Images de page
PDF
ePub

fine. Les deux autres reposent à nu sur le roc même; les terres qui devaient les entourer et l'humus de l'intérieur de la fosse paraissent avoir été entraînés par les

eaux.

Ces constructions sont nommées par les indigènes ElHaouanet les boutiques, mais ils n'ont à leur sujet aucune légende.

A quelques pas plus bas nous avons vu les fragments de sept à huit autres dolmens renversés et de plusieurs enceintes de pierres en gros blocs informes ayant plus d'un mètre de côté. Ce qui a surtout piqué notre curiosité, c'est la présence simultanée sur ce point du dolmen et de tombes circulaires ou petites tours, exactement semblables à celles de la subdivision de Batna, décrites par M. le commandant Payen dans l'Annuaire de 1863.

En escaladant les roches escarpées qui dominent la gorge dans laquelle s'engouffre l'Oued-Roumel, nous avons trouvé plusieurs de ces petites tours, perchées en quelque sorte sur les bords de l'abîme, comme les guérites d'une fortification. Planche 28. Il fallait marcher en tâtonnant et avec de grandes précautions, car en cet endroit le sol est couvert de pierres roulantes et, au moindre faux pas, l'on court grand risque d'être entraîné dans un précipice taillé à pic, qui n'a pas moins de 200 mètres de profondeur.

Deux de ces tours sont encore intactes. Leur hauteur est de 2m50 sur 3 mètres de diamètre. Elles sont construites avec des pierres plates de petit appareil, grossièrement taillées, mais ajustées de manière à former une muraille très régulière; une large dalle recouvre tout le système.

Plusieurs tours se sont écroulées et c'est en déblayant l'intérieur de l'une d'elles que nous avons pu retrouver, au milieu d'un terreau noir et humide, quelques débris d'ossements. La chambre dans laquelle reposait le cadavre a des proportions bien inférieures à la taille ordinaire de l'homme. Le défunt avait dû être assis, les genoux ramenés sous le menton, le dos appuyé contre une des parois.

Les squelettes trouvés dans les tombes circulaires fouillées par M. le commandant Payen, avaient le corps de façon à ce que les pieds touchassent le crâne. Je crois volontiers, pour mon compte, que cette attitude étrange des pieds touchant le crâne provenait de l'affaissement naturel produit par la décomposition du cadavre et non point par le fait anormal d'un déboitement de la tête du fémur, ainsi que quelques personnes l'ont supposé.

Sur la rive gauche du Kheneg nous avons aperçu plusieurs dolmens encore debout, mais le manque de temps nous a empêché d'aller les visiter. Ici, comme au BouMerzoug, la montagne est formée de blocs calcaires, pour ainsi dire taillés par la nature et sans adhérence entr'eux. On y trouve en grande quantité des lames de pierre de forte dimension, très propres à l'édification des dolmens. La facilité avec laquelle on se procurait les matériaux nous explique leur présence en nombre considérable sur des espaces assez restreints.

Oulad-Abd-en-Nour.

La tribu des Oulad-Abd-enNour dont le vaste territoire s'étend entre Constantine et Sétif, offre beaucoup de vestiges appartenant aux âges reculés de l'Afrique romaine. Nous y avons reconnu l'em

placement de plusieurs villes dont le nom ne tardera probablement pas à nous être révélé. Les monuments dits celtiques y figurent aussi en nombre assez considérable.

Le territoire de cette tribu peut se diviser en deux zônes soumises à des influences climatériques bien distinctes et, par conséquent, d'un aspect tout différent : le Tell ou hauts plateaux de culture et les Sebakh, plaines basses et salsugineuses réservées pour le parcours des bestiaux. Ces deux zônes sont séparées par le système montagneux du Djebel-Tafrent, que coupent plusieurs cols, dont le plus accentué est celui de Mechira.

L'importance de ce passage, où aboutissent les routes du Tell aux Sebakh, n'avait point échappé aux Romains qui, pour garder la position, avaient construit un fort auprès de la magnifique source d'Aïn-Mechira, qui donne son nom à la contrée.

Mais en examinant avec attention les vestiges que l'on rencontre sur ce point, on arrive à conclure qu'un peuple, autre que les Romains, y a laissé aussi des traces de son passage. En effet, deux immenses murailles qui semblent des restes de fortifications, l'une sur le versant nord, l'autre sur la partie du col qui fait face au sud, partent du sommet du Koudiat-el-Beni et aboutissent, en se dirigeant de l'est à l'ouest, à la cime du Koudiat-bou-Terma.

Ces murailles, fermant le passage au nord et au midi, formaient ainsi, entre les deux montagnes, une vaste enceinte ou sorte de camp retranché qui n'avait pas moins de 340 hectares de superficie.

D'après la tradition et de l'inspection même des lieux, il résulte que cet emplacement était très boisé. La source

de Mechira, plus qu'abondante, coulait au milieu de ce camp établi de cette manière dans une position des plus favorables. Cet immense enclos devait servir de refuge à une nombreuse population et aux troupeaux plus nombreux encore que probablement elle traînait à sa suite.

Les murailles serpentant à travers les sinuosités de la plaine et de la montagne, sont construites en gros blocs de pierres brutes alignées sur deux rangs. L'épaisseur de tout le système est d'environ deux mètres, sa hauteur ne s'élève pas actuellement au-delà de un mètre audessus du sol.

Quelle que soit la véritable destination de ces alignéments dans les temps anciens, on peut cependant les classer sans crainte dans la catégorie des ruines dites celtiques. Notre opinion est justifiée par la présence de nombreux cromlechs que les dites murailles relient entr'eux, comme nous l'avons déjà constaté en explorant les alignements du Bou-Merzoug. Planche 29, no 1.

Nous nous appuyons aussi sur la description suivante qui doit avoir la plus grande autorité :

« Les Celtes appelaient oppida ces lieux protégés par des forêts ou des marécages admirablement fortifiés par la nature et l'art dont tous les abords étaient fermés.....

« L'oppidum celtique était un immense lieu de refuge où des armées nombreuses, des populations entières chassées des campagnes pouvaient se retirer avec leurs femmes, leurs enfants et leurs troupeaux. C'était un espace immense entouré de rochers abrupts et ne présentant d'accès que d'un seul côté... » (Comm. de César). Dans l'enceinte mêine, au-dessous du cimetière arabe

du marabout Sidi-Yahia et entre la fontaine de Mechira et le moulin d'Ormoy, on aperçoit une infinité d'autres rangées de grosses pierres, en lignes droites, courbes, formant des cercles, des carrés, se coupant entr'elles et figurant en un mot des dessins capricieux que les arabes dans leur langage imagé nomment Chebaik- les filets. Ce n'est point le hazard qui a ainsi disposé ces pierres, elles sont évidemment posées avec intention; mais dans quel but?

Un plan topographique du pays et des ruines qui s'y trouvent nous dispensera de tout autre commentaire. Planche 27.

Comme toujours, les indigènes attribuent ces constructions aux païens. Les alignements étaient des murailles servant de limites; quant aux enceintes circulaires, aux cromlechs et aux galgals, ils les nomment Mezaïr ou Enza lieux de pélérinages, amas de pierres placées

sur une tombe.

« Jadis, rapporte la tradition locale, vivait à Mechira << un prince païen du nom de Abd-en-Nar, l'adorateur « du feu. Il épousa Zana (1), souveraine de la ville où l'on « voit encore les ruines de ce nom. Lors de la conquête << de l'Afrique par les Arabes, Abd-en-Nar abjura ses « erreurs, se fit musulman et, à dater de ce jour, s'appela «Abd-en-Nour adorateur de la lumière. »

Peut-être verra-t-on dans ce nom de Abd-en-Nar, adorateur du feu, transmis par la légende, une réminiscence du culte de Mithra, religion des anciens peuples de l'Iran qui eût aussi des autels en Afrique. C'est une simple hypothèse sur laquelle nous n'insisterons pas d'avantage.

(1) Diana Veteranorum.

« PrécédentContinuer »