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ques. » N'anticipons pas sur les événements, mais ajoutons que Marmol commet aussi la même erreur, en disant qu'en l'an 330 de l'hégire (941 de J.-C.), Bougie, qui possédait dans ses murailles vingt mille édifices et cent mille habitants, fut prise et ruinée par le khalise de Kaïrouan, El-Kaïm.

Lui aussi a confondu Bedjaïa, Bougie, - avec Bedja ou Beghaïa, dont nous avons déjà indiqué la position respective, et que se disputaient, en effet, à cette époque, les partisans de l'agitateur Abou Yezid et les troupes du khalife El-Kaïm. Cette grande révolte, racontée tout au long par Ibn Khaldoun et d'autres historiens, eut surtout pour théâtre le territoire de la régence actuelle de Tunis. Dans la province de Constantine, elle ne gagna sérieusement que la partie orientale et méridionale. C'était la première manifestation de la race berbère à ressaisir l'empire de l'Afrique, et il est possible que les Kabiles des montagnes de Bougie aient participé à cette guerre nationale; mais aucune hostilité n'eut lieu dans leur pays, et si Bougie avait appelé sur elle les rigueurs du khalife, les historiens arabes n'auraient pas négligé de mentionner ce nouvel exploit de leurs guerriers, comme ils l'ont fait pour tant d'autres villes emportées d'assaut. Ibn Hammad n'en parle pas non plus dans sa chronique: mieux que personne, il connaissait cependant les événements de sa patric, puisqu'il est admis que cet écrivain était l'un des membres de la famille des Sanbadja Hammadites qui régna à Bougie. Comme on le verra du reste plus loin, le chef berbère Ziri ben Menad, au lieu de résister au khalife qui s'avançait de son côté, lui offrit au contraire son concours pour combattre l'agitateur Abou Yezid, cause de cette

grande révolte. Le khalife n'eut qu'à se louer, en cette circonstance, de l'attitude des Sanhadja, qui contribuèrent à la capture d'Abou Yezid. Loin de porter la dévastation chez les Berbères de cette région, il les combla de cadeaux et d'honneurs.

Une certaine similitude entre Bedjaïa et Bedja ou Beghaïa, à laquelle ne se méprendrait pas aujourd'hui un orientaliste tant soit peu attentif, a causé cette première erreur de Marmol, que d'autres ont ensuite répétée de confiance. Mais, faute d'éléments de contrôle, il a commis, en outre, un anachronisme, en attribuant à Bougie, en l'an 941, comme ville monumentale et populeuse, une importance qu'elle ne commença à acquérir qu'un siècle plus tard, sous les princes de la dynastie Hammadite, ainsi que nous aurons bientôt à le raconter.

D'après l'historien Ibn Khaldoun, c'est en l'an 460 (1067-8) que le sultan En-Nacer s'empara de la montatagne de Bougie et y fonda une ville, à laquelle il essaya vainement de donner son nom. Il n'est nullement question de l'antique Saldæ, ce qui fait supposer qu'à cette époque cette cité était déjà tombée en ruines ou n'avait plus guère d'importance.

Depuis l'invasion arabe, plus de trois siècles s'étaient écoulés; qu'étaient devenus pendant cette période les citoyens de Salda? Si nous devons ajouter foi à la légende que nous avons rapportée plus haut, ils auraient reçu parmi eux leurs frères chrétiens de Constantine, de Setif et autres, fuyant devant le flot de l'invasion arabe. Ce noyau de population, d'origines diverses, était assez considérable pour que les Arabes conquérants lui donnassent le nom de Bekaïa, le restant, les survivants.

Abandonnés de l'Europe, ne pouvant plus peut-être communiquer avec elle par mer, ces survivants, comme on les appelait, restaient réduits à leurs propres ressources; dès lors, toute relation avec l'extérieur étant anéantie, la nécessité dut leur imposer l'obligation de s'assimiler au peuple berbère qui les entourait. Cette fusion des deux races était cimentée par un même sentiment d'indépendance, et, qui le sait, par une communauté de croyance religieuse, ce qui est encore possible, puisque, du temps de Firmus, les montagnards du Jurjura professaient le christianisme (1). D'après la tradition locale, confirmée par plusieurs documents authentiques que nous aurons le soin de reproduire textuellement, nous pourrons suivre longtemps encore la trace de ce restant de population chrétienne. Quant à la ville elle-même, l'antique Saldæ, elle dut rester étrangère aux événements qui survinrent dans la région accessible aux Arabes. A la suite de tremblements de terre, peut-être d'un événement partiel dont la tradition locale n'a conservé aucun souvenir, tel qu'une descente de corsaires arabes qui l'auraient pillée, ou bien encore l'œuvre du temps s'accomplissant sans que la main de l'homme en réparât les dégâts (2), hypothèse qui me paraît la plus admissible, car il est dans la nature humaine de ne plus s'intéresser à ce qu'on est exposé à perdre; toujours est-il que les monuments de Salda tombèrent en ruines et que, sur ces ruines le prince En-Nacer vint ensuite fonder

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(1) Ammien Marcellin.

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(2) La tradition locale prétend, à tort ou à raison, que la ville de Bougie a été renversée sept fois par les tremblements de terre ou les dévastations de l'ennemi.

Bougie, capitale d'un royaume berbère, qui brilla d'un certain éclat sur la côte d'Afrique.

Avant de nous engager dans le récit des événements multiples qui marquèrent les phases de ce royaume, il convient d'indiquer d'abord le nom des diverses dynasties qui, tour à tour, y occupèrent le pouvoir.

En 335 (946 de J.-C.), la dynastie de Ziri ben Menad est investie du commandement des Berbères Sanhadja.

En-Nacer, chef de la branche des Sanhadja Hammadites, fonde Bougie en 460 (1067) et en fait sa capitale. Abd el-Moumen, souverain des Almohades, s'empare de cette ville en 546 (1152) et renverse les Hammadites. En 626 (1228), Abou Zakaria Ier, le Hafside, se fait reconnaître souverain. Sous la dynastie Hafside, Bougie demeure le chef-lieu d'une principauté dépendant du gouvernement de Tunis et appartenant, à titre d'apanage, au fils de l'émir.

Au quatorzième siècle, commence une longue série de luttes entre les trois dynasties des Beni Merin, de Fès, des Beni Zeïan, de Tlemsen, et des Hafsides, de Tunis; luttes dont le résultat devait être la décadence progressive des peuples africains. Durant ces longues et sanglantes collisions, Bougie, située au centre de ce vaste champ de bataille, est tour à tour la proie de l'un des partis (1).

Au moment du débarquement des Espagnols, en 1509, un prince de la famille Hafside gouvernait encore Bougie.

Les Sanhadja, d'après Ibn Khaldoun, étaient une des tribus berbères, les plus considérables par leur nombre, (1) Carette. Exploration scientifique.

et formaient la majeure partie de la population du Moghreb. Chaque montagne, chaque plaine de cette région, renferme, dit-il, une peuplade Sanhadjienne; c'en est au point que bien des personnes les regardent comme formant le tiers de toute la race berbère. Leur chef, Ziri ben Menad, fonda la principauté d'Achir (1).

En 335 de l'hégire (946 de J.-C.), le khalife Mansour, successeur d'El-Kaïm, quitta sa résidence de Kaïrouan, pour s'avancer à la poursuite de l'infatigable agitateur Abou Yezid. I devait traverser la principauté d'Achir. Au lieu d'opposer au khalife une résistance que son origine africaine devait faire craindre, Ziri vint pacifiquement à sa rencontre, et lui offrit sa soumission et son concours. Pénétré de reconnaissance pour cette démarche, le khalife le combla d'honneurs et le confirma dans son titre de prince d'Achir et de ses dépendances. Depuis lors, la principauté féodale d'Achir, s'accrut encore des libéralités du souverain (2).

Hammad, descendant de Ziri, fonda, en 378, (1007-8), la ville d'El-Kalâa, sur le flanc méridional d'une montagne voisine de Mcila, nommée Kiana, habitée de nos

(1) Achir, ville fondée dans le Kef el-Akhdar, à 100 kilomètres environ au sud d'Alger. Berbrugger.

(2) Le chroniqueur Ibn Hammad entre dans de très grands détails sur cette alliance du khalife arabe avec le prince berbère. M. Cherbonneau, le savant orientaliste, a publié dans le Journal asiatique (no 15 de l'année 1853), la traduction d'un chapitre relatif à cet événement. Ziri, comblé d'honneurs et de cadeaux par le khalife, lui prêta son concours pour combattre les partisans d'Abou Yezid. Cet agitateur, battu dans plusieurs rencontres, s'était réfugié dans la montagne de la Kiana (le djebel Aïad, au nord de Mcila). Les troupes arabes et berbères gravirent cette montagne et prirent Abou Yezid vivant.

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