de l'armée !.....

« A la pointe du jour toute la ligne est attaquée en même temps, avec cette fureur que l'armée d'Égypte avait admirée dans les Mameluks. L'ennemi se précipite vers la plage orientale, déborde la gauche, enveloppe un bataillon du 28e qui venait de recevoir l'ordre de se porter en arrière et qui, formé en carré, repousse toutes ces attaques. Cependant les retranchements sont franchis; le colonel Monnier est atteint de trois balles qui s'arrêtent dans son hausse-col et ses habits; le bataillon a perdu cent trente hommes. La seconde ligne marche à son secours et le dégage, les Turcs sont rejetés dans leurs positions. »

Mémoire sur les opérations de l'armée Française sur les côtes d'Afrique en 1830, par un capitaine de l'État-Major général de l'armée expéditionnaire,

L'armée française, ayant avancé, s'empara de notre camp et nous perdîmes là tous nos bagages.

Après cet échec, on nous fit replier sur les hauteurs du côté d'Alger. Plus heureux que les contingents des autres provinces, dont les canons étaient tombés aux mains des Français, nous pûmes ramener les deux qui nous avaient été confiés.

On nous fit arrêter sur les hauteurs où quelques nouvelles tentes et des provisions nous furent apportées d'Alger pour remplacer nos bagages perdus, comme nous l'avons dit, à la première attaque de l'ennemi. Mais nous étions destinés à ne pas jouir longtemps de notre nouveau matériel. Il nous fut enlevé une seconde fois par l'infanterie française (probablement dans le combat du 29 juin).

Ayant éprouvé cette nouvelle débacle, le bey El-HadjAhmed et l'agha du Pacha réunirent à part les cavaliers des Oulad-Abd-en-Nour et des Telar'ma, formant en tout un effectif de 400 à 450 hommes.

Ils nous ordonnèrent d'abandonner nos chevaux et de nous embusquer dans les fermes et les maisons de campagne qui couronnaient les hauteurs en avant d'Alger. Là, nous disaient-ils, vous ferez des créneaux, et à l'abri de murailles il vous sera facile d'empêcher les troupes françaises d'avancer. Une mission de cette nature ne pouvait nous convenir; depuis que les hostilités étaient cominencées, le bey nous avait toujours placés aux postes les plus périlleux; quelques-uns des nôtres avaient déjà été

tués.

Nous avions donné jadis des motifs de mécontentement,

par conséquent le bey devait nous haïr; nous en conclùmes qu'en nous enfermant dans des maisons, il avait l'intention de se débarrasser de nous d'une manière plus certaine.

Ces suppositions, de notre part, passèrent à l'état de conviction, et pour éviter cette embûche, nous répondîmes que nous avions l'habitude de combattre à cheval, que nous étions toujours prêts à marcher à l'ennemi, mais que nous ne consentirions jamais à nous enfermer dans des maisons.

Comme le bey et l'agha insistaient, nous montâmes à cheval pour nous éloigner. Cependant quelques-uns des nôtres firent observer qu'il était honteux d'abandonner ainsi le champ de bataille, le pacha et le bey ne nous le pardonneraient jamais. Cet avis trouva de nombreux adhérents et on s'arrêta dans la plaine au-delà du terrain où existe aujourd'hui le champ de manœuvre de Moustapha.

Le bey et l'agha revinrent nous haranguer, et promirent de pardonner notre acte de désobéissance si nous consentions à marcher à l'ennemi. Notre persistance fut la même : refus complet de combattre à pied. Ils nous menaçèrent alors de nous faire désarmer et massacrer ensuite par les cavaliers des autres provinces. L'agha, joignant l'action à la parole, fit mine de saisir ses pistolets. L'un des nôtres, moins patient ou plus entêté, tira sur l'agha, qu'il n'atteignit pas heureusement. D'autres coups de feu furent échangés entre nous et l'escorte de l'agha; enfin, nous nous éloignames au galop pour sortir de la plaine d'Alger, avant que le pacha n'eut donné aux tribus environnantes l'ordre de nous barrer le passage.

Nous n'étions qu'à une faible distance d'Alger quand une forte détonation nous fit tourner la tête c'était le fort l'Empereur qui sautait; les français étaient maitres d'Alger. Nous traversâmes la vallée de l'Oued-Sebaou; Si Ali-Cherif, apprenant notre approche, envoya à notre rencontre et nous donna l'hospitalité dans sa zaouïa de Chellata. Avec l'anaïa ou sauf-conduit de ce marabout, dont l'influence religieuse s'étendait dans toute la Kabylie, nous pûmes enfin regagner les plaines de Sétif et notre tribu.

La nouvelle de la prise d'Alger, par l'armée française, ne tarda pas à se répandre dans la province. Dès ce moment, toutes les tribus qui avaient eu à souffrir de la violence et du système spoliateur des turcs, commencerent à s'agiter ouvertement et à déclarer qu'elles n'obéiraient plus aux beys. Les Oulad--Abd-en-Nour, de même que plusieurs autres grandes tribus, telles que les Segnia et les Haracta, se donnèrent un chef nommé Bey-elAmma, le bey du peuple.

Cependant, El-Hadj-Ahmed, après avoir pris une part des plus actives à la défense du territoire algérien et assisté à la chûte de son seigneur Hassein pacha, comprit qu'il était grand temps, pour lui, de sauver son gouvernement.

Il rassembla tous les turcs qui voulurent le suivre, tous les algériens fanatiques qui fuyaient le contact des Français, et avec ce petit corps d'armée il reprit le chemin de Constantine. Ce n'est que par adresse, par astuce, en faisant des promesses impossibles à tenir, qu'il parvint à ramener à lui quelques chefs influents, qu'il se créa même des partisans parmi ceux qui avaient juré de le

repousser s'il reparaissait dans la province. La puissante tribu des Rir'a de Sétif n'attendait qu'un signal pour monter à cheval et courir sur le bey. Les Eulma et les Amer-R'eraba étaient dans les mêmes dispositions. Benel-Guendouz, de la grande famille des Oulad-Mokran de la Medjana, était à la tête du mouvement.

Le bey, prévenu de cette levée de boucliers, s'adressa à l'ennemi, au compétiteur de Ben-el-Gendouz. Il est rare de ne pas trouver chez les Arabes plusieurs individus dont les familles ont exercé à diverses époques, ou selon le caprice des gouvernants, le commandement dans la tribu.

El-Hadj-Ahmed entra en relations avec le compétiteur de Ben-el-Guendouz, le détacha de la coalition en lui offrant l'investiture, et obtint même de se faire livrer Benel-Guendouz, pieds et poings liés (1).

Dès ce moment le nouvel élu, Ben-Abd-es-Selam-elMokrani, réunit ses partisans, ses futures créatures, intrigua en faveur du bey et, en un mot, lui prêta mainforte pour assurer sa marche vers Constantine.

El-Hadj-Ahmed bey, pendant sa route, n'eut à repousser que quelques attaques partielles et atteignit Aïn-Kareb, chez les Oulad-Abd-en-Nour, sans avoir éprouvé de résistance bien sérieuse. Le lendemain il couchait à DrâToubal, non loin du tombeau de Sidi Ahmed-el-Graïchi.

(1) Ces rivalités de famille paraissent remonter très haut. Nous lisons dans le voyage de Desfontaines, en 1783:

"......

Le pays se nomme Megenah (Medjana) et la nation Mokaïna (Oulad-Mokran?) Le cheikh se nomme Bouremem: l'année dernière il était en guerre avec Alger et enlevait des bestiaux sur le territoire de Constantine. Il faisait aussi la guerre à un autre cheikh, son parent, qui se nomme Bengendouss (Ben-el-Guendouz).

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