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apportent beaucoup de légumes et de fruits. La baie, qui est abondamment poissonneuse, procure aussi des ressources précieuses et de très bonne qualité.

Au-delà de la Kasba, qui forme l'extrémité méridionale du mur d'enceinte de Bougie, le fond du golfe aboutit à une plaine qui se dessine au pied de la ville, en offrant la forme d'un demi cercle, dont la corde est représentée par la mer. Le pays est plat; le littoral est formé d'une plage sablonneuse qui s'infléchit à l'ouest jusque vers le sud-est, à deux milles environ de la ville, où se trouve l'embouchure de la rivière la Soumam, sur laquelle nous avons placé un pont de bateaux, qu'il est question de remplacer par un pont en maçonnerie. La plaine est entourée de montagnes quelque peu boisées; elle semble le jardin naturel de Bougie: malheureusement, son étendue n'est guère que de deux lieues carrées, les contreforts où elle se termine étant assez rapprochés du littoral. Outre la Soumam, on trouve, dans la plaine, plusieurs cours d'eau le premier, appelé la Petite rivière, vient des hauteurs de la tribu des Mezzaïa; le second, appelé le Grand ravin, descend des pentes rocheuses du Gouraïa. Près de l'embouchure du Grand ravin, se voit le mur d'enceinte de notre parc à fourrages; entre cet établissement et l'abreuvoir pour la cavalerie, s'étend un plateau où, de temps immémorial, s'est tenu le marché dit Souk el-Khemis, où, tous les jeudis, les Kabiles des tribus viennent commercer avec les habitants de la ville. La plaine et les côteaux environnants sont très fertiles; la végétation y a une force et une vigueur qui feraient envie aux plus belles parties de la France. L'oranger, le citronnier, le jujubier, le figuier, l'olivier et la vigne

y poussent naturellement et produisent des fruits délicieux (1). Du temps de la splendeur de Bougie, cette plaine était cultivée avec un soin tout particulier par les habitants de la ville. On voit encore, aujourd'hui, à côté des ruines de travaux hydrauliques de l'époque romaine, les restes des rigoles et des canaux qu'ils avaient construits pour l'assainir et dessécher les marais qui s'y trouvaient. en quelques endroits. Pendant les premières années de la conquête, la plaine fut le théâtre de combats incessants; les massifs d'arbres qui la couvraient, derrière lesquels s'embusquaient les Kabiles pour guetter les imprudents qui franchissaient la ligne de défense, furent coupés ou brûlés. Les eaux n'étant plus aménagées et utilisées, croupissaient dans les ravins et en rendaient les abords fort malsains. Celles qui s'écoulaient dans la plaine, y formaient des marécages pestilentiels, cause inévitable de graves maladies pendant les chaleurs de l'été. Cette insalubrité explique l'effrayante mortalité qui désola Bougie en 1834. Malheureusement, il nous fut longtemps impossible de nous emparer de ce terrain; notre garnison, bloquée dans l'intérieur de la ville, et ne pouvant franchir la ligne d'avant-postes formée par les blockaus, était exposée aux émanations miasmatiques d'un foyer pestilentiel que nous ne pouvions atteindre. Dès que l'on put s'occuper de ce travail, avec les causes d'insalubrité disparurent les pertes éprouvées par la population (2). De 1846 à 1848, de nombreux canaux, creusés

(1) Plusieurs Européens, entre autres MM. Blanc et Dufour, ont fait de belles plantations de vignes. Leur vin est d'excellente qualité et jouit déjà d'une certaine réputation en Algérie.

(2) Étude médicale sur Bougie, par le docteur Anselin.

par nos troupes, desséchèrent 1,500 hectares de terrain cultivable, compris entre la rive gauche de la Soumain, les contreforts du Gouraïa et la mer, de sorte que la plaine fut en grande partie assainie. Des concessions de terre y ont été accordées depuis près de vingt ans à nos colons; la plaine a commencé dès lors à se reboiser peu à peu, beaucoup d'arbres ont été plantés, les rejetons des anciens ont été soignés et repoussent aujourd'hui avec vigueur. Au milieu de ces riants bosquets, que traversent de belles promenades, s'élèvent aujourd'hui de charmantes maisons de campagne, qui rappellent les villas ou les bastides du midi de la France.

La partie de la plaine qui aboutit à l'ancien port romain, est destinée à devenir prochainement le faubourg de la ville. C'est là que le commerce établira, probablement, ses entrepôts de marchandises, dès que la route de Setif sera achevée. Un large quai, partant de ce faubourg, contournerait les assises de la Kasba et aboutirait horizontalement au débarcadère de la ville, devant lequel se tiendraient les bâtiments en chargement.

Bougie, située par 2° 45' de longitude orientale et 36o 45' de latitude nord, doit la douceur de son climat à son heureuse position, à l'élévation montueuse du sol et, plus encore, au voisinage de la mer; sa température moyenne est de 17o. Néanmoins la chaleur varie parfois en été, par les jours de sirocco, entre 30° et 40° centigrades; car le Gouraïa, ainsi que nous l'avons dit, barre entièrement à Bougie les vents du nord; et cette ville, à l'exposition du sud, reçoit en outre la réverbération des montagnes situées au fond du golfe.

En dehors des pluies de la saison d'hiver, qui durent

souvent des journées et des nuits entières, accompagnées de bourrasques et de coups de tonnerre, dans les autres saisons, les orages, tempêtes et coups de vent, s'obscrvent surtout la nuit.

Il est certain que Bougie est un lieu salubre, quoique, par une prévention funeste dont nous avons déjà dit quelques mots et sur laquelle nous reviendrons, on l'ait regardé, au début de l'occupation, comme un des points les plus malsains de la côte septentrionale d'Afrique. Non, Bougie n'est point une ville malsaine, son climat est, au contraire, plus doux qu'en plusieurs autres lieux de l'Algérie; le peu de maladies qui règnent dans la ville, même pendant la chaleur la plus forte, prouvent cette vérité. Un fait à signaler, c'est qu'elle a été pour ainsi dire toujours épargnée par le choléra, depuis que nous

en sommes maîtres.

La prise de Bougie remonte au 29 septembre 1833. On s'empara d'abord de la ville pour venger une insulte; on s'y installa dans le but d'agir sur les populations kabiles, de les forcer à reconnaître notre domination et d'ouvrir avec elles des relations commerciales. Après plusieurs années d'occupation, il fallut renoncer à ces espérances, et Bougie ne fut plus qu'un poste militaire où l'on maintenait la conquête comme un fait accompli, mais avec des prévisions d'avenir un peu indéterminées. On s'y soutenait à l'abri d'une insulte, mais sans relations politiques avec les tribus, sans commerce, n'ayant qu'une banlieue restreinte, sans parcours, sans pâturages, obligé de faire venir par mer tous les moyens de subsistance.

La population civile ne se composait alors que des fournisseurs qui suivent les armées, de quelques entre

preneurs de travaux et d'ouvriers employés par eux. En 1847, le maréchal Bugeaud descendit la vallée de l'oued Sahel et vint à Bougie, où il se rencontra avec la colonne du général Bedeau, commandant la province de Constantine. Ce dernier avait réuni ses troupes à Setif, et il avait traversé tout le pâté montagneux qui sépare cette ville de Bougie.

Ces deux colonnes furent les premières qui firent la reconnaissance du pays et purent pénétrer dans les régions, jusque là inexplorées, des montagnes de la Kabilie. Cette expédition amena la soumission d'un grand nombre de tribus, et c'est alors seulement que commencèrent les relations commerciales avec les Kabiles. Un commissariat civil fut créé à Bougie, le 21 novembre 1848.

En 1849, les généraux de Salles et de Saint-Arnaud obtinrent, après une lutte assez longue, la soumission des Beni Seliman, et visitèrent ensuite toutes les tribus. déjà soumises au maréchal Bugeaud. A partir de ce moment, la ville reprit les relations commerciales qu'elle avait avant notre occupation avec la Kabilie, la Medjana, Setif et les contrées environnantes. Alors, le cercle fut réellement constitué, tant sous le rapport administratif que militaire, et un décret du Président de la république, en date du 10 mai 1850, fit passer Bougie dans la province de Constantine. Cette annexion lui fut si favorable et lui imprima un mouvement de prospérité si rapide, qu'elle devint un centre de commerce important, et qu'en 1854, un décret impérial du 13 juillet l'érigea en commune. L'importance commerciale s'étant accrue, la population civile ayant augmenté, un nouveau décret supprima, en 1858, le commissaire

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