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INSCRIPTIONS D'EL-MADHER (CASÆ)

ET

DES ENVIRONS

Une affiche apposée ces jours derniers sur les murs de Constantine, pour annoncer aux entrepreneurs que des travaux d'utilité publique pour la création d'un village à El-Macher allaient être mis en adjudication, m'a rappelé que j'avais eu l'occasion d'explorer le territoire que l'administration se propose d'affecter au nouveau centre et que j'y avais recueilli un certain nombre d'inscriptions dont une a, du moins, le mérite de nous transmettre le nom que portait la localité pendant l'occupation romaine. Je vais donc faire à la hâte quelques emprunts aux notes que j'ai recueillies pendant l'hiver de 1863-1864, et je commencerai par quelques renseignements sur la topographie du pays.

En sortant de Batna pour suivre la route de Constantine, on parcourt une large vallée fermée, au sud, par le Djebel-bou-Arif, qui s'allonge jusques chez les Achèche, et au nord, par les dernières pentes du Bou-Kherchouch, du grand massif du Belezma, et les montagnes boisées des Haracta-Djerma, connues sous les noms de Djebel Badach et de Djebel-Djebbas, beaucoup moins élevées que le Bou-Kherchouch, qui porte sa tête dans les nues.

La route quitte la vallée à Aïn-el-Ksar, entre le DjebelDjebbas, qui s'infléchit brusquement jusqu'au niveau de la plaine, et le Djebel-Touda, masse rocheuse isolée, qui finit à l'Oued-el-Madher. De l'autre côté de cette rivière, la chaîne se reforme dans une direction parallèle au BouArif et prend successivement les noms de Djebel-Hazem et de Djebel-Gontas, et se perd dans la grande plaine de Roumila.

La vallée s'arrête au Sebkha-Djendeli, lac d'eau saumâtre d'une superficie d'environ 3,000 hectares, qui se trouve sur la limite des territoires des Haracta-el-Madher et des Achèche; au-delà sont les grandes plaines des Achèche et des Segnia.

La partie de la vallée la plus rapprochée de Batna, jusqu'au Chabet-Ali-Guerra, qui descend du Ras-Babach, un des pitons du Bou-Arif, a formé les territoires des hameaux de Fesdis et de Quessaïa. Le territoire d'El-Madher, que l'administration se propose de livrer à l'industrie européenne, fait suite aux précédents, en s'appuyant au pied de la montagne et en se développant sur les deux rives de l'Oued-el-Madher, qui prend sa source à environ 200 mètres à l'est du Chabet-Ali-Guerra. Il est traversé par le chemin de Batna à Chemorra, qui se bifurque à la ferme Pérès en deux tronçons, dont l'un suit le pied de la montagne et évite ainsi les terrains humides de la plaine, impraticables en hiver. Les deux tronçons se réunissent à environ huit kilomètres plus loin, à hauteur de Bir-bou-Zian.

A partir du point de bifurcation, si l'on examine attentivement le terrain autour des blocs qui se sont détachés d'un banc remarquable de rochers formant une

muraille naturelle au pied de laquelle passe la route, on ne tarde pas à reconnaître, sur divers points, des pierres plantées en terre dans un ordre circulaire qui n'est point dû au hasard. Ces cercles enferment un pavage en pierres de moindre dimension, et, au milieu, d'autres pierres, presque aussi grosses que celles de la circonférence, dessinent une figure rectangulaire. On est entouré de tombeaux numides ou celtiques semblables à ceux qu'a signalés le commandant Payen dans le Recueil de la Société de l'année 1863. Ils sont répandus sur une superficie d'environ un hectare et demi, jusqu'au Chabet-Zemmour.

Au-delà, commencent des champs de ruines qui se continuent, le long du chemin, sur une longueur de près de trois kilomètres. M. Chassaing, le tueur de lions, a construit sa ferme sur la rive droite du Chabet-Zemmour, près des restes d'un monument dont les murs atteignaient encore la hauteur d'un premier étage; ils sont les plus apparents que l'on rencontre en arrivant sur le lieu des ruines.

A mesure que l'on avance vers l'est, on remarque à droite les substructions d'une série de maisons; à gauche, de nombreuses pierres qui émergent au-dessus des ktof (atriplex alimus) qui recouvrent le sol dans toute la plaine.

A 1,800 mètres plus loin, le chemin passe à côté d'un fort byzantin dont les murs ont encore deux mètres de hauteur, et à l'angle nord-est duquel les Arabes ont bâti le marabout de Si-Ali-Tahammemt, qui tombe en ruines et n'est plus guère fréquenté. L'Oued-Tahammemt coule à environ cent mètres à l'est, et va aujourd'hui se perdre dans la plaine. A la hauteur du marabout, ses eaux étaient

retenues par un barrage en pierres de taille, qui avait dû être établi à la bonne époque de la domination romaine, si l'on en juge par les restes qui existent encore sur la rive gauche. Tous les terrains situés en aval devaient être irigués; aussi les maisons étaient nombreuses au-dessous du fort et s'étendaient sur une superficie considé rable.

J'avais parcouru toutes les ruines sans rencontrer aucun débris intéressant de colonnes ou de chapiteaux; quelques inscriptions fort maltraitées par le temps avaient seules fixé mon attention. Il fallait me contenter d'une fort mince moisson. Mais un soir, en traversant la plaine, nous tombâmes, le colonel Augeraud et moi, sur les restes d'un établissement perdu au milieu des klof, mais dont nous pûmes suivre facilement le périmètre. Il dessinait sur le sol un rectangle d'environ 40 ares, el était jalonné par ces pierres debout fort connues des personnes qui ont eu occasion d'observer les ruines de ce pays.

Sur une de ces pierres, qui émergeait du sol de quelques centimètres, nous apei çûmes un double filet; flairant quelque trouvaille importante, nous mîmes pied à terre, nous grallâmes un peu le sol avec nos couteaux, et nous ne tardames pas à mettre à découvert le mot IMP : c'était une dédicace. Malgré notre désir de satisfaire immédiatement notre curiosité, comme le jour fuyait rapidement el que nous savions par expérience que l'extraction de la pierre pourrait exiger au moins une heure, nous dûmes renvoyer notre opération, après nous être orientés convenablement, afin de ne pas nous égarer plus tard dans d'inutiles recherches au milieu de ce vaste champ

de klof, serrés comme une forêt de broussailles. Nous étions à environ 1,200 mètres nord-ouest du marabout SiAli-Tahamment et à une faible distance du sentier de Batna à Chemorra qui traverse la plaine de l'ouest à l'est, jusqu'à Bir-bou-Zian, où il rejoint le chemin supérieur, ainsi que je l'ai déjà dit.

Le lendemain, 12 janvier, nous nous retrouvions à la pointe du jour, et, après avoir fait la rencontre de quelques lèvres qui regagnaient leurs gites, autour de notre pierre. Nous fimes procéder incontinent à son extraction. C'est un cube de 1m20 de hauteur sur 0m58 de largeur; un double filet règne sur celle de ses faces qui porte l'inscription suivante:

No 1.

IMP

ORDO MVNI

CIPI CASEN

SIVM NVMI

NIMAIESTA

TIQVEEIVS

DICATISSI

MVS

La pierre était enterrée jusqu'au premier filet, et il y a lieu d'ètre étonné que les six dernières lignes n'aient pas

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