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La pensée de naturaliser ici les institutions scientifiques, littėraires et artistiques de la métropole est contemporaine de la conquête. On voit, par un plan d'Alger en 1830, qu'un observaloire existait dès-lors rae de la Fonderie; le numéro 53 du Moniteur algérien nous révèle qu'en 1833, il y avait une école de médecine et une société philharmonique au coin des rues Babel-Oued et Sidi-Ferruch, dans la mosquée placée par les Indigènes eux-mêmes sous l'invocation de la Vierge Marie (Sellina Meriem). On lit aussi dans cette feuille, et à la même époque, la mention d'une bibliothèque publique et de cours de médecine. Sans doute, ce ne furent que des germes qui, jetés sur un terrain encore défavorable, n'ont pu, par cela même, parvenir à maturité; car la Bibliothèque d'Alger n'exista réellement que cinq années plus tard, et deux des autres établissements indiqués sont encore aujourd'hui à l'état de desiderata.

Quant aux études historiques proprement dites, la scule trace des préoccupations dont elles pouvaient être l'objet, se trouve dans un arrêté du 16 décembre 1831, par lequel le général Berthezène accorde à un sicur Sciavi, qui s'intitule antiquaire, l'autorisation de faire des fouilles dans les maisons et jardins du Domaine. Aucune réserve, d'ailleurs, n'est stipulée en faveur de l'État; de sorte que cette tentative rentre plutôt dans le domaine du brocantage que dans celui de la science; car le sieur Sciavi, malgré son titre pompeux d'antiquaire, ne paraît pas avoir eu d'autre but que d'importer ici une industrie désastreuse qui s'exerce sur une très-grande échelle dans la régence de Tunis.

Au reste, pour les études historiques, comme pour les autres, il manquait, dans le principe, un auxiliaire essentiel, la presse périodique. Le chef-d'œuvre de Guttemberg avait fait, il est vrai, son apparition, dès le 26 juin 1830, sur la plage de SidiFerruch; mais il n'exista de journal proprement dit qu'en 1832, époque de la fondation du Moniteur algérien. Sept ans après, l'Akhbar commença de paraître et fut suivi de plusieurs autres feuilles, mais qui n'ont eu qu'une existence éphémère.

Ces organes périodiques permettaient enfin de donner une publicité locale aux recherches scientifiques faites dans le pays;

mais, outre qu'ils excluaient, par la nature restreinte de leur cadre, les travaux d'une certaine étendue et d'un caractère particulier, ils noyaient les articles étrangers à leur rédaction habituelle dans un chaos de matières hétérogènes. D'ailleurs, les collections de ces journaux sont introuvables; et, fussent-elles accessibles, elles n'ont pas de tables de matières qui permettent de rencontrer, au besoin, les articles que l'on veut consulter. Aussi, les travaux qui ont obtenu ce genre de publicité n'ont guère profité à la réputation de leurs auteurs; ils sont même perdus pour la science, à moins que quelque écrivain de la métropole ne leur fasse l'honneur de les reproduire, en oubliant presque toujours d'en signaler l'origine.

Ces graves inconvénients frappèrent quelques bons esprits et leur inspirèrent la pensée de fonder ici des recueils spéciaux ; mais les temps n'étaient, sans doute, pas venus; car à ces diverses entreprises, qui remontent à une époque assez éloignée, il manqua des collaborateurs, parce que les moyens d'études n'existaient pas encore; il manqua surtout des souscripteurs, parce que le goût des travaux intellectuels n'était pas alors suffisamment répandu dans la colonie.

C'est encore plus aux choses qu'aux personnes qu'il faut altribuer ces déplorables avortements: les questions de conquête et de colonisation dominaient tout alors. Il fallait d'abord être maître du terrain avant d'y tenter des recherches scientifiques. Il fallait, avant tout, pourvoir au bien-être du soldat, à l'établissement du colon. Les hommes d'étude durent se résigner à suivre strictement les étroits sentiers que nos vaillantes colonnes leur ouvraient ça et là; il leur fallut donc se borner à glaner sur les traces de l'armée, lorsque souvent ils auraient pu recueillir d'abondantes moissons en s'écartant un peu de la ligne obligée des opérations militaires. Ce fut la période de la science militante, période où plus d'un hardi pionnier a conquis une réputation que l'équité publique mesure plus à la difficulté qu'il y avait alors d'obtenir des résultats qu'aux résultats eux-mêmes.

L'année 1835 vit naître la Bibliothèque d'Alger, mais sculeinent en principe; car elle ne commença à fonctionner réellement que dans le premier mois de 1838, époque où un musée archéo

logique lui fut annexé par M. l'intendant civil Bresson. Cette double création, et surtout la première, permit enfin aux hommes laborieux de la capitale d'entreprendre des travaux intellectuels un peu suivis; en l'absence d'un centre spécial, elle devint même, pour plusieurs d'entre eux un point de réunion naturel où s'échangaient les renseignements et les idées, surtout en ce qui concernait l'histoire locale. Des bibliothèques militaires furent créées plus tard sur différents points.

Il faut avoir vécu ici dans les premiers temps de l'occupation et avoir eu sous les yeux les premières publications locales, périodiques ou autres, pour comprendre combien l'homme civilisé peut perdre de sa valeur morale et intellectuelle par l'absence complète de livres. Comment, en effet, ne pas déchoir dans cette triste situation qui faisait dire avec amertume au voyageur David Livingston, après six semaines seulement passées au milieu de l'Afrique centrale: Un homme qui serait jeté sans livres • parmi ces indigènes, serait au bout d'un an ou misanthrope, ou fou. (Documents et nouvelles géographiques, 2e partie, p. 84.)

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Bien que la situation des Européens en Algérie n'ait pas été précisément celle-là, ce ne fut pas moins un grand bienfait que la fondation de ces dépôts scientifiques. Il est seulement à regretter que d'autres besoins, d'une nature impérieuse, n'aient pas permis de leur donner tout d'abord l'extension réclamée par les circonstances particulières du pays, extension que, sans doute, ils n'attendront pas plus longtemps.

Vers la fin de 1839, une commission scientifique fut créée pour explorer l'Algerie à divers points de vue. Par malheur, elle commença de fonctionner à l'époque où la reprise des hostilités avec Abd-el-Kader ne lui laissait guère d'autre champ d'investigation que quelques parties du littoral; el elle vit clore sa période active alors que les succès du maréchal Bugeaud rouvraient le pays à tous les genres de recherches. Malgré ces défavorables circonstances, elle a produit d'estimables travaux et a surtout donné ici une impulsion scientifique qui s'est continuée après son départ.

Un peu avant cette époque, sous le titre de Société de saint

Augustin, il se forma, vers 1841, une association surtout littéraire qui dura jusqu'en 1845. Cette société que Monseigneur l'évêque Dupuch honorait de son patronage, s'éteignit dans le marasme, faute de cette publicité spéciale qui vivifie les travaux de l'intelligence.

L'autorité commença à se préoccuper sérieusement des vénérables débris laissés sur le sol africain par les diverses nations qui y ont successivement dominé. Dans un arrêté du 29 novembre 1842, le duc de Dalmatie décida que l'arc de triomphe de Djimila serait transporté à Paris, pensée qui n'était pas précisément heureuse, et qui, du reste, ne fut pas exécutée.

Le maréchal Bugeaud cédait à de meilleures inspirations, lorsque, le 25 mars 1844, il adressait aux diverses autorités une circulaire relative à la conservation des monuments historiques et des restes d'antiquités; mais il rentrait dans la pensée du duc de Dalmatie, quand, le 26 août de l'année suivante, il publiait une autre circulaire concernant les collections archéologiques à faire pour le musée algérien de Paris.

L'Algérie, devenne une terre française, ne devait cependant pas être ainsi dépouillée de ses richesses archéologiques, comme şi elle était encore un pachalik de la Porte ottomane. N'y aurait-il pas, d'ailleurs, une véritable inconséquence à vouloir, d'un côté, faire refleurir la civilisation en Afrique, et, de l'autre, à priver ce pays de ses principaux éléments d'études locales?

Vers la fin de 1847, il se forma à Alger une société des sciences, lettres et arts. La tempête de février, qui dispersa une grande partie de son personnel, en amena fatalement la dissolution et ne lui laissa pas le temps de faire autre chose que ses statuts.

Ce fut dans cette même année 1847 qu'on songea à introduire dans les actes de concession une clause destinée à sauvegarder le droit de l'État sur les antiquités et objets d'art, découverts ou à découvrir daus les fouilles privées.

En 1850, M. Léon Rénier, épigraphiste distingué, reçut de M. le Ministre de l'Instruction publique la mission d'aller recueillir les inscriptions de Lambèse et de quelques localités voisines. Plusieurs livraisons déjà publiées de son remarquable travail donnent une idée de l'importance de ses recherches, non-seule

ment pour l'histoire de l'Afrique romaine, mais pour celle des institutions générales du peuple-roi. A la même époque, un de nos confrères étudiait le Djerid tunisien et notre Sahara. La presse locale a déjà publié quelques parties de ses travaux sur les régions du Sud; le lecteur pourra apprécier dans cette feuille le récit complet de son exploration qui a duré dix mois. L'esprit d'association scientifique, qui ne faisait que sommeiller en Algérie, se réveilla vers 1851.

Sous le titre de Société algérienne des beaux arts, il se forma ici une réunion d'artistes qui révéla son existence au public par deux expositions faites, l'une à la Jenina et la dernière au Lycée. Après un an environ d'existence, cette société succomba devant des difficultés intérieures.

A Constantine, on vit se constituer, en 1852, une société archéologique qui a publié un très-intéressant annuaire. On doit souhaiter vivement que l'heureuse impulsion donnée à cette société par M. le colonel du génie Creully, son fondateur, se continue toujours, malgré son départ que tous les amis des antiquités algériennes regrettent vivement.

Il manquait un rouage essentiel au système des études historiques: il fallait un fonctionnaire qui eût qualité officielle pour dresser le recensement des monuments historiques de l'Algérie, indiquer les mesures propres à en assurer la conservation, provoquer l'organisation de musées locaux dans les endroits où il pouvait être convenable d'en établir, et signaler les fouilles à entreprendre avec quelque chance de succès. En 1847, M. Charles Texier avait reçu cette mission, mais cumulativement avec unc autre qui absorbait la majeure partie de son temps. Elle lui fut d'ailleurs retirée à la révolution de 1848.

M. le maréchal Randon, qui avait compris toute l'importance de celte fonction, en provoqua le rétablissement en 1854, sous le titre d'Inspection générale des monuments historiques et des musées archéologiques de l'Algérie. Nous aurons plus d'une fois l'occasion d'indiquer dans cette feuille les résultats que cette Inspection a obtenus depuis le peu de temps qu'elle est appelée à fonctionner.

La sollicitude de M. le maréchal Randon ne s'est pas arrêtéè à cette utile création. Pour donner aux études historiques locales

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