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notre village du Khroub. Elles se mirent au service d'un nommé Mohammed ben Amar ben el-Abiod, chef de partisans, qui rançonnait à son profit les populations environnantes. Le bey Kelian, ayant eu connaissance des hauts faits de Mohammed ben Amar, préféra l'attacher à sa cause que de le laisser guerroyer pour son compte. personnel. Il lui fit donc proposer de le conduire à Alger pour le présenter au pacha, et demander en sa faveur le titre honorifique de chef de la zmala. Mohammed ben Amar accepta et accompagna, en effet, le bey à Alger, où il obtint du pacha le titre de kaïd zmala avec l'exemption d'impôt pour tous ses gens.

Lorsque les troupes turques venaient périodiquement d'Alger à Constantine, elles campaient sur la rive gauche du Roumel, où est aujourd'hui notre terrain de manoeuvres pour la cavalerie. Mohammed ben Amar, investi de ses nouvelles fonctions, dut se rapprocher du camp. turc; il amena son monde et l'installa sur les versants de Bou Amroun, colline qui s'étend au-delà des arcades romaines, devant Constantine. Par suite de ce premier déplacement de la zmala, quelques familles se détachérent du restant de la troupe. Une partie des Oulad Sellam continua à faire de la culture auprès de Aïn Semara, où nous la retrouvons encore aujourd'hui. Les Aït Aziz, de leur côté, furent laissés sur les versants du Chettaba, où les beys leur donnèrent le monopole de l'exploitation des bois et broussailles nécessaires aux fours à pain, à chaux et à plâtre de la ville de Constantine (1).

(1) Tout le pâté montagneux connu sous le nom de Chettaba, qui, du pied de Constantine, s'étend jusqu'à l'oued Atmenia, sur une étendue d'environ 40 kilomètres, était couvert, autrefois, de forêts, dont il est facile

La Zmala proprement dite était donc campée au Bou Amroun, sur la rive droite du Roumel. Elle s'augde reconnaître encore les traces. A une époque reculée, les Romains y avaient créé de nombreux établissements et même quelques petites villes, telles que le château d'Arsagal, où était un évêché. et Uselitanum, que M. Cherbonneau a explorés et fait connaître. D'après la tradition locale, le déboisement complet du Chettaba ne remonterait pas à une époque très éloignée. Il y a encore, dans ce pays, des vieillards qui se rappellent avoir vu les versants de la montagne couverts de chênes, de genévriers, d'amandiers, d'ormes, d'azeroliers et autres essences rustiques, tombées depuis sous la cognée des populations insouciantes de l'avenir. Du temps des Turcs, les Kabiles venus des Aït Aziz, du Babor, furent établis au Chettaba par ordre des beys. On leur en donna la jouissance, sans payer aucune redevance, en leur faisant prendre l'engagement d'approvisionner constamment de bois Constantine et les fours à pain, à briques et à chaux qui en dépendent.

L'exploitation n'étant soumise à aucun impôt, à aucune règle de conservation et d'aménagement, et les coupes n'étant point surveillées, l'œuvre de destruction marcha avec rapidité. C'est ainsi que, par défaut de prévoyance, on anéantit une ressource si utile à la porte d'une ville aussi considérable que Constantine.

Le mot arabe Chettaba, qui vient du verbe chetteb, signifie couper, pour fendre du bois, que nous pourrions exprimer par la montagne de la cognée. Il indique assez le genre d'industrie que devaient exercer les habitants de cette région. Quelques vieillards racontent que cette montagne, aujourd'hui dénudée, servait d'asile à de nombreuses bandes de sangliers, et que l'on y tua même des lions dans le ravin qui porte encore le nom de Châbet Seid, le ravin du lion.

Il y a aussi le Châbet Zoubia, le ravin des fosses aux bêtes fauves creusées par les bûcherons pour détruire, sans danger, les animaux nuisibles. Mais ce moyen ne suffisant pas, on mit le feu aux forêts; les ravages devinrent alors désastreux, et cette montagne, jadis couverte de verdure, ne tarda pas à offrir l'aspect aride et dénudé que nous lui voyons aujourd'hui. De là, sans doute, date l'époque du tarissement des sources et des fontaines du Chettaba, dont le volume d'eau devait être considérable, si l'on en juge par les traces très apparentes qui se voient dans les anciennes conduites d'écoulement ou d'irrigations.

Depuis un an (1868), le reboisement de la montagne du Chettaba a été entrepris par le service des forêts. Dans quelques années, on pourra reconnaître l'utilité de cette œuvre de régénération.

menta par l'adjonction d'autres individus, gens souvent sans aveu et sans patrie, quelquefois même criminels, qui se mettaient à la disposition des Turcs pour se soustraire à la punition qui les eût atteint dans leur pays. Trop nombreuse, dès lors, pour rester à Bou Amroun, el, d'autre part, devenue inutile aux portes de Constantine, par suite de la pacification du pays, le bey l'éloigna vers Aïfour (près de notre pénitencier d'Aïn el Bey). Mais elle s'y trouva trop à l'étroit; elle étendit ses pâ turages vers Quarrat, puis à Ouldjet el-Kheïl, où elle dut combattre les Segnïa, accourus en armes pour arrêter ses empiétements successifs. Cent cavaliers succombérent dans la rencontre, ce qui fit donner à cet emplacement le nom de Ouldjet el-Kheil, le vallon des coursiers.

Malgré la résistance des premiers occupants, la zmala continua à s'avancer vers Tikmert, Akbet el-Djemmala et Medelsou. Maîtresse de la belle source de Fesguïa, elle se répandit peu à peu sur toute l'étendue de territoire que la population des Zemoul habite encore de nos jours.

Ses turbulents voisins, les Segnïa, tentèrent souvent de lui reprendre les pâturages de Fesguïa; mais dans les combats multiples qu'ils leur livrèrent, les Zemoul restèrent maîtres du terrain et les repoussèrent jusqu'au delà de la montagne du Guerioun.

Les Segnïa, mis à la raison à la suite d'une expédition que le bey fit contre eux, furent placés sous la surveillance immédiate du kaïd des Zemoul, Mohammed ben Amar. Ce kaïd mourut quatre ans après; son frère, puis son fils lui succédèrent à peu d'intervalle.

En 1755, le bey Hosseïn, dit Zereg-Aïnou, fit une expédition contre Tunis dont il s'empara. Les cavaliers de

la zmala, à la tête desquels avait marché un nommé Kermiche ben Selama, se signalèrent par leur intrépidité et contribuèrent puissamment au succès de la campagne. En rentrant dans ses foyers, le bey récompensa Kermiche en lui donnant le commandement des Zemoul et des Segnïa. Le fils de Mohammed ben Amar, privé de la charge qui, jusques là, avait été l'apanage de sa famille, se retira à Constantine où ses enfants, connus sous le nom de Oulad ben el-Abiod, occupèrent successivement l'emploi de kaïd ed-dar. L'un d'eux défendit la ville, en 1804, pendant l'absence du bey Osman, contre le Cherif El-Boudali bel-Harche, qui vint l'assiéger à la tête d'une nuée de Kabiles.

Revenons à Kermiche, le nouveau kaïd des Zemoul, que la tradition locale nous signale comme un guerrier de grand mérite. A six reprises différentes, il fut lancé contre les Oulad Soultan, farouches montagnards qui repoussaient la domination turque; il leur causa des dommages considérables; mais, dans une de ces sorties, entraîné par sa fougue et son imprudence à la poursuite de l'ennemi, il se trouva seul, loin de ses compagnons d'armes et fut fait prisonnier. Son courage, et le dévoùment avec lequel il avait toujours servi la cause des . Turcs, lui valurent une mort cruelle. On le lia fortement à un arbre et on y mit le feu. Il expira au milieu des flammes. L'endroit où succomba ce vaillant soldat s'appelle encore de nos jours Chedjerat Kermiche, l'arbre de Kermiche. Sa bravoure est même passée en proverbe dans le pays; on dit à son sujet :

« Prétendez que vous êtes puissants ou non, le kaïd Kermiche ne pénétrera pas moins chez vous. »

Les successeurs de Kermiche prirent le titre de kaïds des Zemoul, car la zmala s'accrut rapidement et se fractionna peu à peu en un certain nombre de petites zmala dont chacune eut un chef dit kaïd zmala et dont l'ensemble fut sous les ordres du kaïd des Zemoul (1). Les kaïds des Zemoul furent choisis par les beys un peu partout; mais ils furent toujours de grands dignitaires. Ils avaient sous leurs ordres : les Segnia, Telat, Haracta el-Mader, Oulad Si Khelifa, Oulad ben Yahïa et partie des Kherareb, Berrania, Oulad Aziz, Attatfa, Oulad 'Anan, el-'Achaïch, Oulad Yala, Oulad Zeïd, Oulad Bellaguel, Oulad Sellam, Oulad Yakoub, Oulad Rehan, Oulad 'Adjez, Oulad Melloul qui tous payaient l'impôt; les Oulad Si Khelifa, Oulad ben Yahïa et ben Zerroug, Oulad Haffif, Oulad Si Ounis, Oulad Si Ahmed ben Bouzid, Oulad belKadi et, en général, toutes les tribus zaouïa ou de marabouts qui étaient exemptes d'impôt.

Nous avons déjà parlé, au commencement de cette notice, de l'organisation des tribus makhzen en général; il nous reste à reproduire, pour les Zemoul de Constantine, ce qu'en a dit l'historien des beys de la province (2).

Les gens de la zmala, dans le principe, n'étaient autres que les serviteurs des beys, chargés de la garde des troupeaux de chameaux, bœufs et moutons, appartenant à l'État. Ils étaient, à cette époque, établis dans la vallée supérieure de l'oued Roumel, entre Constantine

(1) Les Zemoul étaient la principale tribu makhzen; il y avait, en outre, les tribus deïra fournissant aussi des contingents aux beys, lesquelles étaient placées sous le commandement de l'agha. La deïra des beys de Constantine se composait des Seraouïa, Zenatia, Oued bou Selah et Kherareb.

(2) Histoire des Beys de Constantine, par M. Vayssettes (Recueil de la Société archéologique).

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