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ainsi placés, eux et leurs biens, sous cette haute main royale qu'exprimait, au moyen-âge, le mot de sauvegarde chez les chrétiens et celui d'aman chez les Arabes. Leurs intérêts étaient placés sous la protection spéciale du directeur de la douane.

Nul officier ni sujet musulman ne devait gêner leurs opérations de commerce. Les chrétiens restaient entièrement maîtres de vendre leurs marchandises, ou de les renvoyer en Europe, s'ils ne trouvaient pas à s'en défaire avantageusement; mais les relations commerciales étaient essentiellement limitées aux villes de la côte. Les traités n'admettaient pas qu'une nation chrétienne put prétendre accaparer tel ou tel produit pour nuire au commerce d'un autre peuple.

Le représentant de la nation à l'étranger était le consul. Les consuls résidaient au milieu de leurs nationaux et de leurs marchandises, au fondouk même, dont la haute surveillance leur appartenait. Ils étaient à la nomination de l'autorité de leur pays. Les traités leur reconnaissaient le droit de voir le sultan une fois au moins par mois, et de lui exposer les doléances et les observations de leurs nationaux.

Les fondouks étaient des établissements destinés à l'habitation des nations chrétiennes, à la garde et à la vente de leurs marchandises. Ils étaient situés, soit dans l'intérieur de la ville, où ils formaient un quartier à part, soit dans un faubourg et tout-à-fait en dehors de la ville arabe. Un mur en pierres ou en pisé séparait complétement le fondouk de chaque nation des établissements voisins. Ces établissements renfermaient un cimetière et une église ou une chapelle, dans laquelle les chrétiens

étaient libres de célébrer tous leurs offices. Le curé pisan de Bougie dépendait de l'archevêque de Pise.

La police du fondouk appartenait absolument au consul de la nation. Des portiers, généralement des indigènes bien famés, étaient préposés à l'entrée et avaient le droit de refuser le passage à tout individu chrétien ou musulman suspect ou non autorisé du consul, à moins qu'il ne fût accompagné de l'un des drogmans ou employés de la douane. Sous aucun prétexte, les officiers arabes ne devaient entrer d'autorité dans le fondouk, s'y livrer à des perquisitions ou en extraire un sujet chrétien. Quand il y avait lieu d'agir contre un membre ou un protégé de la nation, l'autorité musulmane devait s'entendre avec le consul.

Dans le principe, la piraterie était absolument et réciproquement proscrite par les chrétiens comme par les Arabes. Les gouvernements de Pise et de Gênes s'engagèrent publiquement à unir leurs galères aux navires que les émirs pourraient diriger contre les pirates.

En cas de sinistre, les traités et l'usage du Moghreb obligeaient les gens du pays à porter secours aux bâtiments en péril ou jetés à la côte, à respecter les naufragés, à les aider dans leur sauvetage, et à garder, sous leur propre responsabilité, toutes les marchandises, épaves et personnes préservées du désastre.

La police des ports était placée dans les attributions du directeur de la douane. Le droit général sur les importations des nations alliécs, c'est-à-dire liées par des traités avec les émirs, fut de 10 p. %; il varia peu. Les droits d'exportation étaient à peu près les mêmes.

Dès qu'un navire chrétien entrait dans un port mu

sulman, les douaniers arabes se présentaient. Ils enlevaient, selon la bonne coutume, les voiles, les agrès et le gouvernail, pour empêcher les infidèles de partir avant d'avoir acquitté les droits. On estimait ensuite la cargaison et le bâtiment lui-même, qui était toujours gardé à vue. Sans une autorisation spéciale, qui était rendue par la douane, les marchands ne pouvaient pas charger et décharger leurs navires avec leurs propres barques.

Les importations, d'Europe à Bougie, consistaient en métaux, armes, bijoux, quincaillerie et mercerie, tissus et draps, substances tinctoriales, épiceries, parfums, substances médicinales, vins (1).

On exportait de Bougie des cuirs, consistant en peaux préparées ou non, provenant d'un grand nombre d'animaux; des écorces tanniques pour le travail des cuirs (l'iscorzia di Bugiea était un article de commerce bien connu au quatorzième siècle); de l'alun; de la cire, d'où serait venu le mot bougie, qui a dû être introduit d'abord sous la forme de chandelle ou cire de Bougie; de l'huile ; des céréales; des raisins secs; de la laine et des étoffes de laine; du coton, qui provenait de Mecila et de Biskra; des métaux; de la poterie.

La prise de Bougie, par les Espagnols, va nous faire connaître ce que devint le commerce de cette ville.

(1) S'il faut en croire une ancienne tradition, les habitants de Bougie étaient de grands buveurs de vin.

IV

OCCUPATION ESPAGNOLE

Vers la fin du xve siècle, les Maures, chassés d'Espagne par le roi Ferdinand, venaient demander un asile à leurs coreligionnaires d'Afrique; et partout où ils s'établirent, à Oran, Alger, Bougie, ils portèrent la haine profonde qui les animait contre leurs vainqueurs. Le désir de la vengeance remplissait le cœur des exilés. Ils étaient trop faibles pour essayer de reconquérir leur patrie; mais ils ne pouvaient consentir à vivre paisiblement à quelques lieues de cette belle contrée qu'ils venaient de perdre. Ne pouvant mieux faire, ils s'organisèrent en pirates, harcelèrent leurs ennemis et ruinèrent leur commerce (1).

Pour mettre un terme à ces déprédations, l'Espagne prépara une descente sur la côte d'Afrique. Le 15 sep(1) Elie de la Primaudaie.

tembre 1505 (1), Don Fernand de Cordoue s'emparait de Mers-el-Kebir et, quatre ans après, le 18 mai 1509, le cardinal Ximenès, qui avait poussé le roi Ferdinand à entreprendre cette croisade contre les pirates barbaresques, venait en personne diriger le siége et prendre possession de la ville d'Oran.

Le contre-coup de la guerre, poursuivie avec acharnement en Espagne contre les musulmans, s'était fait sentir à Bougie déjà depuis longtemps, et le roi Abd elAziz (2), en 1473, avait retiré aux marchands catalans les priviléges commerciaux dont ils jouissaient depuis plus de deux siècles. Nous avons vu, dans le récit de l'historien arabe, qu'à la nouvelle du débarquement des Espagnols à Mers el-Kebir, le roi de Bougie avait envoyé par terre et par mer des secours à cette place; les chroniqueurs européens du temps citent, en outre, les marins de Bougie au nombre des plus audacieux corsaires qui portaient alors la dévastation sur les côtes d'Espagne. « Les habitants de cette cité, dit Léon l'Africain, furent jadis opulents et soulaient armer plusieurs fustes et galères, lesquels ils envoyaient courir sur les frontières d'Espagne, tellement que la ruine d'eux et de leur cité en est pro

(1) Il y avait certaines divergences d'opinion sur la date exacte de la prise de Mers-el-Kebir; quelques écrivains l'indiquaient comme ayant eu lieu le 23 octobre 1506. Un document officiel contemporain, communiqué récemment par M. le général Sandoval, la fixe définitivement au 15 septembre 1505. Voir Revue africaine, 13 vol. p. 100, le Rapport adressé au cardinal Ximenes, par le mestre de camp général Pedro de Madrid, campé devant Mers el-Kebir, le 17 septembre 1505.

(2) Quelques écrivains ont donné à ce roi de Bougie le nom de Abd erRahmane, erreur que les documents authentiques indigènes ont rectifié définitivement.

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