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Haracta, Amer Cheraga et Beni Oudjana de l'Aurès. Quelques temps après sa nomination au gouvernement de Constantine, c'est-à-dire vers 1825-26, El-Hadj Ahmed dut se porter chez les Segnia pour les punir de leur refus de payer l'impôt. Il réussit à prendre une partie de leurs troupeaux, et trente cavaliers, surpris dans cette rencontre, eurent la tête tranchée séance tenante. Les Segnïa, furieux, se mirent à la poursuite du bey, et, pendant sa retraite, lui tuèrent quinze hommes.

En 1830, les contingents de la province de Constantine, répondant à l'appel du pacha, suivirent El-Hadj Ahmed å Alger pour combattre l'armée française, qui venait de mettre le pied sur le sol africain. Les Segnïa refusèrent de prêter leur concours à cette prise d'armes.

Dès que la nouvelle de la chute d'Alger se fut répandue, plusieurs tribus, mécontentes de la domination turque, se déclarèrent ouvertement en révolte. Les Segnïa poussèrent même plus loin leur manifestation: ils se donnèrent pour chef le nommé Ben Djaber, cavalier renommé. des Oulad Seguen, et lui octroyèrent le titre de Bey elAmma, le bey du peuple. Le nouveau dignitaire, ayant composé son entourage en khalifas, aghas et kaïds, adressa des proclamations aux tribus environnantes pour les engager à reconnaître son autorité; les Kherareb firent acte de soumission; mais les Amer Cheraga renvoyèrent à coups de pierre les émissaires du nouveau bey. On se battit alors aux environs de Meheris, et quelques hommes succombèrent de part et d'autre.

Cependant El-Hadj Ahmed bey, après la chute d'Alger, était parvenu à regagner Constantine malgré la coalition organisée contre lui par tous les mécontents. Aidé de

ses cousins, les Ben Ganâ du Sahara, il dut entrer aussitôt en campagne et réduire chaque tribu l'une après l'autre. Les Segnia, invités à se présenter au camp du bey, répondirent qu'ils étaient tout disposés à se soumettre, à condition qu'ils seraient placés sous l'autorité directe du bey, et non plus du kaïd des Zemoul qui les administrait précédemment. Ils se rendirent même en députation auprès du cheïkh el-Arab Ben Ganâ, oncle maternel du bey, le priant d'intercéder en leur faveur. Pendant cette première année, en effet, les Segnïa relevèrent, non du bey, mais du cheïkh el-Arab, entre les mains duquel ils payèrent leur impôt. Il avait fallu consentir à cette combinaison, pour ne pas soulever de nouveaux embarras. Mais, l'année suivante, le kaïd des Zemoul, Mohammed ben el-Arbi, reçut le burnous d'investiture. Son titre de nomination mentionnait qu'il aurait à administrer les Segnïa, comme l'avaient fait tous ses prédécesseurs. En même temps, le bey écrivait aux Segnïa d'obéir à leur nouveau chef, s'ils ne voulaient être punis avec la dernière des rigueurs. La lecture de cette lettre indisposa tellement les Segnïa, qu'ils furent un instant sur le point de massacrer l'émissaire qui l'avait apportée. Le bey, informé de la disposition des esprits, ordonna aux tribus makhzen de se tenir prêtes à marcher contre les rebelles, que l'on commença à surveiller, en plaçant des postes de cavaliers à la limite de leur pays. Dès que leurs troupeaux se montraient en rase campagne, on courait sus sans relâche. On leur enleva, de cette manière, environ cinq mille moutons et un nombre considérable de bœufs et de chameaux.

Fatigués de ces pertes incessantes, les Segnïa résolu

rent de se venger en prenant l'offensive à leur tour. Tous leurs cavaliers se mirent en marche nuitamment, et tombèrent à l'improviste sur un douar des Zemoul, occupé en ce moment à extraire de l'orge de ses silos. Le kaïd des Zemoul, entendant le bruit de la poudre, se porta rapidement avec quelques cavaliers sur le théâtre de l'action. On se battit; le neveu du kaïd fut tué, et les Segnia rentrèrent chez eux emportant un riche butin. Les coups de main des rebelles se renouvelèrent, et toujours avec le même succès. Vers le printemps suivant, le bey se décida à mettre un terme à ces escarmouches; il alla camper avec une forte colonne à Aïn Kercha, et, de là, rayonna sur le pays, faisant manger les récoltes à sa cavalerie. Les Segnia tentèrent une attaque générale sur le camp; mais ils furent repoussés et poursuivis jusqu'à Ras Tir'aldin. Dans cet engagement, on se saisit d'un Turc qui s'était marié aux Segnïa et combattait avec ardeur dans les rangs des rebelles. Le bey ordonna de lui trancher la tête après lui avoir fait souffrir les plus affreux supplices.

Trois mois après, le bey reparaissait à Aïn Kercha, et se portait ensuite à Aïn Fekroun. Il écrivit aux Segnïa, leur promettant sa clémence s'ils envoyaient leurs notables à son camp pour traiter de la paix. Quinze de ces derniers, confiants dans les promesses du bey, se présentèrent; mais dès qu'ils parurent devant la tente du bey, on les décapita sans autre préambule. La nuit suivante, plusieurs douar Segnia furent entourés, et leurs habitants massacrés; les chiens même, assure-t-on, subirent le sort de leurs maîtres. Après quelques jours de souffrances inouies, causées par la soif et la faim, les

rebelles descendirent des rochers au sommet desquels ils s'étaient réfugiés, et demandèrent l'aman. Pour condition expresse, le bey leur ordonna de se réunir en masse auprès de son camp. Dès qu'il les eut tous rassemblés, il les fit entourer étroitement par ses troupes ; quelques têtes roulèrent encore à terre; on dépouilla les malheureux vaincus de tout ce qui leur restait: armes, effets, bestiaux, chevaux, puis on leur rendit la liberté. Cette dure leçon calma pour longtemps l'humeur indépendante des Segnïa et jamais plus, sous le bey, ils ne tentèrent de se révolter.

En 1837, après la prise de Constantine, les Segnïa furent des premiers à entrer en relations avec nous, en amenant sur notre marché des boeufs et des moutons pour l'alimentation des troupes. Le général Bernelle, qui avait été laissé à Constantine à la tête du corps d'occupation, sut profiter habilement de leurs bonnes dispositions. L'ex-bey, El-Hadj Ahmed, avait réuni ses forces à Oum el-Asnam, et menaçait d'inquiéter les abords de la ville. Les Segnïa, conduits par le kaïd Ali ben ba-Ahmed, que nous venions d'investir du commandement des Zemoul, marchèrent contre le camp du bey. Ce mouvement suffit pour éloigner l'ennemi.

Mais, au mois d'octobre 1841, les dispositions pacifiques de nos alliés n'étaient plus les mêmes; ils désolaient le pays par leurs brigandages, et il fallut les pourchasser jusque dans le Guerioun pour les forcer à vivre d'une manière moins turbulente.

En 1846, quelques désordres furent commis par les Segnïa. Les ravages occasionnés par deux invasions successives des sauterelles, avaient produit une grande ra

reté dans les céréales; plusieurs tribus étaient presque entièrement ruinées par ce fléau; d'autres avaient été considérablement appauvries. La tribu de Behira Touïla était du petit nombre de celles qui avaient été épargnées, tandis que les Segnïa avaient, non-seulement perdu leurs récoltes, mais encore avaient vu détruire les pâturages sur lesquels ils pouvaient nourrir leurs bestiaux. S'ils avaient obéi à l'impulsion régulatrice de l'autorité française, on les aurait laissé participer au partage des pâturages de la tribu favorisée. Malheureusement, comme on a pu en juger par ce qui précède, les Segnïa sont depuis longtemps connus pour être indisciplinés. Sous le gouvernement Turc, on considérait comme une vérité incontestée, que les habitants du Guerioun n'étaient accessibles à aucun des sentiments humains qui régissent d'ordinaire une agglomération d'individus, et qu'on ne pouvait rien obtenir d'eux sans des châtiments fréquents el sévères. On avait pensé, avec raison, que leur contact avec les Zemoul, qui les traitaient avec dédain et qui abusaient de leur prépondérance pour les exploiter outre mesure, était un obstacle à leur régénération morale. S. A. R. le duc d'Aumale les avait affranchis de cette espèce de vasselage, en leur donnant un kaïd séparé. Les essais d'indulgence, peut-être un peu trop fréquents, dont nous avions fait usage à leur égard, par opposition à la manière rigoureuse dont ils avaient été traités jusque-là, leur avaient fait considérer comme de la faiblesse une longanimité qu'ils n'avaient pas su apprécier. Donc, les Segnïa, auxquels s'étaient joints les Haracta, envahirent le territoire de Behira Touïla et, sous le prétexte de faire paître leurs bestiaux, ils s'approprièrent des moissons.

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