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céder; mais Abou el-Baka, indigné de la mauvaise foi du gouvernement tunisien, fit son entrée dans la capitale. Devenu maître du khalifat, il prit le titre d'En-Nacer Lidin Illah el-Mansour (le champion de la religion de Dieu, le Victorieux). Mais, devenu maître de l'autorité, il s'abandonna aux plaisirs et se laissa emporter par son caractère violent et sanguinaire. En 1311, les mécontents proclamèrent sultan le prince Abou Yahïa Abou Beker, qui prit le titre d'El-Motewakkel (qui met sa confiance en Dieu). Ce nouveau prétendant quitta la position qu'il occupait d'abord aux environs de Constantine, et, à la suite d'une marche rapide, alla s'établir sur la colline qui domine Bougie.

Ibn Khalouf, chef de la population Sanhadjienne qui formait la milice du sultan et habitait la province de Bougie, défendait la place. Un combat s'en suivit, et dura toute la journée. El-Motewakkel, ayant échoué dans son entreprise, s'enfuit en abandonnant son camp au pillage. Ses équipages furent pris, et le ramassis de gens qui l'avaient accompagné furent tous dévalisés; mais, quelque temps après, le prétendant, Abou Yahia Abou Beker, réussit à faire tomber Ibn Khalouf dans un guet-à-pens où il perdit la vie. Débarrassé de cet homme, il partit à l'instant même et s'empara de Bougie par surprise.

Pendant que ces événements se passaient à Bougie, le sultan Abou el-Baka abdiquait le pouvoir, et le sultan Abou Zakaria III, Ibn el-Lihyani, entrait à Tunis et se faisait proclamer sultan.

En l'an 710 (1310-11), le sultan Abou Yahia Abou el-Baka, s'étant retiré précipitamment des environs de Bougie, chargea son affranchi de se rendre à Tlemsen

pour négocier un traité d'alliance avec Abou Hammou Moussa, souverain de cette ville. Uue proposition de celte nature fut d'autant plus agréable à Abou Hammou, qu'il espérait pouvoir en profiter pour se rendre maître de Bougie. Ayant appris quelque temps après que Ibn Khalouf venait d'être tué, et que cette ville était tombée au pouvoir du sultan Abou Yahia Abou Beker, il éleva des réclamations, sous le prétexte que, d'après le traité d'alliance, Bougie devait lui appartenir. Sur ces entrefaites, les Sanhadja, indignés de l'assassinat de leur chef, allèrent lui offrir leur concours pour une expédition contre cette ville qu'il convoitait tant. Le souverain de Tlemsen organisa cette expédition contre Bougie. La colonne marcha rapidement vers sa destination. Après avoir traversé le djebel Zan (1), les troupes abd elouadites commencèrent le siége de Bougie; ce fut à cette époque que les Abd el-Ouadites construisirent et approvisionnèrent leur forteresse à Zeffoun.

En l'an 713 (1314), le sultan Abou Yahïa Abou Beker revint de Constantine et envoya un corps d'armée contre celte forteresse. Ces troupes, étant soutenues par la flotte qui fut expédiée de Bougie pour le même objet, s'emparèrent de la place et la ruinèrent de fond en comble, après en avoir enlevé tous les approvisionnements.

Cette même année, Abou Yahia Abou Beker conclut deux traités d'union politique et commerciale avec le roi d'Aragon Jacques II. L'acte comportait plus qu'une entente au sujet des relations de commerce. Le roi Jacques y promettait de tenir pendant cinq ans à la disposition. (1) Chaîne de l'Akfadou, à l'ouest de Bougie.

d'Abou Beker, et ce, moyennant les prix convenus, dix galères de guerre avec quatre engins ou catapultes. Le roi de Bougie pouvait diriger cette flotille « contre toutes terres de Maures,» particulièrement contre la ville d'Alger, sa principale position vers l'ouest, dont le gouverneur s'était depuis peu révolté.

En cette même année 1314, Raymond Lulle fut lapidé à Bougie, par la population de cette ville qu'il voulait convertir au christianisme. Raymond Lulle, né à Palma, en 1235, a presque autant écrit que St-Augustin. Converti comme lui, après une jeunesse fort orageuse, il crut, dans les illusions de sa foi et de son courage, à la possibilité d'arrêter en Orient la décadence de l'empire des chrétiens, et de rétablir le christianisme sur la côte de Barbarie. Il vint, en 1290, de Majorque à Montpellier, se rendit par Gènes à Rome, et fit part au sacré collége du plan qu'il avait conçu. Pour le corriger et l'amender, il fallait voir les lieux auxquels il voulait l'appliquer. Il gagna donc l'Arménie, traversa la Palestine, passa à Chypre, en Egypte et de là, par terre, à Tunis, cherchant à réveiller dans les cœurs l'ardeur des premières croisades. Puis il revint à Rome et soumit de nouveau ses plans au Pape Boniface VIII, repassa à Gènes, où la noblesse lui offrit des fonds considérables pour l'aider dans ses projets, et alla réclamer à Paris l'assistance de Philippe le Bel, qui la lui fit espérer.

De Paris, il retourna en Espagne, où les encouragements des rois de Castille et d'Aragon l'accueillirent ; mais ses espérances s'évanouirent devant la difficulté d'établir, pour une expédition générale, un concours loyal entre les princes. Loin de se laisser abattre et

décourager, Raymond Lulle se rembarqua pour l'Afrique, et prêcha l'Évangile à Tunis, à Bône, à Bougie. Raffermi par les dangers même qu'il avait courus, il fit un troisième voyage à Rome, et ne réussit pas mieux que dans

le premier.

Ne comptant plus alors sur les hommes, il repartit seul pour Bougie, y planta hardiment la croix et y fut lapidé en 1314, à l'âge de quatre-vingt ans. Des marchands génois l'ayant recueilli pendant la nuit, l'emportèrent sur leurs vaisseaux. Malgré ses nombreuses blessures, Raymond Lulle put vivre assez longtemps encore pour expirer en vue de l'ile Majorque, sa patrie (1).

L'année suivante, l'armée abd el-ouadite vint attaquer la ville de Bougie. Pendant le siége, le bruit se répandit qu'un prince de la famille royale de Tlemsen s'était mis en révolte et s'était emparé du camp d'Abou Hammou, à la suite d'un combat. Les assiégeants abandonnèrent aussitôt leur position et s'éloignèrent de la ville. Un des cousins d'Abou Hammou, qui commandait l'armée assiégeante, offrit à Abou Yahia Abou Beker de faire cause commune avec lui et de le reconnaître pour souverain. Par suite de cette alliance, le sultan envoya au prince abd el-ouadite les emblêmes du commandement, avec un riche cadeau et l'assurance d'obtenir un secours efficace et la concession de tous les domaines que Yaghmoracen avait autrefois reçus du gouvernement de l'Ifrikia. Le sultan, ayant ainsi suscité à la cour de Tlemsen. assez d'embarras pour l'empêcher d'attaquer Bougie, sortit avec ses troupes afin d'examiner l'état de ses provinces.

(1) Vie de Raymond Lulle, Paris, 1668.

Il se rendit d'abord à Constantine, et leva les impôts dans toute la région qui en dépendait. Puis, il organisa une nouvelle expédition contre Tunis, et, après avoir tenu la campagne quelque temps, il fit son entrée dans cette capitale en novembre 1318, et toutes les provinces de l'Ifrikia reconnurent son autorité.

Pendant que le sultan Abou Yahïa Abou Beker s'emparait du trône de Tunis, que, par faiblesse, avait abandonné Abou Yahïa Ibn Lihyani, la ville de Bougie était gouvernée par le chambellan Ibn Ghamr. Ce personnage appartenait à une famille originaire de Xativa, qui avait fourni à l'Espagne plusieurs légistes et kadis distingués, et qui vint en Afrique, après la prise de Séville, lors de l'émigration des musulmans espagnols fuyant la domination chrétienne. Devenu ministre d'Abou Yahïa Abou Beker, il eut l'adresse d'acquérir une grande influence sur l'esprit de son souverain et de régler toutes ses volontés. Il l'encouragea à tenter la conquête de l'Ifrikia, et organisa lui-même l'armée qu'il mit à la disposition du prince. Abou Yahïa Abou Beker, ayant été proclamé sultan de Tunis, nomma son chambellan gouverneur de Bougie et de Constantine. Ibn Ghamr se trouva ainsi seigneur de la ville et de la province de Bougie, ne rendant aucun autre hommage au sultan que celui de conserver son nom dans la prière publique et sur les monnaies. Il nomma son cousin Ali au commandement de Constantine.

Dans le commencement de la même année 1318, Abou Hammou, seigneur de Tlemsen, envoya une nouvelle armée contre Bougie et fit bâtir sur la rivière, à deux journées de la ville, le fort de Hisn Beker, pour servir de sta

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