Images de page
PDF
ePub

part au siége de Tlemsen, ainsi que cela avait été convenu, commença à réorganiser son armée et à faire tous les préparatifs nécessaires pour cette expédition. Le sultan Abou Yahïa Abou Beker partit de Tunis à la tête d'une armée nombreuse et parfaitement équipée. Arrivé à Bougie, il chargea son avant-garde d'expulser les Abd elOuadites des forts dont ils avaient cerné la ville; puis il mena toute son armée contre Temzezdekt (Tiklat). La garnison évacua la place à son approche, ce qui permit aux troupes Hafsides de la ruiner de fond en comble. Les trésors et les armes que l'on y avait amassés devinrent la proie du vainqueur. De là, le sultan marcha sur Mecila, ville tout aussi réfractaire que Temzezdekt, en abattit les murailles et y porta la dévastation.

En 1340, le sultan Abou Yahia Abou Beker envoya à Bougie Ibn Tafraguin, grand chef des Almohades et premier ambassadeur de l'empire, pour remplir les fonctions de chambellan auprès de son fils Abou Zakaria, émir de cette ville. Cet officier rétablit l'ordre dans l'administration, rehaussa la dignité du prince, et le décida à sortir avec l'armée pour faire une tournée dans ses états. L'émir Abou Zakaria, étant en expédition, mourut d'une maladie chronique à Tagrert, dans la province de Bougie, vers le mois de juin 1346. L'émir Abou AbdAllah, fils de l'émir Abou Zakaria, avait été élevé par Fareh, affranchi d'origine européenne, qui avait montré tous les talents nécessaires pour bien diriger l'éducation du jeune prince. Il resta auprès du fils de son patron en attendant les ordres du sultan; mais l'ancien chambellan, Ibn Alennas, courut à la capitale et obtint la nomination de l'émir Abou Hafès Omar, fils cadet du sultan, au

gouvernement de Bougie. Abou Hafès, ayant reçu son congé de départ, se mit en route avec ses officiers et ses serviteurs, emmenant avec lui Ibn Alennas. Arrivé à Bougie, tout-à-fait à l'improviste, il écouta les suggestions de quelques misérables qui faisaient partie de sa société intime, et se mit aussitôt à infliger des punitions et à déployer une grande sévérité. Le peuple, épouvanté, consulta ses forces et, au bout de quelques jours, il se leva comme un seul homme, courut aux armes et entoura la citadelle, où le nouvel émir s'était enfermé. Escaladant aussitôt les murs de cette forteresse aux cris répétés de « Vive l'émir, fils de notre ancien maître ! les insurgés mirent au pillage tous les bagages qu'Abou Hafès avait apportés de Tunis, et s'étant emparés de ce prince, ils l'expulsèrent de la ville et le laissèrent à moitié mort. Ensuite, ils se dirigèrent vers la maison d'Abd Allah Mohammed, fils de l'émir Abou Zakaria, et le proclamèrent gouverneur. Ce jeune prince venait de faire ses préparatifs pour se rendre auprès du sultan, son grand père, ayant reçu de l'émir, son oncle, l'ordre de s'en aller. Le lendemain, on le conduisit au palais de la citadelle pour lui remettre les rênes du gouvernement. L'affranchi Fareh prit alors la direction des affaires, avec le titre de chambellan, et parvint bientôt à rétablir l'ordre.

L'émir Abou Hafès rentra à Tunis un mois après sa nomination au gouvernement de Bougie. Le sultan s'empressa de faire partir Abou Abd Allah Soleiman, chef almohade d'une sainteté de vie extraordinaire, en lui recommandant de régler les affaires de Bougie et de calmer les esprits. Se conformant en même temps aux vœux des habitants, il leur expédia un acte portant la nomination

de son petit-fils, l'émir Abou Abd Allah Mohammed, au commandement de leur ville. La tranquillité s'y rétablit alors, le peuple se laissant volontiers administrer par le fils de son ancien maître.

Le sultan Abou Yahïa Abou Beker mourut subitement à Tunis, au milieu de la nuit du 21 octobre 1346, et sa mort fut le signal de nouveaux troubles; l'émir Abou Hafès, le même qui avait été chassé de Bougie, prit immédiatement possession du palais, et se fit prêter le serment de fidélité. Mais le 25 décembre, l'émir Abou l'Abbas, fils du sultan défunt, et qui jadis avait été publiquement reconnu comme héritier du trône, par ordre de son père, vint à son tour prendre possession de Tunis, profitant de l'absence de l'usurpateur, qui avait quitté la capitale à la tête d'une armée. Mais, quelques jours plus tard, Abou Hafés pénétra à l'improviste dans la ville et lui ôta la vie.

La nouvelle de ce meurtre remplit d'indignation le sultan du Moghreb, Abou l'Hacen, avec d'autant plus de raison qu'il avait souscrit à l'acte par lequel le prince Abou l'Abbas avait été déclaré héritier du trône. Prétextant la violation de cet acte qu'il avait ratifié, il déclara la guerre au gouvernement hafside et se mit en marche, vers le mois de mai 1347, à la tête d'une armée immense. Tous les peuples de l'Ifrikia, même des provinces les plus éloignées, se déclarèrent pour les Mérinides. Les principaux seigneurs du pays allèrent à la rencontre du sultan à Beni Hacen (1), dans la province de Bougie, et reçurent de lui l'accueil le plus honorable. Chacun d'eux fut comblé de dons et obtint, en outre, sa confirmation dans le gouver(1) Beni Hacen, sur la route, entre Bougie et Zeffoun.

nement de la ville ou du canton dont il était possesseur. Alors, sans perdre de temps, le sultan Abou l'Hacen se porta sur Bougie, dont il agréa la soumission des habitants, bien que, d'abord, à l'approche de son armée, ils eussent conçu le projet de lui résister. Leur émir, Abou Abd Allah Mohammed, fils de l'émir Abou Zakaria II, sortit au devant du sultan Mérinide et fut aussitôt envoyé en Moghreb avec ses frères. On lui assigna Nedroma pour résidence, avec une portion des impôts de cette ville pour son entretien. Après avoir installé à Bougie des percepteurs et d'autres fonctionnaires, Abou l'Hacen partit pour Constantine. Les fils de l'émir Abou Abd Allah, fils du sultan Abou Yahïa Abou Beker, sortirent de cette ville et lui offrirent leur soumission. Il les accueillit avec bonté et les fit conduire à Oudjda, ville dont les impôts furent affectés à leur entretien. Un détachement de troupes, expédié contre l'usurpateur Abou Hafès, le surprit près de Cabès, et on le mit à mort aussitôt, de peur que les Arabes ne vinssent le délivrer. L'armée Mérinide se porta alors sur la capitale; le sultan l'y suivit de près et, en septembre 1347, il fit son entrée à Tunis, accompagné d'un cortége magnifique. Rien ne resta du brillant empire des Almohades Hafsides, qu'une faible étincelle dont on distinguait encore la lueur à Bône. Ce fut Abou l'Hacen lui-même qui laissa subsister ce dernier reste de leur domination, en y établissant, comme gouverneur, l'émir El-Fadel, fils du sultan Abou Yahïa Abou Beker. Il voulut ainsi témoigner ses égards envers un prince auquel il tenait par des liens de famille (1) et qui, peu de temps avant la mort de son père, était allé en ambassade à la (1) Le sultan avait épousé Azouna, sœur germaine de l'émir El-Fadel.

cour du Moghreb. L'année suivante, le sultan Abou l'Hacen dut quitter Tunis, à la tête d'une armée, pour marcher contre des insurgés. Ayant éprouvé une déroute, le désordre gagna partout. Une circonstance imprévue vint mettre le comble à cette fâcheuse situation : les fils du sultan s'emparèrent du gouvernement du Moghreb, et le privèrent de tous ses moyens d'action.

Le prince El-Fadel, que le souverain Mérinide avait laissé au gouvernement de Bône, profita de ces troubles pour se rendre à Constantine, et y rétablit l'autorité des Hafsides. Sachant que les habitants de Bougie regrettaient leurs anciens souverains, il se mit en marche pour cette ville. Aussitôt qu'il parut sur la hauteur qui domine la place, les gens du peuple se jetèrent sur les fonctionnaires que le sultan Mérinide y avait installés, et ne les laissèrent s'en aller qu'après les avoir dévalisés et presque assassinés. Alors, El-Fadel réunit, en un seul empire, les villes de Bougie, de Constantine et de Bône; il rétablit les titres, le cérémonial et les emblêmes de la royauté hafside, et se disposa ensuite à marcher sur Tunis. Pendant qu'il se flattait d'obtenir un succès prompt et facile, il apprit que les anciens émirs de Bougie et de Constantine venaient de quitter le Moghreb, où les avait en quelque sorte internés le sultan mérinide, ainsi que nous l'avons dit précédemment.

Racontons ici ce qui leur était arrivé. Quand Abou Eïnan, fils du sultan Abou l'Hacen, eut appris les embarras dont son père était environné en Ifrikia, il se fit proclamer sultan. Il donna alors à l'émir Abou Abd Allah Mohammed, fils de l'émir Abou Zakaria II, seigneur de Bougie, l'autorisation de partir pour cette ville; et lui

« PrécédentContinuer »