Images de page
PDF
ePub

suite, ont été étudiées, appréciées et jugées dans leur ensemble nombre de fois. On a cherché aussi, avec plus de persévérance que de bonheur, il est vrai, à retrouver le réseau de villes, de colonies, de forts et d'établissements dont les conquérants. avaient couvert le pays pour le dominer.

Dans l'Est, cette tâche a été facilitée par l'abondance des documents romains, et les explorations multipliées des voyageurs. On conçoit, du reste, que l'attention, la curiosité, l'investigation se soient surtout portées de ce côté où la colonisation romaine, succédant à celle de Carthage et de Tyr, était plus développée, plus complète, plus riche, où elle avait enfin pris le véritable caractère d'une installation éternelle, en demandant aux arts de déployer pour l'embellir tous leurs prestiges.

Mais, semblable au flot qui meurt sur la plage en lames expirantes, cette riche manifestation de la puissance d'un grand peuple perdait peu à peu, en avançant vers l'occident, le brillant caractère qu'elle avait d'abord, pour n'être plus qu'une simple occupation militaire. Elle est toujours empreinte de la même force, elle conserve invariablement le principe d'unité qui a présidé à sa création, mais elle n'a plus rien des grâces et des raffinements d'une civilisation qui s'était développée dans le calme de la paix.

Ici, les villes et les établissements sont tellement effacés que leur site rappelle toujours involontairement la dernière demeure des morts, et que l'on cherche, bien souvent en vain, à percer le silence dans lequel a fini par se perdre le bruit de leur chute.

Là, au contraire, les monuments se montrent de toutes parts, les inscriptions sont innombrables, il suffisait de lire pour mettre les annales des peuples d'accord avec elles-mêmes.

Voyageurs, archéologues et savants se sont donc invariablement dirigés vers la province de Constantine; la grandeur des souvenirs, l'importance des ruines, plus d'aménité dans les populations, les attiraient d'ailleurs de préférence sur ce sol, théâtre de tant d'événements mémorables.

Mais aussi, en même temps, les provinces du Centre et de l'Ouest restaient délaissées dans un fàcheux oubli. Il y a peu d'années encore, on ne possédait, pour les étudier, que les résultats incomplets des excursions rapides de Shaw et de Desfontaine, à peine assez de matériaux pour se faire une idée très-vague de la nature de l'installation romaine dans la Mauritanie Césarienne. A cela il faut ajouter que l'Itinéraire d'Antonin, plus écourté, plus

bref en ce qui regarde cette province que pour les autres, ne peut être complété au moyen de ce document important connu sous le nom de Table Peutingérienne, puisque, par une fatalité singulière, la portion de cette carte qui représente graphiquement les lignes de premier et de second ordre de cette région a été perduc. A moins d'un hasard peu probable, nous devons donc renoncer à savoir quels furent les noms de la plupart des établissements, ct ils sont très nombreux, non mentionnés dans l'Itinéraire.

Ptolémée, l'un des écrivains anciens qui se sont le plus occupés de la géographie de l'Afrique, nous permet, il est vrai, de combler quelques lacunes, mais, malheureusement, les ressources qu'il peut nous offrir à cet égard ne sauraient être considérables. Contemporain des premiers temps de l'occupation romaine en Mauritanie, il n'en connaît, pour ainsi dire, que le premier developpement; sa description de la côte est, après tout, assez bonne, mais il entrevoit si imparfaitement l'intérieur qu'il n'a même pas osé faire ici ce qu'il a fait tant de fois ailleurs, indiquer l'origine et la direction générale des plus grands cours d'eau. D'un autre côté, sa nomenclature est trop souvent composée de mots indigènes trèsdifficiles à retrouver aujourd'hui. Mais ce ne serait, du reste, là qu'une très-légère difficulté, si le géographe d'Alexandrie n'avait adopté pour base de sa carte une projection tellement fautive qu'elle a jeté une confusion et un désordre incroyables dans tout son tracé. Celui qui veut l'utiliser doit donc chercher, avant tout, à rétablir dans sa pureté primitive les documents dont il s'est servi, les données recueillies par Martin de Tyr, son prédécesseur. Or, c'est là, il faut le reconnaître, une tâche qui a fatigué les esprits les plus sagaces. Cependant, il nous a paru tellement fâcheux, dans l'état de pénurie où nous sommes, de laisser de côté cette liste de noms géographiques, tout imparfaite qu'elle est, que nous avons essayé d'en tirer tout le parti possible. Avons-nous réussi ?

L'insuffisance des documents antiques, celle peut-être plus grande des explorateurs modernes, ont donc eu sur la géographic comparée de la moitié occidentale de l'Algérie une déplorable influence. Lorsque l'on a voulu, à l'aide du peu de données que l'on possédait, en retrouver la synonymie, on ne l'a fait qu'en marchant au hasard, qu'en substituant presque toujours l'hypothèse à la vérité. Je n'en finirais pas si je voulais relever toutes les erreurs dont fourmillent à ce sujet les meilleurs ouvrages et les meilleures cartes. Dans certaines parties, c'est un chaos auquel il est impossible de rien comprendre.

Mes études sur l'Algérie m'ayant amené à m'occuper de cette question, je ne tardai pas à reconnaître qu'il en serait toujours ainsi tant qu'on n'aurait pas, subdivision par subdivision, circonscription politique par circonscription politique, la situation · exacte et la valeur matérielle de tous les débris que pourraient y avoir laissés les divers établissements fondés par le peuple-Roi. Je demeurai bientôt intimement convaincu qu'on n'aurait une idée vraie de l'installation romaine que du jour où ce travail serait achevé; qu'alors seulement aussi toutes les difficultés dont cst enveloppée la géographie comparée de l'ancienne Numidic se résoudraient sans aucune difficulté. Il m'était, du reste, facile de rattacher ces recherches à celles que je devais faire sur la géographie physique et politique des divisions secondaires de l'Algérie, et je résolus de les entreprendre. Ce mémoire est l'exposé des résultats auxquels je suis arrivé à ce sujet durant mon séjour dans la contrée dont Tlemsên est le chef-lieu administratif.

On m'a souvent demandé pourquoi j'avais concentré mes premiers efforts sur la province d'Oran, pourquoi j'allais au-devant du soleil au lieu de le suivre dans sa marche journalière. La réponse à celle question est facile et découle tout naturellement de ce que j'ai dit plus haut sur l'état de délaissement dans lequel cette région était restée jusqu'au jour où j'en ai commencé l'exploration, c'est qu'elle était, en un mot, la moins bien connue, du moins au point de vue archéologique.

[ocr errors]

Envisagée dans son ensemble, la subdivision de Tlemsên représente la plus grande portion de la partie occidentale de la Mauritanic Bogoudienne, devenue ensuite Mauritanie Césarienne. Je dis la plus grande partic, parce que ses limites de l'Ouest ne sont pas celles qu'eurent toujours les Mauritanics. 225 ans après le Christ, l'Itinéraire d'Antonin, sortant de son laconisme tabalaire, dit en parlant de la Mlouïa: Flumen Malva dirimit Mauretanias duas, le fleuve Malva divise les deux Mauritanies. En effet, lorsqu'on examine la région qu'il traverse, on ne peut méconnaitre que ce ne soit le seul grand accident physique qui pût remplir ce but; il a fallu depuis une série d'événements politiques d'une nature particulière pour le faire oublier et substituer à un tracé qui sépare des populations de tendances complètement différentes, une ligne conventionnelle dans laquelle il sera toujours dificile de voir une limite véritable. Cela est si vrai, qu'elle est violée tous les jours par ceux pour lesquels elle devrait être une barrière infranchissable, et

qu'on sera forcément obligé d'en revenir à la ligne frontière qui fut d'abord celle des peuples et ensuite celle des provinces et des états pendant plusieurs siècles (1).

Comme la subdivision de Tlemsên fut invariablement comprise dans la Mauritanie Césarienne et que je n'ai pas d'autres détails à donner sur ses destinées politiques dans l'antiquité, je passe à l'étude des différentes positions qu'y ont occupées les Romains.

Tlemcen est naturellement le premier point dont se soient occupés les écrivains qui ont traité de la géographie ancienne et de l'archéologie de la subdivision. La grandeur et le renom que cetle ville conserva pendant plusieurs siècles justifiaient suffisamment ce choix; et cependant, il faut remarquer que ce sont précisément là les deux causes qui ont amené les erreurs dans lesquelles on est tombé. Préjugeant de son importance dans les temps anciens par ce qu'elle avait été dans les temps modernes, on a emprunté aux écrivains de l'antiquité tout ce qui pouvait se prêter à cette idée. On a donc voulu y voir, au mépris des distances, la station Adregias (sous-entendu terras), les terres royales, de l'Itinéraire, parce que Tlemcen avait eu des rois; on a cherché dans une vague consonnance de noms à lui faire représenter Timici Colonia, la seule cité (civilas) avec Tigava que Pline ait pu mentionner dans l'intérieur de la Mauritanie Césarienne. Le docteur Shaw n'a pas subi le prestige et l'a tout simplement fait correspondre à Lanigara, un nom inconnu emprunté aux Tables Ptoléméennes.

(1) Elle sépara d'abord les Maurousiens (ou Maures) des Massaisyliens, puis les états de Bocchus de ceux de Bogoud (jusqu'à l'an 32 avant l'ère chrétienne), enfin les deux Mauritanies (de l'an 40 à l'an 700). En 1526, Léon l'Africain, décrivant le royaume de Tlemsen, s'exprime en ces termes:

Le royaume de Telensin de la partie du Ponant (à l'Ouest) se termine » au fleuve Za (qui porte encore ce nom) et à celui de Maloria; devers » Ponant (à l'Est) au fleuve Majeur (lisez l'Oued el Kebir, l'Oued Sah'el, » la rivière de Bougie); devers Midi au désert de Numidie (les grandes » steppes algériennes); du Septentrion, à la mer Méditerranée. »

Il ne peut y avoir de tranquillité, de sûreté et par conséquent de colonisation possible dans la subdivision de Tlemsen, tant qu'elle n'aura pas pour limite la Mlouïa et qu'on n'aura pas réuni sous la même autorité les Beni Snasen et les Angad. C'est ce qu'on aurait pu facilement obtenir après la bataille d'Isll, en se fondant principalement sur les antécédents historiques, à une époque où la France pouvait parler haut et ferme; c'est ce qu'on ne devra pas négliger de faire à la suite des folles attaques dont L'Algérie sera l'objet à la mort de l'empereur Alder-Rah'man. Du reste, la question sera résolue d'une manière bien plus absolue par la conquête de l'empire du Marok, conquête qui est aussi facile pour nous que l'a été celle de l'Algérie. Ce ne sera après tout qu'un nouveau pas de la raison et du progrès dans cette voie où il entraine chaque jour fatalement l'humanité entière.

« PrécédentContinuer »