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revêtue, une source constante d'antagonisme entre les tribus arabes.

» Dans le principe, tout chef de tente qui venait s'é tablir avec sa famille sur le territoire des Douair ou Zemoul, était immédiatement inscrit comme cavalier du makhzen; il recevait un cheval et un fusil. La nourriture et le harnachement du cheval restaient à la charge de l'inscrit. A la mort du cavalier, s'il n'avait personne pour le remplacer dans son service effectif, son cheval et son fusil étaient repris par l'État. Le makhzeni était donc fixé à vie sur ce territoire, où il était attaché par les intérêts et retenu par les jalousies des tribus voisines; et, à la longue, ces zmala, composées, dans le principe, d'éléments si hétérogènes, avaient fini par former de véritables tribus parfaitement compactes et homogènes. Ainsi se sont formés les makhzen.

» Le gouvernement remplaçait tous les chevaux du makhzen morts ou hors de service. Les animaux nécessaires pour la remonte du beylik étaient fournis par les tribus raia, soit à titre d'impôt, soit comme gada ou amende. Le makhzen, et c'était là la source de sa force et de sa prépondérance, était complétement exempt de corvées et de tous impôts, quels qu'ils fussent, rérama, achour ou moûna, pour les cultures, récoltes, produits faits sur le territoire du gouvernement.

> On fournissait aux cavaliers nécessiteux les grains pour ensemencer leurs terres et pour nourrir leurs chevaux ; ils étaient tenus de réintégrer ces avances dans les magasins de l'état sur leurs premières récoltes.

» Toutes les fois que le cavalier makhzeni était appelé à faire un service qui l'éloignait pour plus de huit jours

de la zmala, il touchait la ration journalière d'homme et de cheval allouée au soldat régulier. En échange de ces prérogatives, le makhzeni rendait des services multipliés. Le cavalier makhzeni assistait, comme agent du fisc, le kaïd dans l'opération du recensement, la perception des impôts. Il était l'exécuteur des ordres de l'autorité, à laquelle il était en quelque sorte inféodé. Enfin, comme auxiliaire, il remplissait le premier rôle un douar, une fraction de tribu refusaient-ils l'obéissance, aussitôt le bey dépêchait une petite colonne de makhzeni chargée de faire rentrer les récalcitrants dans le devoir.

On ménageait ainsi l'emploi décisif des troupes régulières, et l'on épargnait tout échec à l'autorité supérieure, qui n'intervenait alors qu'en dernier ressort. En somme, l'institution des makhzeni constituait le principal instrument de l'autorité des beys; c'était un moyen pratique et économique, politique et militaire, de domination.

II

Vers le milieu du XVII siècle, une affreuse sécheresse désola, pendant une période consécutive de six années, toute la région du Hodna de Bou Sâda. Cette calamité, rapporte la légende, avait été envoyée par Dieu, sur la prière d'un grand marabout, pour punir les habitants de ce pays des actes injustes qu'ils commettaient journelle

ment.

Une puissante tribu, composée de nombreuses fractions, portant le nom collectif de Oulad 'Anan, avait alors ses campements établis sur le bord méridional du grand Chott. L'hiver, elle promenait ses immenses troupeaux

dans le Sahara et, dès que les premières chaleurs de l'été se faisaient sentir, elle remontait vers le nord et plantait ses tentes dans les vastes plaines qui s'étendent entre Constantine et Setif. Pendant leur séjour dans le Sud, les Oulad 'Anan exigeaient des habitants des oasis que la récolte des dattes se fit à leur profit, et ceux-ci étaient forcés de se soumettre sans murmures à leurs caprices. Une année, les habitants des oasis de Sidi Khaled gardèrent en réserve, pour leur nourriture, une certaine quantité de dattes; les Oulad 'Anan s'aperçurent du détournement et jurèrent que jamais plus les khaldiens ne mangeraient de leurs fruits. Tous les ans, en effet, les nomades allaient camper autour de l'oasis, et la récolte se faisait en leur présence. Avant de monter sur les palmiers, les gens de Sidi Khaled devaient se remplir la bouche d'eau, et si, en descendant de l'arbre, ils ne rendaient pas la même quantité de liquide, on les bâtonnait à outrance.

En une autre circonstance, les Oulad 'Anan, revenant de la chasse, éventrèrent un jeune enfant et donnèrent ses entrailles en pâture à leurs faucons.

Le marabout de Sidi-Khaled, poussé à bout par tous ces actes iniques, invoqua Dieu, demandant l'anéantissement de la troupe maudite qui opprimait le pays. Sa prière fut exaucée; les plus coupables des Oulad 'Anan furent engloutis dans le Sahara par une tempête de sable; les survivants, réduits à la dernière extrémité par la sécheresse et la famine, gagnèrent les plateaux du Tell où ils se dispersèrent. Le groupe principal des Oulad 'Anan se refugia au Ferdjioua et s'y établit; une de leurs fractions, appelée les Semara ou Semran (les bruns), å cause du teint foncé qui les distinguait, s'arrêta sur les

bords de l'Oued Roumel, auprès d'une fontaine à laquelle ils donnèrent leur nom, Aïn-Semara (1). Cette région était alors couverte de taillis épais qui, de la cime du Djebel Chettaba, descendaient jusqu'aux bords de la rivière. Le voyageur n'osait s'y aventurer isolément, dans la crainte d'y rencontrer des maraudeurs.

A la même époque, d'autres familles des Oulad Derradj et des Oulad Sellam du Hodna, fuyant aussi la misère, vinrent s'arrêter à Aïn-Semara. Or, la domination turque, bien qu'établie à Constantine, depuis quelques années, était loin encore d'avoir fait reconnaître son autorité dans les campagnes, où le droit du plus fort était seul respecté. Afin de mettre un terme à celle anarchie, il fallait, avant tout, se créer des auxiliaires, et les beys ne négligèrent aucun moyen pour attacher à leur cause le plus grand nombre de partisans.

Les familles du Hodna et du Sahara nouvellement campées sur les bords du Roumel étaient dans le plus grand dénûment; la sécheresse avait détruit leurs récoltes, et leurs troupeaux étaient morts faute de pâturages. Le bey, par mesure politique plutôt que par commisération, leur fit aussitôt distribuer des grains, leur confia la garde des bestiaux destinés à l'alimentation de la garnison. turque, et parvint, à force de cadeaux et de bons traitements, à les déterminer à résider définitivement à AïnSemara. Un autre groupe d'individus, venu des Aït ’Aziz, du Babor, fut aussi installé à côté d'eux. Les uns et les autres se mirent à l'œuvre, défrichèrent le terrain nécessaire à leurs cultures, et, en peu d'années, formèrent

(1) Aïn Semara où s'élève aujourd'hui notre village européen de ce nom, à 19 kil. de Constantine.

un noyau de population

vernement turc, qu'il lui

d'autant plus attaché au goudevait sa prospérité et, au be

soin, un appui contre de turbulents voisins.

Pendant une période d'une soixantaine d'années, ce groupe s'accrut de tous les éléments étrangers qui vinrent s'y incorporer, et formèrent rapidement une force armée en état de rendre de véritables services au bey de Constantine.

On les appela zmala du bey, parce que, chaque fois que le bey se mettait en campagne, ils venaient dresser leurs tentes autour de la sienne pour lui servir de gardes. Le voyageur français Peyssonnel, qui, en janvier 1725, visita le camp du bey Hosseïn, établi dans la plaine des Segnïa, dit à ce sujet :

« Son armée (du bey) était composée alors de douze pavillons turcs...... Toutes les tentes étaient posées sans aucun ordre, et il y avait plusieurs douars d'Arabes dont les tentes formaient le rond et entouraient le camp. Ces Arabes sont presque tous entretenus et forment un secours aux Turcs. »

Durant les dernières années du XVIe siècle, ils accompagnaient déjà les colonnes turques guerroyant dans la province; mais, d'après la notice que nous ont fourni les notables de la tribu, ce n'est que vers 1717, sous le bey Kelian Hossein, dit Bou-Kemia, que la zmala fut définitivement organisée en corps militant, et voici en quelle circonstance:

Quelques familles des Selmïa du Sahara, détachées du reste de la tribu, passant alors l'été dans le Tell, suivirent le cours de l'oued bou Merzoug et vinrent dresser leurs tentes sur l'emplacement occupé aujourd'hui par

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