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jours par la tribu arabe des Aïad. Il peupla cette ville qu'il entoura de murs, après y avoir construit plusieurs mosquées, caravanserails et autres édifices publics. La Kalâa atteignit bientôt une haute prospérité; sa population s'accrut rapidement, et les artisans, ainsi que les étudiants, s'y rendirent en foule, des pays les plus éloignés et des extrémités de l'empire. Cette affluence de voyageurs eut pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts. Le royaume Hammadite comprenait la province de Constantine et celle d'Alger, c'est-à-dire à peu près les trois quarts de l'Algérie actuelle; il devait s'étendre depuis le méridien de La Calle, jusqu'à celui de Ténès (1).

Les papes, conservant les anciennes dénominations de l'époque romaine, donnaient aux princes Hammadites, avec lesquels ils eurent des relations très suivies, le titre de Rois de la Mauritanie Setifienne (2).

En l'an 453 (1062-3 de J.-C.), En-Nacer, fils d'Alennas, quatrième successeur de Hammad, son aïeul, arrivait au pouvoir. Ce fut sous son règne que la dynastie hammadite atteignit au faîte de sa puissance. Ce monarque éleva

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(2) Des pièces en or (de la valeur de 18 fr.) remontant à cette époque et trouvées dans les ruines de la Kalâa, portent ces mots:

Sur une face: Il n'y a d'autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète.

Sur l'autre L'Émir souverain des Beni Hammad.

En exergue sont plusieurs mots, parmi lesquels nous n'avons pu lire que

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le nom de Sanhaka, — les Sanhadja, d'après l'orthographe adoptée. Ces pièces remontent donc au Ve siècle de l'hégire, le XI de l'ère chrétienne.

des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs grandes villes et fit de nombreuses expéditions dans le Moghreb (1).

En-Nacer s'empara de la montagne de Bougie (Bedjaïa) et y fonda une ville à laquelle il donna le nom d'En-Naceria, mais que tout le monde appela Bougie, du nom de la tribu. Il y construisit un palais d'une beauté admirable, qui porta le nom de Château de la Perle (Kasr elLouloua). Ayant peuplé sa nouvelle capitale, il exempta les habitants de l'impôt et, en l'an 461 (1068-9), il alla s'y établir lui-même (2).

La tradition locale nous a conservé sur ce monarque des souvenirs encore très populaires. Moula en-Nacer, c'est ainsi qu'il est nommé, choisit, en effet, Bougie pour en faire la capitale de ses états; des milliers d'ouvriers se mirent à l'œuvre et construisirent, en quelques mois, l'immense mur d'enceinte flanqué de bastions qui, des bords de la mer, s'élève encore par gradins et va se perdre dans les rochers abruptes du mont Gouraïa (3). Son prolongement suivait les sinuosités de la baie et fermait également la ville du côté de la mer. Au sud-ouest de Bougie, entre la Kasba et notre parc à fourrages, existait un quartier nommé Dar-Senâa, darse, arsenal maritime, chantier de construction de la marine bougiote. De ce point, partait un large môle qui contournait les assises de la Kasba, passait devant l'emplacement de la ville ac

(1) Ibn Khaldoun.

(2) Ibn Khaldoun.

(3) Pendant que la ville se contruisait, le sultan habitait sous la tente le quartier qui, depuis, a porté le nom de Dar-Nacer, au-delà du fort Clauzel, au pied de la montagne.

tuelle et arrivait enfin à hauteur du fort Abd el-Kader (1).

Nous avons déjà raconté la légende populaire de la prophétie de Sidi Touati, qui révéla à En-Nacer la destinée de sa capitale. Ce qui précède suffirait déjà pour faire apprécier les mérites de ce prince berbère, si, à côté des récits d'Ibn Khaldoun et de la tradition locale, les historiens européens ne nous fournissaient encore des documents précieux sur cette époque.

Une opinion généralement répandue, c'est que les nouveaux conquérants, dans un but de prosélytisme, prescrivaient la conversion immédiate ou l'extermination des peuplades vaincues. Les hommes du Livre (la Bible), les juifs et les chrétiens, ces derniers surtout, pour lesquels les musulmans eurent toujours moins de répulsion, n'eurent qu'à se soumettre à l'impôt. A ces conditions. ils gardèrent leurs biens, leur culte, et leur commerce fut longtemps encore toléré. Ce n'est qu'exceptionnellement et à la suite de luttes violentes, que la force fut employée pour les contraindre à abandonner leur croyance ou à s'expatrier.

Jusqu'au XIIIe siècle, plusieurs évêchés, et entre autres ceux de Carthage et d'Hippone, subsistèrent encore; le christianisme n'était pas éteint dans plusieurs villes et parmi les tribus berbères.

Les princes hammadites reçurent, à une époque vraisemblablement assez voisine de la fondation d'El-Kalâa, une colonie nombreuse de chrétiens berbères parmi les tribus qui vinrent peupler leur première capitale et qui continuèrent à l'habiter encore longtemps après la fondation

(1) Il est question de construire un quai qui aurait le même développement, et qui serait d'une grande utilité pour le commerce.

de Bougie. La bonne entente existant entre ces princes et le saint siége donnait une entière sécurité à leurs sujets chrétiens (1). Il y eut même pendant longtemps, et jusqu'au XIe siècle, des chrétiens servant dans les armées des princes africains. Des facilités leur étaient données pour la libre pratique de leur culte au milieu des troupes et des populations musulmanes : l'église et les gouvernements chrétiens en permettaient le recrutement en Europe.

Ce qui nous reste de la correspondance pontificale, montre Grégoire VII s'occupant encore plusieurs fois de l'église d'Afrique, et recevant quelques satisfactions de ce pays, malgré la ruine presque entière de son église. -Le Pape avait consacré lui-même un évêque pour l'un de ces rares évêchés. A peine le nouveau prélat était-il retourné en Afrique, que le siége de Bône vint à vaquer.... Au mois de juin 1076, le Pape chargeait l'archevêque de Carthage de se concerter avec le prélat récemment consacré à Rome, pour choisir ensemble un sujet digne de recevoir l'imposition des mains du souverain Pontife, et capable de défendre avec eux les instructions sacrées qui lui seraient données.

Conformément aux instructions de Grégoire VII, l'archevêque de Carthage et son collègue avaient cependant choisi parmi leurs prêtres un candidat à l'ordination épiscopale, en cherchant à répondre autant que possible aux désirs du clergé et du peuple d'Hippone, que cette déférence associait ainsi à l'élection. Le prêtre désigné se nommait Servand. Le roi En-Nacer agréa ce choix, et quand Servand partit pour Rome, il lui remit des lettres (1) De Mas-Latrie.

et des cadeaux destinés au Pape. Il fit plus: voulant témoigner à Grégoire VII le prix qu'il attachait à son amitié, et l'assurer de ses dispositions favorables pour ceux de ses sujets qui professaient la religion chrétienne, il fit racheter tous les prisonniers chrétiens que l'on trouva dans ses états et les envoya au Souverain Pontife. Il promit de même tous ceux que l'on pourrait découvrir par la suite.

Ces procédés touchèrent extrêmement la cour apostolique et les Romains. Plusieurs patriciens et hauts dignitaires ecclésiastiques voulurent rentrer en relations directes avec l'émir. Ils profitèrent du retour de Servand en Afrique, qui eut lieu en 1076 ou 1077, et envoyèrent avec lui plusieurs messagers chargés de complimenter le roi en leur nom. Le nouvel évêque rapportait, en outre, à En-Nacer une réponse extrêmement gracieuse de Grégoire VII lui même. Cette lettre, d'un caractère plus expansif qu'aucune de celles qui ont été échangées entre les papes et les rois du Moghreb, mérite d'être relue. En voici la teneur toute entière:

« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, ȧ Anzir (En-Nacer), roi de la Mauritanie de la province Setifienne, en Afrique, salut et bénédiction apostolique.

» Votre Noblesse nous a écrit cette année pour nous prier de consacrer évêque, suivant les constitutions chrétiennes, le prêtre Servand, ce que nous nous sommes empressé de faire, parce que votre demande était juste. Vous nous avez en même temps envoyé des présents; vous avez, par déférence pour le bienheureux Pierre, prince des apôtres, et par amour pour nous, racheté les

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